Publié le 24 Oct 2020 - 20:14
CANDIDATURE DE KKB A LA PRESIDENTIELLE

Radioscopie d’une candidature jugée ambiguë

 

Tout nouvel opposant, Kouadio Konan Bertin est actuellement un candidat indépendant. L’homme politique a axé sa campagne électorale autour du renouveau générationnel et de l’unité nationale. Toutefois, à Abidjan, l’opposition est sûre de sa connivence avec le président sortant.

 

Il est le plus jeune des concurrents, mais n’a pas sa langue dans sa poche. Unique candidat indépendant de la Présidentielle du 31 octobre 2020, Kouadio Konan Bertin se veut le candidat des jeunes et celui qui incarne jeunesse et fraicheur aux commandes d’un pays dirigé pendant trop longtemps par des ‘’vieux’’. A ces jeunes qu’il cherche à séduire depuis le début de la campagne, il promet un prêt sans intérêt, remboursable après l’obtention du premier emploi, pour financer leurs études.

Du haut de ses 52 ans, KKB (son surnom) est fortement critiqué par l’opposition ivoirienne qui ne comprend pas sa posture soudaine de candidat indépendant. C’est peu dire que son parcours politique a connu de multiples rebondissements, en raison d’un trait de caractère qui dérange. L’homme est intransigeant, dit ce qu’il pense et cela sans parfois y mettre la forme. Offensif à l’égard de Bédié et de ses successeurs Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, qu’il accuse d’avoir mené la Côte d’Ivoire dans le mur, le quinquagénaire bat campagne pour les ‘’mettre à la retraite’’ et incarner un ‘’renouveau générationnel’’.

Un franc-parler qui passe mal dans sa formation politique d’origine, le Parti pour la démocratie en Côte d’Ivoire (PDCI). A ce jour, KKB est le seul adversaire du président sortant qui a refusé l’appel à la désobéissance civile. ‘’Mon propre parti, le PDCI-RDA, était au gouvernement de 2010 à 2018 avec Alassane Ouattara. Pendant huit ans, ils ne se sont pas souvenus que les conditions ne fussent pas bonnes pour aller à des élections. Ils n’ont pas profité de leur présence au gouvernement pour essayer, avec Ouattara, de régler ces questions-là. Pourquoi, subitement, à un mois du scrutin, on veut conduire les enfants des pauvres à la mort ? On dit qu’on ne veut pas de la candidature d’Alassane Ouattara, mais on fait acte de candidature. Comment peut-on être candidat à une élection qu’on ne veut pas voir se tenir ? Il faut qu’il y ait un minimum de cohérence dans notre démarche. Qu’est-ce qu’on enseigne aux jeunes générations ? Pourquoi, à chaque fois, il faut jouer à ce jeu ?’’, a-t-il martelé mardi dernier, lors du lancement de sa Web TV.

Ce jour-là, comme à l’accoutumée, il ne s’est pas fait prier pour ‘’clasher’’ les membres de l’opposition : ‘’Si on ne veut pas de Ouattara, c’est au peuple de le dire. Je n’ai qu’un seul choix : celui des urnes. J’ai fait le choix de la stabilité, de la paix et de la cohérence. Je profite de l’occasion pour lancer un appel à la jeunesse : il est temps que nous demandions à notre jeunesse de prendre ses responsabilités et de les assumer pleinement. C’est pour eux que je suis candidat.’’

‘’Je n’agis jamais sous la dictée de quelqu’un’’

Fan des costumes de couleur bleu-nuit, Kouadio Konan Bertin peine à gagner en crédibilité dans la lecture politique de bon nombre de ses compatriotes. ‘’KKB a reçu un milliard de franc CFA pour maintenir sa candidature et battre campagne contrairement aux autres candidats. La raison est très simple : il devait donner une certaine crédibilité à la Présidentielle. Au cas contraire, Ouattara serait seul dans sa campagne électorale. C’est cela sa véritable motivation, mais il a intérêt à ce que le jeu ne se retourne pas contre lui’’, renseigne un militant du PDCI rencontré à la résidence du président Henri Konan Bédié.

Notre source confirme la tentative de fuite de ce dernier le mercredi 14 octobre. KKB sera intercepté par des émissaires du gouvernement à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Pourquoi un tel projet ? Sûrement parce qu’‘’il s’est rendu compte de son erreur. KKB se fourvoie, il se trompe de combat et je sais qu’en son for intérieur, il se demande comment faire pour se débarrasser de ce poids qu’on lui a mis sur le dos. Le jour où il prendra la bonne décision, nous le recevrons, car nous l’attendons les bras ouverts’’, assure, pour sa part, le porte-parole de l’opposition Pascal Affi Nguessan. 

Toutefois, de toutes ces critiques, l’homme n’en a cure : il entend bien participer au scrutin du 31 octobre, en dépit du positionnement d’Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan et des autres. Une posture qui renforce les doutes de plusieurs opposants sur sa candidature. À leurs yeux, KKB serait à la solde du pouvoir pour une validation démocratique d’un scrutin joué d’avance.

L’intéressé, lui, assure être droit dans ses bottes. Et dément toute connivence avec le président sortant. ’’À la sortie d’une récente rencontre avec le président Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan a déclaré : ‘Quand KKB comprendra qu’il n’a plus de choix, il nous rejoindra.’ Voici leur logique. Mais je n’agis jamais sous la dictée de quelqu’un d’autre. On n’obtient rien de moi par la force’’, a-t-il laissé entendre au cours d’un entretien.

