Diomaye Faye, l'homme de la réconciliation ?

Le 22 avril 2025, Accra ne sera pas seulement la capitale du Ghana, mais aussi celle de toutes les interrogations ouest-africaines. Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprête à célébrer ses cinquante années d’existence, c’est un demi-siècle de doutes et de remises en question qui s’invite à la table des ministres des Affaires étrangères. En toile de fond, une question cruciale : qui prendra la tête de l’organisation après Bola Ahmed Tinubu ? Et surtout, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye acceptera-t-il de relever ce défi périlleux ?
La succession de Bola Ahmed Tinubu à la tête de l’organisation, président du Nigeria depuis 2023 et président en exercice de la CEDEAO depuis juillet 2023, fait écho.
Diomaye, la présidence attendue mais incertaine
Depuis plusieurs semaines, le nom de Diomaye Faye revient avec insistance dans les couloirs diplomatiques d’Abuja, Lomé, Cotonou ou Nouakchott. Élu en mars 2024 dans un contexte de rupture démocratique, le chef de l’État sénégalais incarne pour beaucoup une figure d’apaisement, capable de réconcilier la CEDEAO avec ses principes fondateurs : souveraineté, solidarité, coopération.
En principe, la présidence tournante de l’organisation devrait revenir à un chef d’État francophone, et plusieurs voix se sont discrètement élevées pour appuyer une candidature sénégalaise. Mais selon des sources diplomatiques parvenues à Afrique Intelligences, Diomaye Faye, qui avait décliné l’offre en 2024 pour se consacrer à la stabilisation interne de son pays, hésite encore. “Aujourd’hui, assumer la présidence de la CEDEAO revient à s’exposer à la critique de toutes parts, sans garantie d’efficacité”, commente un diplomate sous anonymat.
Son entourage évoque un contexte défavorable : une CEDEAO affaiblie, divisée par le départ de trois membres majeurs (le Mali, le Niger et le Burkina Faso), minée par les critiques sur son efficacité, et accusée d’avoir manqué d’impartialité face aux transitions militaires. Pourtant, sa posture mesurée, sa neutralité perçue vis-à-vis des régimes militaires, ainsi que son discours réformateur et souverainiste, font de lui un candidat presque naturel à la présidence de la CEDEAO, en quête d’un second souffle.
Au cours des deux dernières années, Tinubu a dirigé l’organisation dans l’un des contextes les plus houleux de son histoire. Son mandat, marqué par les tensions avec les juntes du Sahel, une tentative infructueuse de rétablissement de l’ordre constitutionnel par la pression diplomatique et économique, et des divisions entre États membres, arrive à expiration sans que personne ne semble vouloir lui succéder.
Un anniversaire sous tension
La célébration du cinquantenaire de la CEDEAO, créée le 28 mai 1975 à Lagos, devait être un moment de fierté collective, célébrant les acquis de l’intégration régionale : libre circulation des personnes, passeport commun, instruments de coopération économique et diplomatique. Mais à l’aube de ce jubilé d’or, le tableau est plus que contrasté. La CEDEAO apparaît fragilisée, contestée, et à court de solutions consensuelles.
La réunion ministérielle prévue à Accra marque le lancement officiel des festivités, mais aussi l’entrée dans une phase critique de repositionnement politique. L’enjeu dépasse la symbolique : il s’agit de sauver l’idée même de communauté régionale, dans un contexte où le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, formalisé en janvier 2025, laisse un vide institutionnel inquiétant.
AES : rupture ou réconciliation ?
La fracture sahélienne, incarnée par la création en septembre 2023 de l’Alliance des États du Sahel (AES), reste la blessure la plus visible. Les régimes militaires dirigés par Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani ont claqué la porte de la CEDEAO, dénonçant les ingérences, les sanctions arbitraires, et l’absence de dialogue sincère. En réponse, l’organisation a tenté d’isoler les dissidents, avec peu de résultats concrets, si ce n’est l’accélération d’un découplage stratégique.
Mais depuis février, une nouvelle dynamique s’esquisse. Réunis à Bamako les 22 et 23 février 2025, une vingtaine de ministres de l’AES ont ouvert la porte à une reprise des discussions, dans un “esprit constructif”. Tout en réaffirmant leur indépendance, ils disent vouloir mettre en avant “l’intérêt supérieur des populations”. Une ouverture timide, mais qui offre une fenêtre de dialogue, à condition que la CEDEAO, elle aussi, accepte une forme d’autocritique sur ses pratiques passées.
Si elle venait à accepter la présidence, la figure de Diomaye Faye pourrait jouer un rôle charnière dans ce rapprochement. Son discours d’Addis-Abeba, en mars, appelant à “réinventer la CEDEAO sur des bases égalitaires et de souveraineté assumée”, a été perçu comme une main tendue à toutes les parties, sans compromission avec les principes démocratiques.
Des dossiers épineux sur la table
En attendant la clarification sur la présidence, la réunion d’Accra devra trancher plusieurs points sensibles, dont le plus immédiat est la gestion du patrimoine de la CEDEAO dans les pays sortants. À Ouagadougou et Niamey notamment, des bureaux, centres de formation et locaux logistiques de l’organisation restent en suspens. “Le sort de ces biens collectifs est désormais source de tension diplomatique. Des représentants des États membres craignent une rétention ou une expropriation silencieuse”, confie une source proche du dossier.
Les propositions formulées par les ministres seront soumises à validation lors du prochain sommet des chefs d’État prévu en juillet. D’ici là, la question de la gouvernance de l’organisation reste entière, et la présidence de transition pourrait être décisive dans la refondation ou l’effondrement progressif de l’institution.
À 50 ans, la CEDEAO traverse une crise existentielle. Sa légitimité est contestée aussi bien par les opinions publiques que par plusieurs gouvernements membres. Sa voix s’est affaiblie dans les grands débats africains. Son modèle est concurrencé par des initiatives parallèles comme l’UEMOA, l’AES, ou même la Zone de libre-échange continentale (ZLECAF). Et pourtant, le besoin d’intégration régionale n’a jamais été aussi pressant, face aux défis sécuritaires, économiques, migratoires et climatiques.
Le défi immédiat est donc double : sauvegarder l’existant, tout en ouvrant les chantiers d’une refondation durable. C’est peut-être ici que le leadership d’un homme neuf, indépendant des appareils traditionnels, respecté pour sa parole rare et sa vision sobre, pourrait faire la différence.
Bassirou Diomaye Faye, s’il accepte la présidence de la CEDEAO, ne réglera pas tous les problèmes. Mais il pourrait incarner une volonté de rupture avec les impasses anciennes et ouvrir un cycle de reconstruction du projet ouest-africain, à condition d’être soutenu par ses pairs et par les peuples.
Car pour qu’un jubilé soit plus qu’un souvenir, il faut qu’il serve à réécrire l’avenir.
AMADOU CAMARA GUEYE