Manifestation des sentiments de frustration

Plusieurs organisations de tous bords ont pris part à la manifestation pour l'indépendance de la justice organisée, hier, à la place du Centenaire par Y’en a marre et Frapp. Elles ont exprimé les difficultés que vivent les sénégalais.
A la place d’une marche, c’est un rassemblement autorisé par le préfet de Dakar qui a été tenu, hier, à l’initiative de Y en a marre et Frapp. Un rassemblement pacifique des forces vives de la nation pour ‘’l’indépendance de la justice’’. Si le prétexte a été l’affaire des passeports diplomatiques pour laquelle des activistes ont été placés sous mandat de dépôt, de nombreuses associations, coalitions politiques ont répondu à l’appel pour faire part de leur sentiment élevé de frustration. Ils ont, eux aussi, crié : ‘’Yoon a ngi jeng’’ (une justice à deux vitesses).
Représentant du Congrès LD Debout, Pape Sarr, a réclamé une justice impartiale. ‘’Nous ne demandons pas une justice plus juste. Nous demandons simplement une justice juste. Nous ne pouvons plus accepter une justice pour les gens du régime et une justice pour les opposants. Dans tous les pays où on a observé cela, on a vu les résultats. Mais, on ne doit pas en arriver là’’, dit-il. Selon lui, il y a une ‘’injustice’’ presque dans tous les secteurs : ‘’injustice économique, injustice sociale, injustice institutionnelle’’. A cet effet, il invite les Sénégalais à se battre pour rétablir la justice dans le pays.
Cheikh Gueye, maire de la commune de Dieuppeul Derklé, était aussi présent. ‘’C’est une rencontre qui nous concerne tous en tant que citoyens. Nous voulons un pays de paix, de justice’’, dit-il. Casquette verte griffée ‘’YAW’’ sur la tête, le responsable politique en costume africaine de poursuivre : ‘’Un pays où la justice n’est pas effective, est un pays qui se suicide. Je pense que le Sénégal, qui a connu de grands hommes et de grandes dames qui ont eu à exercer dans la justice, ne mérite pas aujourd’hui le sort que nous vivons’’.
En effet, lui aussi dénonce ‘’la mainmise de l’Exécutif dans le fonctionnement de la justice’’. Dans un Etat de droit, il y a un fonctionnement judiciaire, un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif. Chaque pouvoir doit exercer la plénitude de ses missions dans la responsabilité. Or, M. Gueye note pour le regretter : ‘’la justice est malade ; elle est par terre’’. Avant de relativiser : ‘’Mais nous comprenons que ce n’est pas toute la justice. Il y a des hommes et des femmes debout, qui sont pour le droit’’. Ainsi, il garde espoir que les choses vont changer.
Le secrétaire général du Cusems authentique, Dame Mbodj s’est exprimé sans réserve. Il a manifesté son mécontentement par rapport à ce qu’il appelle une gestion ‘’cavalière’’ du pays par le président de la République Macky Sall. ‘’Aujourd’hui, nous avons un pays dont les fondamentaux sont en train de basculer dans la violence, tout simplement, parce que nous avons un président violent. Un président qui est en train de tuer l’économie sénégalais’’, dit-il, déchirant la charte de la non-violence. Il estime qu’une charte pour la non-violence a déjà été signée, depuis 2016. ‘’On ne l’a pas élu pour qu’il exerce une violence sur le peuple sénégalais. On l’a élu pour qu’il remette le pays sur les rails, parce que le pays était en train de basculer dans la violence. Sur cette même place, nous avons perdu 13 Sénégalais qui ont combattu pour la liberté, la démocratie’’, a-t-il poursuivi.
‘’Justice à deux vitesses’’
Selon l’enseignant, au Sénégal, l’Etat de droit est en train d’être ‘’bâillonné’’. Se prononçant sur le cas l’artiste-activiste Kilifeu, il estime que ‘’les gens qui sont avec Macky Sall peuvent faire ce qu’ils veulent. Ceux qui sont contre lui, pour une moindre faute, on les met en prison et injustement’’. Pour Dame Mbodj, Kilifeu a été accusé ‘’injustement’’, parce que, souligne-t-il, ‘’la preuve illicite ne peut pas servir d’argument pour mettre quelqu’un en prison. Ça, c’est les textes réglementaires de notre pays’’. Dans l’autre dossier dans lequel deux députés de la majorité sont impliqués, ça traine alors que leur immunité parlementaire a été levée. M. Mbodj se désole : ‘’On le (Kilifeu) met en prison, au moment où, des députés de la majorité présidentielle, qui ont été accusés de trafic de visas et de trafic de passeports diplomatiques, sont libres de leur mouvement.’’
L’enseignant pense que la justice est rendue, non au nom du peuple, mais au nom du président de la République. ‘’C’est Macky Sall, le président du Conseil supérieur de la Magistrature, c’est lui qui donne les instructions, qui nomme les présidents des Cours et tribunaux. C’est le président de la République qui a dit qu’il met le coude sur certains dossiers. Il y a énormément de dossiers sur la table de la justice sénégalaise qu’aucun magistrat n’ose trancher, parce que, Macky Sall va les sanctionner, s’ils vont dans le sens qui n’est pas souhaité par son gouvernement’’.
