Publié le 18 Apr 2020 - 02:43
CORONAVIRUS

Un collectif d’intellectuels

 

Dans une lettre destinée aux dirigeants africains de tous bords, un collectif d'intellectuels de différents pays d'Afrique et du monde déplore ‘’les logiques de profit et de monopolisation du pouvoir’’ face à la pandémie de Covid-19. Il les invite à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un Etat au service du bien-être des peuples.

 

Les risques qui planent sur le continent africain interpellent. Les intellectuels africains et du monde ont écrit aux dirigeants africains pour leur rappeler que ‘’des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place’’.  Ils ont, dans un premier temps, invité les dirigeants à gouverner avec compassion. En effet, pour que les populations africaines respectent les mesures mises en place pour contrer la propagation de la Covid-19, nombreux sont les gouvernements qui ont dû faire appel à la force. Cette ‘’culture de violence étatique’’ n’est pas du goût des hommes de lettres. Pour eux, ces mesures ‘’copiées’’ de l’Occident ne collent pas avec la réalité socio-économique africaine. ‘’Reprenant sans souci contextuel le modèle de ‘’containment’’ et des régimes d’exception adoptés par les pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il n’est pas respecté, de violences policières’’, lit-on dans la note.

Selon eux, si de telles mesures satisfont les classes aisées à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à ‘’l’article 15’’, c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles. Pour les penseurs, il faut mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit, et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.

De l’avis de ce collectif d’intellectuels, il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire, mais plutôt d’insister sur la nécessité, pour les gouvernements africains, de prendre en compte les ‘’conditions de précarité chronique’’ vécues par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord, en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.

Par ailleurs, d’après Ndongo Samba Sylla et Cie, la Covid-19 pourrait saper les bases des administrations et des États africains dont ‘’les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage’’. Parmi ces ‘’défaillances’’, ils citent : ‘’Le sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, l’insécurité alimentaire, le gaspillage des finances publiques, la priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc.’’

Par conséquent, ils estiment que la chaîne de solidarité qui est en train de se déployer au sein des populations des pays d’Afrique, ne pourrait être efficace. ‘’La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la société civile se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent’’, analysent-ils. Et d’ajouter : ‘’Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.’’

Le collectif est ainsi convaincu que l’urgence ne peut et ne doit pas constituer un mode de gouvernance. Il s’agit, dit-il, de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités du continent.

Au-delà de l’urgence

Pour ce large collectif de penseurs, les dirigeants africains doivent et peuvent proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique. Ils déclarent : ‘’C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles, comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent’’.

En effet, ils sont persuadés que ‘’la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune’’. Des initiatives, en ce sens, existent déjà. Elles mériteraient simplement, selon les intellectuels, d’être écoutées, discutées et encouragées.

Parlant du panafricanisme, le collectif considère qu’il a besoin d’un nouveau souffle. Et qu’il doit ‘’retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements’’. En effet, les penseurs révèlent que ‘’si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule "doxa" du libéralisme économique’’. Or, de leur point de vue, la pandémie du coronavirus ‘’montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs’’.

‘’Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales’’, tonnent-ils. Dans cette perspective, il est important, pour eux, ‘’de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique’’.

BABACAR SY SEYE 

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