Publié le 3 Nov 2022 - 18:07
BOURSE GHISLAINE DUPONT ET CLAUDE VERLON À DAKAR

Une célébration de la liberté de la presse 

 

La mémoire est restée vivante. Un hommage a été rendu à Ghislaine Dupont et à Claude Verlon, à Dakar, à l’occasion de la cérémonie de remise de la neuvième bourse portant leurs noms. Les lauréats sont la journaliste camerounaise Esther Senpa Blaksmedi et le technicien malgache Henintsoa Tiana Miranto Rakotomalala.

 

Des larmes ont coulé, hier 2 novembre, date marquant l’anniversaire de l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon à Kidal, dans le Nord-Mali. Le manque, la colère, la tristesse, mais aussi l’espoir sont les sentiments qui ont animé ceux qui ont pris part, à Dakar, à la cérémonie de remise de la neuvième bourse portant leurs noms, créée en 2014 par France Médias Monde, à Esther Senpa Blaksmedi, journaliste à la CRTV Nord au Cameroun et Henintsoa Tiana Miranto Rakotomalala, technicien à l’Aceem Radio Madagascar.

‘’La tristesse infinie qui s’est abattue sur moi le 2 novembre 2013, avec le temps, on a appris à se connaître. J’accepte sa présence. Elle est toujours prête à se manifester, au moindre souvenir, à la simple évocation de l’affaire, ou justement comme ça, sans raison’’, a déclaré la fille de Claude Verlon, Apolline, presque inconsolable.

Mais ce rendez-vous, chaque année, réveille un autre sentiment bien plus chaleureux, et bien plus réconfortant. La voix tremblante, elle poursuit : ‘’C’est une vague de fierté qui m'envahit à chaque fois.  La fierté de voir au travers des candidats, la volonté farouche de rendre compte du monde tel qu’il est, avec ses qualités, mais aussi ses moindres défauts. Et cette même volonté qui a si souvent animé Ghislaine et papa lors de leur mission. Et la fierté d’entendre avec toujours autant d’intensité le nom de Claude Verlon résonner ici à Dakar, en Afrique, là où il se sentait le plus chez lui. Peut-être mieux qu’ailleurs.’’

Apolline Verlon est technicienne chargée de réalisation à RFI. Cette édition était la première à laquelle elle a pris part. Elle a été accompagnée par son mari et sa fille âgée de 7 ans. Cette dernière n’a pas eu la chance de voir son grand-père.

Amie de la famille de Ghislaine depuis 40 ans, Laurence Lacour a représenté la mère de la défunte. Retraçant son enfance, elle a expliqué que Ghislaine Dupont a fait ses premiers pas sur les sols de deux pays d’Afrique : le Gabon et le Sénégal. ‘’Cette même petite fille qui est devenue journaliste a toujours eu un lien passionnel avec ce vaste et beau continent. Ceux qui auront le plus marqué sa vie professionnelle sont la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire et bien sûr le Mali’’, a-t-elle indiqué. La mère  de Ghislaine Dupont  fut directrice adjointe d’un hôtel à la ville de Dakar, à Ngor.  Sa vie ne fut pas que joie et lumière. Maman de trois enfants, elle a eu le chagrin de tous les perdre.  Ainsi, elle s’est fait représenter parce qu’âgée et inconsolable. 

Pour sa part,  le président du CNRA, Babacar Diagne, a indiqué que Ghislaine et Claude ont montré un dévouement à la vérité jusqu’au sacrifice. Ainsi, il demande aux professionnels des médias de creuser le sillon de transmettre le message, surtout en ce temps du numérique, ce contexte d’infox et de manipulation.

‘’En instituant ce prix, RFI a bien voulu placer le professionnalisme et le dévouement au cœur de son action. Dévouement à la recherche de la vérité. Car c’est cela le message posthume que nous laissent Ghislaine et Claude’’, dit-il, estimant que ‘’ne pas retenir ce message, c’est sacrifier notre profession’’.