Dame Mbodj prévient : ‘’C’est une première manifestation. Si le président Macky Sall n’apporte pas les réformes nécessaires, ne va pas dans le sens souhaité par les Sénégalais, les évènements de mars que tout le monde a décriés, risquent de revenir. Parce que, chaque jour, nous constatons qu’il continue de semer la zizanie’’.
Dans un autre registre, Dame Mbodj relève que beaucoup d’entreprises sont en train de fermer boutique. ‘’Nous avons un taux de chômage très élevé. En effet, ils ont été nombreux les travailleurs sénégalais qui se sont déplacés pour crier leur ras-le bol. C’est le cas du collectif des agents qui travaillent dans les centres de traitement des épidémies du Sénégal. Le président de la République, lors de son discours à la nation, quand il y avait l’annonce de la première vague, avait instruit le paiement de motivation de Covid-19 pour tous les agents qui travaillent dans les centres de traitement des épidémies. Ce qui a été fait, parce qu’il y avait le Fonds force covid-19. Mais, la situation est actuellement compliquée pour ces agents qui sont à la première ligne pour combattre la pandémie de la Covid-19.
Le porte-parole du collectif, Elimane Fall de renchérir : ‘’On a remarqué que, quand on est arrivé vers la fin de la 2eme vague et vers le début de la 3eme, les motivations n’étaient plus payées. Et nous n’avions aucune explication. Nous avons attendu pendant des mois, et à un moment donné, nous sommes allés faire un sit-in devant le ministère de la Santé et de l’action sociale. Après cela, la Drh nous a reçus et nous a dit que le ministère n’avait plus d’argent pour payer, avec un ton extrêmement arrogant’’. Il poursuit : ‘’Mais, cela ne nous concerne nullement. L’argent est là, mais, c’est une forme de malversation. Cela ne peut plus se passer, parce que, nous avons sacrifié notre vie. Nous sommes des pères de famille’’.
Ainsi, ce que le collectif veut, c’est que tous les mois soient restitués. Ceux qui travaillent dans les centres de traitement des épidémies du Sénégal ne veulent plus d’un paiement graduel. Ils sont loin d’être les seuls à s’offrir.
Désarroi des ex-travailleurs de Transplast
La Transplast est une société qui comptait plus de 400 travailleurs. Mais, depuis 1989, le directeur général a licencié ‘’abusivement’’ 492 travailleurs, pour ‘’motif économique’’. Hier, ces travailleurs ont fait part des difficultés qu’ils vivent. ‘’Nous avons dit que, puisque nous avons des tribunaux au niveau de notre pays, il fallait les saisir. En 2001, nous avons eu gain de cause, et le tribunal a condamné la société. Le liquidateur Sami Bougi devait payer auxdits travailleurs un montant de 736 millions. Malheureusement, avant même la procédure, le directeur a déjà vendu le matériel de l’entreprise qui devait servir de gage pour les droits des travailleurs. Le juge commissaire a, dans son rapport, condamné Samir Bourgi 4 chefs d’accusations : recel de biens sociaux, abus de biens sociaux, violations de dissolution d’entreprise. Amir Bourgi est donc attaqué civilement par les travailleurs. Et encore le tribunal civil et commercial l’a condamné à indemniser les travailleurs à plus de 700 millions’’, a expliqué le responsable du Collectif des ex-travailleurs de Transplast, Pape Mamadou Niang.
Jusqu’à présent, ces derniers courent derrière leur argent, car l’exécution pose problème.
‘’Des années de dur labeur sont réduites à néant’’
Parmi les associations de travailleurs présents à la manifestation d’hier, celle des professionnels des régies publicitaires du Sénégal était la plus active. Elle a fortement mobilisé les concernés, pour dire ‘’non à l’injustice !’’. Les travailleurs sont venus en portant des gilets oranges où l’on peut lire ‘’10 000 emplois en l’air’’ ; ‘’Ne touche pas à notre outil de travail ; ‘’Non à l’inégalité et à l’injustice’’… Pour ces travailleurs, ‘’la destruction des panneaux publicitaires par la DSCOS traduit l’échec d’un Etat ou d’un semblant de gouvernement à trouver des solutions à des problèmes identifiés’’.
Cette manière de faire décriée par APRP, ‘’c’est tout simplement montrer à la face du monde que nos gouvernants n’ont aucune vision pour le monde de demain, si ce n’est trouver les voies et moyens pour enrichir leurs proches’’. Doudou Diallo est membre de l’APRP : ‘’C’est triste et lamentable de constater que des années de dur labeur sont réduites à néant par un gouvernement qui ne protège plus les petites et moyennes entreprises’’, a-t-il regretté.
BABACAR SY SEYE