Publié le 15 Jul 2015 - 12:22
ALPHA CONDE, PRESIDENT DE LA GUINEE

‘’Ce que la prison m’a enseigné…’’

 

Alpha Condé est depuis 2010 à la tête de la Guinée et il compte bien y rester toute la décennie. Il ne doute pas d’être reconduit en fin d’année pour un second mandat. Ses adversaires l’accusent de préparer un tour de passe-passe électoral et dénoncent l’accaparement de tous les pouvoirs, l’absence totale de résultats, la violence de la répression. Le Président de la République de Guinée les écoute à peine. Quand on l’interroge, il convoque aussitôt son passé militant. Il reste l’éternel opposant. Le rebelle qu’on enferme et qu’on peine à faire taire. D’où une interview comme au pénitencier. En tête-à-tête et entre quatre murs. C’est au Raphaël, son hôtel à côté de l’Etoile, en sortant d’une émission télévisée, que le président s’est prêté au jeu de bonne grâce.

 

Est-ce que la prison, c’est mieux que l’ENA pour se préparer au pouvoir ?

La prison est une bonne école. Ça montre que vous n’êtes rien. C’est une leçon. Moi, j’ai d’abord été condamné à mort par contumace sous la première République. Cela commençait bien… Ensuite, j’ai fait deux ans et demi de prison. Malheureusement pour eux, les chefs actuels de l’opposition étaient alors Premier ministre…Ils gouvernaient et on sait comment, ils organisaient les élections et géraient le pays ! Il faut rappeler le scandale politique et moral dont se sont rendus coupables ceux qui ont cogéré le pays sous les régimes militaires.

Quand vous êtes devant votre glace et que vous vous jugez sévèrement, à qui aimeriez-vous ressembler ?

J’avais promis d’être l’Obama et le Mandela de la Guinée… Mandela pour la tolérance et la volonté de faire avancer le pays… Et Obama pour la transformation du pays.

Et le verdict…à qui ressemblez-vous ?

L’Histoire le dira ! Et les Guinéens… J’essaie de gouverner pour leur bien. Pour les pauvres, surtout. Parce que tous les problèmes de l’Afrique sont liés à la pauvreté. Les grandes puissances doivent nous aider au lieu de nous vendre des armes. C’est leur intérêt. S’il y a du développement, il n’y aura pas de problème de terroristes, d’islamistes, d’Al Quaïda, etc.

Est-ce qu’on perd son temps en prison ou est-ce que cela apporte quoi que ce soit sur le plan humain ?

Cela donne beaucoup d’humilité ! Vous êtes dans une dépendance totale. Un simple gardien qui n’est même pas digne de lacer vos chaussures a tout pouvoir sur vous. Il peut vous enfermer au cachot. D’ailleurs, ils m’y enfermaient en permanence.

Cela apprend la peur, à commencer par celle d’y retourner, non ?

Non, pas du tout ! Quand je suis revenu en Guinée, je savais qu’on allait m’arrêter. J’ai donné une interview à RFI et j’en connaissais les conséquences. J’ai dit que je n’acceptais pas qu’on arrête les militants et qu’on les assassine parfois. Pendant des mois, je suis resté enfermé. Aucun détenu ne m’a vu pendant deux ans ! Ils ont même mis des tôles pour occulter la fenêtre. Il a fallu que le médecin proteste en leur disant qu’ils allaient me tuer.

Quand on est bousculé dans sa cellule, comment fait-on pour s’évader dans sa tête ?

Je me suis accroché à l’idée que je me battais depuis toujours pour la démocratie et que si je devais y laisser la vie, eh bien, ce serait mon destin. Je ne sais trop quoi. . . Je me suis dit que je n’étais pas le premier. Il ne faut pas oublier que Mandela y a passé presque trente ans. Jomo Kenyatta a fait de la prison. Et aussi, le président du Zimbabwe… Je ne sais plus comment il s’appelle mais il est un exemple car il a été un grand combattant.

Avec Robert Mugabe au pouvoir, ce sont les Zimbabwéens qui semblent enfermés ?

Les Africains n’ont pas le même jugement que les occidentaux sur Mugabe… La preuve, ils l’ont réélu à la tête de l’Union africaine.

Est-ce que vous avez prié le ciel de vous délivrer ?

Mais évidemment ! Je suis musulman.

Comment pouvez-vous accepter que des manifestants soient jetés en prison aujourd’hui ?

Est-ce que c’est une manifestation quand on descend dans la rue pour casser des véhicules, attaquer les maisons, agresser les gens ?

J’ai été opposant pendant 40 ans. Jamais, je n’ai lancé de pierre contre un policier. Mon parti avait un service d’ordre. Aujourd’hui, circonstances aggravantes, il y a Ebola… Faire face au fléau exige l’union nationale. Ce n’est pas le moment de faire descendre les gens dans la rue et d’empêcher les autres de travailler. L’objectif de l’opposition, c’est la poursuite de l’épidémie. Pour mettre l’économie à terre. On ne peut pas dialoguer avec ces gens-là !

La liberté de la presse est-elle sacrée ?

On a des problèmes avec une certaine presse qui présente les choses de manière unilatérale. On est en train de régler cette question.

Un président vit en résidence surveillée. Quand on est au pouvoir, comment faire pour rester libre ?