De son côté, grand reporter et enseignant,  Vincent Hugeux souligne que le journalisme nous donne une mission. ‘’Celle-ci, dit-il, est d’autant plus exigeante qu’il nous faut déjouer jour après jour les traquenards  tendus sous nos pas par les tentations essentialistes’’. D’après lui, le journaliste doit avoir la ténacité. ''Insoupçonnables, vous serez souvent soupçonnés ; crédibles, vous êtes rarement crus’’, a-t-il averti aux stagiaires. Pour M. Hugeux, il faut ‘’bâtir une digue contre la déferlante du simplisme, du complotisme et de la vérité alternative’’.

En effet,  cette bourse a été créée pour qu’après ce drame effrayant de novembre 2013, dans la lignée de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, de jeunes journalistes et techniciens soient porteurs de valeurs qu’ils défendaient. Celles d’un journalisme sérieux et exigeant, selon la directrice de Radio France internationale (RFI). C’est Cécile Mégie qui a d’ailleurs annoncé les noms des deux lauréats au cours de la cérémonie de remise des prix.

Esther Senpa Blaksmedi, lauréate : ‘’Si c’était Ghislaine…’’

Cette neuvième édition de la bourse est ouverte aux 25 pays d’Afrique francophone. Plus de 300 candidatures avaient été reçues cette année et 20 jeunes professionnels venant de 12 pays sélectionnés (10 techniciens de reportage et 10 journalistes). ‘’Tous ont bénéficié d’une formation à la rédaction et dans les studios de RFI en mandenkan et fulfulde situés à Dakar, dispensée pendant deux semaines par Rachel Locatelli, responsable de la formation à RFI, et Muriel Pomponne, journaliste à RFI et rédactrice en chef des langues étrangères’’, a indiqué Cécile Mégie.

A l’issue de la formation, il a été demandé aux candidats journalistes de réaliser un reportage sur le thème ‘’Dialogue et tolérance’’, tandis que les candidats techniciens ont préparé un sujet autour des métiers au Sénégal. La lauréate Esther Senpa Blaksemdi a réalisé un reportage sur les enfants atteints d’ichtyose congénitale, une maladie qui touche la peau. Le jury a salué "le choix d’un sujet difficile et très humain, traité avec sensibilité et délicatesse, et teinté d’espoir". Elle a parlé de ce que ce prix représente pour elle. ‘’C’est vraiment l’espoir de voir émerger des jeunes qui ont envie d’y aller, de pousser. J’ai choisi de postuler à cette bourse parce que j’aime ce métier exactement comme Ghislaine Dupont et Claude Verlon’’.

Par rapport à son reportage, elle explique : ‘’Je suis allée sur le terrain, je me suis dit : si c’était Ghislaine, comment est-ce qu’elle aurait traité ce sujet ? Et j’ai essayé d’investiguer, je me suis battue.’’ Ainsi, elle se dit heureuse de rendre aujourd’hui hommage à ces modèles. Esther Senpa Blaksemdi, 25 ans, originaire du Cameroun, est titulaire d’un diplôme de technicienne supérieure en arts et techniques de l’audiovisuel de l’Institut de formation et de conservation du patrimoine audiovisuel de la CRTV. Elle est actuellement journaliste à CRTV Nord.

L'autre lauréat Henintsoa Tiana Miranto Rakotomalala, 26 ans, originaire de Madagascar, est un technicien. Son reportage ‘’tout sonore’’ emmène les auditeurs à la découverte du métier d’éducateur sportif et de la formation des enfants au football. Le jury a salué "un très bon travail sur l’ambiance, une bonne maîtrise technique de la prise de son, une construction cohérente du début à la fin du reportage, et l’originalité du choix du sujet". M. Rakotomalala est titulaire d’un Master en informatique du Centre national de télé-enseignement de Madagascar. Il est actuellement technicien à l’Aceem Radio Madagascar.

BABACAR SY SEYE

 

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