‘’Il y a du désordre, parce qu’il n’y a pas une stratégie claire’’

Militant du PDCI-RDA depuis plus de trente ans, Kouadio Konan Bertin a été nommé récemment grand conférencier du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, après avoir été président national de la jeunesse du parti. L’homme politique a été, de 2011 à 2016, député de la commune de Port-Bouët (Abidjan Sud). Totalement engagé, tout d’abord aux côtés de feu le président Félix Houphouët-Boigny et, par la suite, fervent défenseur d’Henri Konan Bédié, KKB devient, au fil des années, un dissident au sein de la formation politique.

Tout est parti de l’appel de Daoukro de septembre 2014. Au cours de cette rencontre, Bédié a demandé à ses militants de soutenir la candidature d’Alassane Ouattara. Le parti a ainsi renoncé à choisir un candidat pour la Présidentielle du 25 octobre 2015. Cette décision n’était pas du goût du fidèle allié KKB, qui estimait que la formation devait absolument faire cavalier seul au lieu de se fondre dans le RDR (Rassemblement des républicains) d’Alassane Ouattara. Entêté, il a participé à l’élection en tant que candidat du PDCI.

Un parti qu’il déserte après son échec avec un taux de 3,88 % des votes. Deux ans plus tard, il opère son retour au bercail parce que, selon lui, le parti a décidé de préparer la Présidentielle de 2020, en choisissant une figure issue du PDCI. KKB sera, une fois de plus, à la source de quelques dissensions internes. Le choix de cet homme tardait trop, en son sens ; il fallait faire vite.  ‘’Je ne suis pas un instrument, j’ai décidé de me taire parce que, finalement, ce n’est pas la langue qui est appropriée pour aborder cette question. Je ne suis ni un hypocrite ni un bagarreur. Il y a du désordre, parce qu’il n’y a pas une stratégie bien claire et une victoire se prépare. Je ne suis pas un soldat perdu, mais un soldat éclairé qu’on refuse d’écouter. Le PDCI-RDA se porte bien à sa base, mais a mal à sa tête’’, disait-il l’année dernière au cours d’une émission télé.

Grande fut sa déception de découvrir, quelque temps plus tard, que le PDCI a décidé de remettre Bédié (86 ans) au poste de candidat à la Présidentielle. Un nouvel acte de défiance qui lui vaut, par ailleurs, une convocation devant le conseil de discipline du parti, le 1er octobre, à Abidjan. Il coulait de source que le natif de Lakota (sud-ouest de la Côte d’Ivoire) concoctait discrètement un agenda personnel et s’est, une nouvelle fois, attiré les foudres d’Henri Konan Bédié, en présentant sa propre candidature à la Présidentielle, après une première brouille en 2015, pour la même raison. Et c’est justement face à cette défiance que le bureau politique l’exclut du parti temporairement, le vendredi 2 octobre 2020. Le dimanche 4 octobre, il est investi comme candidat indépendant.

Pour ce titulaire d’une Maitrise en allemand option communication d’entreprise, la Côte d’Ivoire doit avant tout instaurer un climat de paix. Raison pour laquelle l’homme porte en bandoulière cette vision depuis l’ouverture de la campagne électorale. ‘’Il faut changer de logiciel politique. Je veux que les jeunes comprennent que c’est leur temps. Il n’y a que des vieux aux commandes. Cela ne peut perdurer. Je veux que la Côte d’Ivoire, notre pays, avance dans la paix. Je veux servir pour la paix et l’unité nationale’’, insiste-t-il lors d’un meeting, jeudi, à Yopougon. Celui qui se réclame être un pur produit de l’enseignement public ivoirien espère, au soir du 31 octobre, remporter la victoire en dépit de tous les commentaires autour de sa candidature.

 Commentant la Présidentielle à venir, Kouadio Konan Bertin a fustigé "un pauvre remake de 2010, avec le même casting et le même scénario". La justice sociale et la redistribution juste et équitable des richesses du pays occupent le cœur de son programme.

De l’avis de Jonas Koffi, jeune étudiant, ‘’KKB incarne le changement, l’espoir d’une jeunesse oubliée. Nous sommes convaincus qu’il remportera cette élection. La jeunesse doit cesser de se laisser instrumentaliser. La violence n’a jamais rien résolu. Que ceux qui sont inscrits partent retirer leur carte et votent pour KKB, s’ils veulent voir le changement s’opérer’’. En plus d’une campagne électorale bien organisée qui suit son cours, le candidat indépendant a reçu, à deux reprises, une délégation de l’Union européenne. Il s’est agi, selon lui, d’échanges autour de la situation socio-politique du pays.

Toutefois, les opposants voient en ce geste la preuve de sa connivence avec le régime sortant et la communauté internationale. 

CRISE PRE-ELECTORALE

Une journée sans manifestation

L'Organisation des Nations Unies a demandé, hier, aux leaders politiques ivoiriens de privilégier le dialogue. Son secrétaire général les invite à rejeter tout discours haineux et à ''créer un environnement propice à des élections inclusives et pacifiques''. Hier, la ville de Dabou a retrouvé le calme. La gendarmerie nationale a mis la main sur 50 manifestants armés de barres de fer, de morceaux de bois, d'armes à feu et de 40 armes blanches (machettes, couteaux de cuisine, haches et gourdins).

Le bilan provisoire des attaques dans cette localité fait état de 11 morts. Cela, en plus des sept décès notés dans les villes de Bongouanou et Bonoua.

Suite à la disparition subite, hier, du ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation Sidiki Diakité, le président Alassane Ouattara a décrété 72 heures de deuil national. Les activités festives liées à la campagne électorale du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) sont suspendues durant cette période. Mais le parti entend maintenir les rencontres de proximité.

Le défunt ministre était au cœur des négociations entre le gouvernement et les partis politiques de l'opposition.

 
EMMANUELLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)
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