‘’On a un gap très énorme à résorber…’’

Après trois années à la tête de la Fédération sénégalaise de boxe (Fsb), le colonel à la retraite, Thierno Seydou Ba, dresse un bilan à mi-parcours, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’. Selon lui, la boxe sénégalaise accuse un grand retard par rapport aux meilleures nations de boxe sur le continent, malgré une avancée remarquable dans la sous-région.
Vous êtes à la tête de la Fédération sénégalaise de boxe depuis août 2016. A un an de la fin de votre mandat, quel bilan faites-vous à mi-parcours ?
J’ai élaboré un plan stratégique de développement de la discipline, avec ampliation au ministère des Sports, au Cnoss, à la Confédération africaine de boxe et à l’Association internationale de boxe amateur (Aiba). J’avais un objectif général bien défini : redonner à la boxe sénégalaise son lustre d’antan, dans les quatre années à venir. Les objectifs spécifiques, c’était de restructurer les clubs et renouveler les ligues. Il fallait détecter des jeunes talents pour massifier la boxe. Nous avions une vingtaine de clubs. Un des objectifs, c’était d’améliorer les infrastructures et tâcher d’avoir l’équipement pour les clubs. Beaucoup de clubs n’ont pas de salle d’entrainement. J’ai créé un club, l’Asc Ville de Dakar, dont les sociétaires s’entrainent avec le club ex-Mairie devenu Mamadou Kane Battling Siki, dans la salle du stade Iba Mar Diop entièrement réfectionnée par des partenaires suisses.
Au passage, j’annonce le décès de ce même Mamadou Kane, ce samedi, qui était entraineur de longue date à la mairie. Que Dieu ait pitié de son âme et que la terre lui soit légère.
Pour les équipements, j’ai un partenaire allemand, Thomas Hackenberg, qui avait remis du matériel à mon club. Je lui avais aussi demandé d’en doter d’autres clubs. Le premier à en profiter est le club Amadou Sow Guèye. Nous avons signé une convention avec l’ambassade d’Allemagne qui nous a donné un lot de matériel d’une valeur de deux millions de francs Cfa. Nous avons contacté 16 ambassades au total. Celles d’Espagne et de la Grande-Bretagne nous avaient promis de nous revenir, mais jusqu’à présent on n’a rien vu. L’ambassadeur de Cuba nous a reçus et nous a fait comprendre que son pays ne pouvait pas nous donner du matériel, mais qu’il pouvait nous accompagner dans la formation. Compte tenu de la haute compétence de ses formateurs, Cuba pouvait inviter certains boxeurs et entraineurs sénégalais à s’entrainer là-bas. Nous attendons aussi.
J’ai été invité par pratiquement tous les journaux et même des télés de la place, dans le cadre communicationnel. Et votre journal, ‘’EnQuête’’, m’avait consacré une page entière, à l’époque. Au plan relationnel, nous avons de très bons rapports avec l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée, le Mali, la Gambie, à un degré moindre avec la Côte d’Ivoire et le Cameroun, entre autres. Il y a eu un engouement autour de la boxe sénégalaise. Les compétitions se sont déroulées tant bien que mal. J’avais dit que j’allais transporter le ring dans les régions. Cela a été fait à moitié. On a été à Louga où on a ouvert la première saison de mon magistère. On a été à Thiès, pendant deux jours, et à Kaolack aussi. Nous souhaiterions, cette année, aller à Tamba, Diourbel et Fatick.
Vous avez énuméré les actions que la fédération a entreprises. Mais, au niveau des clubs, les choses semblent trainer. Qu’est-ce qui se passe ?
C’est le manque d’infrastructures et de matériel. Il y a des entraineurs qui ont fait la boxe et qui aiment beaucoup la discipline. Mais comme Malika, Guédiawaye, c’est très difficile de mobiliser des jeunes athlètes et de ne pas pouvoir faire grand-chose pour eux. En un moment donné, il y a une certaine désaffection. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu remobiliser d’abord les boxeurs, susciter de l’engouement autour de leur boxe. Il y avait vraiment de l’effervescence. Souleymane Cissokho est venu, il a donné des leçons aux boxeurs et entraineurs de la région de Dakar qui sont venus en masse. L’année suivante, il a fait la même chose, en donnant du matériel en plus. Léa Buet de l’association Adjimé a donné à la fédération un lot de shorts pour les boxeurs.