Je suis libre car je ne me considère pas comme un politicien. Je suis un militant dans l’âme. Yayi Bonni se moque de moi et me dit : ‘’ Ecoute, président ! Tu n’es plus un opposant. Tu dois parler en président ‘’. Mais je me considère toujours comme un militant et je continue à me comporter comme ça. Car la politique, c’est un jeu. Et moi je ne joue pas ma vie.

Mais il n’y a pas beaucoup de différence entre avoir une protection rapprochée et être tenu en garde à vue par des militaires ?

Tout le monde sait que j’ai fait une réforme de l’armée que personne n’a osé tenter en Afrique !

Quels antidotes à la folie du pouvoir ?

Je n’en prends pas. Je n’en ai pas besoin. Je n’aurai jamais cette folie. Avant d’accéder au pouvoir, j’avais des relations directes avec de nombreux présidents. Je les connaissais presque tous ! La plupart étaient des amis personnels, on se tutoyait … De ce point de vue, rien n’a changé. Sauf que parfois, je ne les vois plus. En fait le pouvoir ne m’apporte que des problèmes !

Comment résister au luxe, à la solitude du pouvoir et sa violence qui sont autant d’enfermements ?

Je reste très naturel. Je dis toujours ce que je pense. Je suis direct et dis ce que j’ai à dire. Ce qui me pose beaucoup de problèmes avec mes pairs qui me reprochent ce franc-parler.

Est–ce qu’il y a d’autres présidents qui ont autant de liberté de parole ?

Je préfère ne pas répondre…On me reproche de parler avec trop de franchise mais j’ai passé mon temps à me battre pour le panafricanisme et j’ai une certaine idée de l’Afrique. On ne se refait pas… Ces jours-ci, j’ai appelé plusieurs d’entre eux à propos du drame des migrants qui se noient en Méditerranée. Car dans cette affaire, le silence de l’Union africaine est le vrai scandale !

Le rêve est l’évasion instantanée, à la portée de chacun. A quoi rêvez-vous ?

Je rêve de la Guinée qui était destinée à être le pays phare de l’Afrique francophone. Je rêve qu’elle le devienne. Qu’elle réalise cette vocation.

Et quand vous ouvrez les yeux et que vous émergez du sommeil, le matin ?

Je me demande comment la population va avoir accès à la culture… Comment répondre aux problèmes de la jeunesse… Comment assurer l’autonomisation des femmes qui subissent toutes les difficultés du quotidien… Les hommes émigrent mais les femmes sont contraintes de rester…

Si vous êtes condamné à un nouveau mandat, quelle sera votre priorité ?

La priorité, c’est de vaincre Ebola, et que l’économie reparte. J’en oublie même qu’il y a des élections.

Si vous obtenez une remise de peine et que vous êtes relâché, qu’est-ce que vous aimeriez faire loin du palais ?

Ecrire, transmettre à la jeunesse mon expérience et lui donner de l’espoir.

Ecrire ‘’les Mémoires d’espoir‘’, comme De Gaulle ?

J’ai la chance d’avoir été un des rares dirigeants à traverser toutes les étapes, de simple militant à chef de l’Etat, de la prison au Palais.

Votre sport préféré à regarder en cellule.

Le football ; évidemment.

Quelle équipe ?

J’avoue que j’ai été l’autre semaine en grande difficulté car le quart de finale de la coupe d’Europe Paris St Germain/ Barça opposait mes deux équipes préférées…

La musique qui vous   ?

La musique Latino-américaine. Il n’y a pas longtemps, j’ai même dansé la salsa avec une diplomate israélienne !

Un film pour vous évader ?

‘’Autant en emporte le vent’’ m’a beaucoup marqué. Tout comme ‘’Los Olvidados’’ de Luis Buñuel…Plus récemment ‘’Le sel de la terre’’, un documentaire sur la pauvreté de Win Wenders et Salgado…

Le défaut que vous pouvez pardonner ?

Je peux vous dire celui que je ne pardonne pas. La fourberie !

Celui qui est difficile à supporter dans la cellule familiale ?

Le mensonge. Mais je suis tolérant. Je trouve des circonstances atténuantes…

De quelle gourmandise êtes-vous prisonnier ?

Je change souvent car je suis bon cuisinier ! Je faisais le meilleur gigot de France, selon Jean Audibert qui était le conseiller diplomatique de François Mitterrand (…) C’était ma spécialité et un ami qui n’est pas flatteur m’a rappelé qu’à l’époque, tous répétaient : ‘’Alors quand est–ce que tu nous invites à prendre le gigot’’ ?

Et bon cuisinier reste attaché à son fourneau ?

Ce n’est plus possible. Cela m’arrive de commander de temps en temps des surgelés… Mais se mettre aux fourneaux, ce n’est plus possible. On n’accepterait pas cela d’un président en Afrique. On supporte mal qu’un homme soit en cuisine. C’est plutôt la place de la femme et des enfants.

La femme la plus libre que vous avez connue ?

Benazir Bhutto. J’ai eu beaucoup d’admiration pour elle… Et aussi pour Mme Gandhi.

Ce sont des femmes de tête… qui ont toutes les deux été condamnées à mort et exécutées ?

Elles étaient belles aussi.

La beauté, c’est une délivrance dans votre vie ?

Je pense que la beauté de l’âme et du cœur sont plus importantes que la beauté physique.

Vous êtes plus loquace en fin d’interrogation qu’au début !

Ebola m’a fatigué… J’ai perdu mes reflexes de tribun. Mais l’expérience revient…

Recueillis par Vincent Hervouët (Pouvoirs d’Afrique)

 

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