Au-delà du don de matériel, qu’est-ce qu’il faut pour que les clubs puissent se développer ?
Il faut des sponsors, des partenaires. Lamine Cissé est un Sénégalais vivant en Suisse. C’est lui qui avait réfectionné la salle d’Iba Mar Diop avec l’aide du village pilote de Sangalkam. Il est revenu ces derniers jours en promettant de revenir en février pour récupérer la salle. Ce sont donc des acquis. On ne jette pas la pierre sur le ministère des Sports et le Cnoss, qui nous aide un tant soit peu. Ce n’est pas beaucoup, mais cela nous permet d’organiser quelques galas. Je remercie en passant Mamadou Diagna Ndiaye (président Cnoss, Ndlr) et Seydina Oumar Diagne (Sg Cnoss) pour leur appui. Si nous avons assez de matériel, cela pourrait motiver d’abord les entraineurs et les boxeurs. Et avec les compétitions qu’on va certainement multiplier, la boxe va connaitre des jours meilleurs. Ce n’est pas par hasard que Souleymane Mbaye, champion du monde, a ouvert au Sénégal une académie de boxe aux Almadies (Keur of Champions, Ndlr). Une très belle salle, il faut le souligner. Si Mamadou Lamine Koné, grand promoteur de boxe résident en France, a choisi Dakar pour y organiser des championnats du monde et d’Afrique en octobre 2018, c’est parce qu’il a dû entendre que c’est un créneau à investir.
Quel impact peut avoir l’implantation d’une académie comme Keur of Champions de Souleymane Mbaye sur la boxe sénégalaise ?
Le Sénégal compte sur l’académie de Souleymane pour booster la boxe. Il avait organisé un tournoi, l’année dernière, entre jeunes poids lourds, même des débutants. Il avait offert un million aux vainqueurs et cinq cent mille aux quatre vaincus. C’est absolument sûr que Keur of Champions peut apporter beaucoup de choses à la boxe sénégalaise. Souleymane Mbaye, lui-même le dit, veut fabriquer des champions du monde. J’avais dans mon club un gosse, Idrissa Guèye, dans la catégorie des 60 kg, pétri de talent. Quand il m’avait demandé de le libérer pour qu’il aille chercher sa voie à Keur of Champions, j’ai immédiatement signé la lettre de démission. Quelques mois après, Souleymane Mbaye l’a emmené à Cuba pour un camp d’entrainement. A son retour, on lui a fait signer une licence professionnelle et a trouvé un combat qu’il a remporté, le 12 octobre dernier, à Paris. Cela veut dire qu’il est possible, pour des boxeurs, de percer, parce que le vivier est là. Il suffit simplement de les appuyer pour qu’ils franchissent les échelons un par un. Il y a d’autres qui sont partis. Biram Guèye était en Russie ; Mbacké Sarr est en Espagne. Il y a des boxeurs vivant à l’extérieur qui se sont manifestés. Il y a Pape Mamadou Ndiaye à New York, Souleymane Sy à Columbus, dans l’Ohio, Matar Sambou en Angleterre, Seydou Sall, Karamba Kébé, Djibril Coupet en France.
Donc, c’est parmi ces sportifs que vous comptez faire la sélection des boxeurs devant représenter le Sénégal au Tournoi qualificatif olympique (Tqo) de Dakar ?
Ces athlètes vont venir, mais ils ne vont pas prendre la place de nos boxeurs comme ça. Ça serait très frustrant. Nous allons organiser un tournoi de présélection. Les meilleurs vont intégrer l’équipe nationale qui ira au Tqo. Si un boxeur local gagne son combat contre un expatrié supposé avoir un niveau plus élevé, cela veut dire qu’il peut valablement représenter le Sénégal.
Quel est l’objectif de la Fédération sénégalaise de boxe au Tqo de Dakar ?
Il ne faut pas aussi se leurrer. Le niveau sera très relevé. Ce sont les Jeux olympiques et non les championnats d’Afrique. Déjà qu’on avait un gap très énorme à rattraper et nous n’y sommes pas encore parvenus. On a gravi un palier quand même dans la sous-région. Au tournoi de la Zone 2, l’année dernière, nous avions 7 boxeurs qui sont rentrés avec des médailles ; 3 or, 1 argent et 3 de bronze. Nous sommes arrivés 2e derrière le pays organisateur, la Guinée. C’est un palier franchi.
Pour le Tqo, l’objectif de tous les pays, c’est de placer quelques boxeurs parmi ceux qui vont participer aux Jo de Tokyo-2020. Les boxeurs sont en regroupement. Il appartient au staff de les entrainer. Pas en tapant tout simplement sur des sacs. Pour réussir, il faut se tuer aux entrainements. Avec les coaches que nous avons, ils peuvent tirer leur épingle du jeu. Mais ce sera très dur, même si c’est un plus de se produire chez soi.
Le Tournoi de qualification olympique sera organisé à Dakar, en février 2020. Où le Sénégal en est avec l’organisation ?
Le Tqo sera organisé du 20 au 29 février 2020 à Diamniadio. Un délai a été donné aux pays d’ici le 5 janvier pour inscrire leurs boxeurs. Nous sommes dans cette mouvance. Pour l’organisation, elle incombe au Cnoss et au Cio et non à la fédération. On y sera associé, mais d’une certaine manière. Par exemple, on nous demande juste de donner quelques officiels de Nto, c’est-à-dire des chronométreurs, etc. Eux, ils viendront avec leurs arbitres, qui seront triés sur le volet, cette année. Il y a eu beaucoup de problèmes à Rio (en 2016, Ndlr). Alors on ne veut pas que cela se répète. Il y a beaucoup de boxeurs qui se droguent. Je lance un appel au comité d’organisation du Tqo de veiller au grain pour que cela ne se reproduise pas au Sénégal.
Pour le volet sportif, nous avons regroupé nos boxeurs depuis le 2 décembre 2019, avec beaucoup de retard. Nous sommes le pays organisateur ; nous devions depuis belle lurette. Certains ont commencé depuis des mois.
Qu’est-ce qui explique ce retard ?
Le Dtn a fait son programme qu’il a soumis au ministère qui prend en charge les compétitions internationales. Il a accusé du retard, il faut l’avouer. Nous en discutons avec le directeur de la Haute compétition (Dhc, Souleymane Boune Daouda Diop, Ndlr).
Est-ce que le ministère est dans les dispositions de vous accompagner ?
Au ministère, ils ont dit carrément qu’ils ne veulent pas mettre un sou sur des boxeurs locaux qui ne feront pas le poids, selon eux. Le Dhc a dit qu’il les a vus au Maroc lors des Jeux africains et il doute fort de leur possibilité d’aller au Tqo. Il nous a même demandé de prendre des expatriés. Alors que nous ne voulons pas faire cela, car ça serait trop frustrant pour nos boxeurs. Il faut organiser un tournoi de présélection en début février 2020 et les meilleurs seront pris. On aurait pu le faire avant, mais le problème est que tous les expatriés soutiennent que ce serait très difficile de venir et rentrer ensuite pour revenir, parce que c’est à leurs frais. L’Etat les prendra en charge que quand ils seront sélectionnés en équipe nationale.
Quelles seront les retombées de l’organisation du Tqo à Dakar pour la boxe sénégalaise ?
Lors d’une réunion, les représentants du Cio nous ont fait comprendre qu’ils allaient apporter deux rings de grande qualité pour la compétition et deux autres pour les entrainements, si j’ai bien entendu. Après le Tqo, ces rings seront gardés pour les Jeux olympiques de la jeunesse (Joj) de 2022. Ils seront cédés à la fédération à la fin des Joj. C’est à saluer.
L’Association internationale de boxe amateur (Aiba) est suspendue par le Cio qui a confié l’organisation du Tqo à un comité de travail. Avez-vous espoir que la situation va se rétablir bientôt ?
Actuellement, c’est le statu quo au sein de l’Aiba. Je pense que cela va se décanter, puisqu’une assemblée générale est convoquée au mois de mars prochain à Lausanne, en Suisse. On va élire maintenant un président. Quand l’Ouzbek Gʻofur Rahimov a démissionné à la tête de l’Aiba, c’est le Marocain Mohamed Moustahsan qui a assuré l’intérim. A la grande surprise de tous, lui aussi a rendu le tablier, entre août ou juillet. Mais il est revenu sur sa décision. Je suppose que c’est le Comité exécutif qui lui a demandé de continuer son mandat jusqu’en mars. Il pourra passer le flambeau ou se représenter. Les choses pourraient se décanter en mars. C’est ce qu’on souhaite. Sinon, la boxe traverse une crise majeure.