Publié le 13 Feb 2023 - 16:41
CENTENAIRE PRYTANÉE MILITAIRE

Une preuve vivante de l’intégration africaine

 

Alors que les chefs d’État peinent, depuis les indépendances, à réaliser l’unité africaine, au Prytanée militaire Charles N’Tchoréré de Saint-Louis, cette unité est le sentiment le mieux partagé entre les pensionnaires venus des différents recoins du continent. Des enfants de 10 ans aux papys de 70 ans, toutes nationalités confondues, on a chanté l’intégration, à l’occasion du centenaire de l’établissement, autour du thème ‘’100 ans d’excellence et d’intégration africaine’’.

 

Une scène émouvante. Âges entre 11 et 15 ans, fières allures, pas lents, torses bombés, voix tonnant dans le mythique quartier de Bango, les enfants de troupe du Prytanée militaire Charles N’Tchoréré de Saint-Louis, devant le président de la République Macky Sall, chantent l’Afrique, avec des paroles remplies d’émotion. Très haut, très fort, ils entonnent à l’unisson dans une harmonie qui donne des frissons : ‘’Nous marchons gaiement, en cadence. Malgré le vent et la pluie. Et la pluie ! Les meilleurs enfants de troupe de l’Afrique sont là devant vous. Nous voici ! Nous sommes tous des volontaires des quatre coins de l’Afrique. De l’Afrique ! Notre but est de s’instruire. Savoir pour mieux servir l’Afrique… Avec fidélité !’’.

Une dizaine de minutes durant, toujours dans le même rythme, la même cadence, sous le chaud soleil de Bango, les enfants de troupe, sous le regard ému de leurs anciens, des parents, ainsi que du président en exercice de l’Union africaine, poursuivent leur hymne au continent. Avec toujours une voix grave derrière qui dicte le tempo. ‘’Marche, Enfant de troupe, scandent-ils. Dans la cour des sables blancs, un élève tape le sol et le cœur... Et le cœur vaillant ! Marche, Enfant de troupe. Dans la cour des sables blancs, un élève tape le sol et le cœur vaillant….’’

Le spectacle donne simplement envie de redevenir enfant, d’intégrer la famille des enfants de troupe. Mohamed n’a pas participé à la démonstration faite par ses amis. Mais il frémit à chaque pas posé par ses pairs. Fier dans son uniforme, il témoigne de sa voix d’enfant : ‘’C’est un chant qui  nous donne des émotions très fortes. On se rend compte que l’intégration africaine est une réalité dans notre école depuis un siècle. Entre nous, on s’entend bien et on souhaite qu’il en soit ainsi pour toujours’’.

Dans les tribunes décorées aux couleurs du drapeau national, il y a presque toutes les générations. De la promotion de 1951 à celle de 2022. Tous sont réunis, ce 11 février 2023, pour célébrer les 100 ans du Prytanée militaire Charles N’Tchoréré. ‘’Cent ans d’excellence et d’intégration africaine’’, comme l’indique le thème du centenaire. Ici, l’un des sentiments les mieux partagés, c’est celui d’être africain. Les assemblées se constituent d’ailleurs moins par la nationalité des uns et des autres, mais plus par leur appartenance aux différentes promos. Comme au bon vieux temps. Cet officier nigérien insiste sur ce sentiment qui, selon lui, est la meilleure voie pour réaliser l’intégration du continent. Le colonel-major affirme : ‘’Moi, j’ai toujours dit aux gens : si vous voulez que l’intégration africaine soit une réalité, passez par le Prytanée ou les prytanées. L’intégration ne va pas passer par la politique ; elle ne peut se faire qu’à travers des structures comme le Prytanée, qu’à travers une intégration de nos différentes armées.’’

‘’L’intégration africaine ne passera pas par la politique, mais par les prytanées, par les armées’’

Embouchant la même trompette, l’ancien ministre de la Défense du Gabon, Ernest Mpouho, est convaincu que les humanités développées dans l’école ont posé les jalons d’un multilatéralisme agissant, loin des dédales de toutes considérations.

Selon lui, la transposition des particularités au profit d’une singularité commune est le gage de la matérialisation de la vision des chefs d’État qui ne cessent de prôner l’intégration africaine vécue au quotidien au Prytanée militaire. Le défi, pense-t-il, c’est de préserver et de consolider cette unité, de franchir un nouveau cap, dans les 100 ans à venir. ‘’Si nous pouvons nous féliciter du fait que l’école est une réussite, relevons ensemble l’audacieux pari que les 100 prochaines années soient encore plus déterminantes pour le rayonnement d’une Afrique fière, unie et triomphante, comme le premier couplet du chant de l’école : ‘L’honneur des patries rassemblées au sein du Prytanée nous remplit de fierté…’’, enchaine-t-il sous les applaudissements d’un public très enthousiaste.

Président de l’Association des enfants de troupe, Saliou Momar Dieng a beaucoup insisté sur cette fierté africaine qui unit tous les sortants de l’école et qui transcende les différents pays. ‘’… Le Prytanée, s’est-il exclamé, c’est la preuve que cette dynamique d’intégration africaine est déjà une réalité vécue. Elle transcende les pays, les nationalités. En effet, tous les anciens enfants de troupe se sentent profondément africains. Les mêmes noms patronymiques voyagent à travers nos différents États. Les mêmes cultures, les mêmes sonorités musicales, finalement les mêmes familles, les mêmes peuples’’.

De l’avis de M. Dieng,  voilà, au-delà de la culture de l’excellence, ce qui rend le Prytanée d’autant plus spécifique et unique. ‘’Ce sont des générations d’Africains, militaires et civils, qui sont sortis de cette école : des chefs d’État, des ministres, directeurs généraux, hommes de médias, ingénieurs, fonctionnaires internationaux, officiers généraux… Le prytanée, c’est ce moule d’enfants africains qui sont, après sept ans de vie commune et de partage, de joie et de peine, unis par des liens d’amitié solide, une fraternité sans borne, qui finit par transcender ces clivages de nationalité’’.

Puis, dans un calme plat, accompagné par moments par ses pairs, Saliou fredonne le chant de l’école, pour illustrer cette fierté et cette unité : ‘’L’honneur des patries rassemblées, au sein du Prytanée, nous remplit de fierté. Fierté ! Soyons bras levés, dignes de l’école qui nous a toujours cultivés. Pour tout savoir et mieux servir, afin de bâtir un univers uni. Pour tout savoir et mieux servir, afin d’être toujours bien armés. Même si demain le ciel s’assombrit, si le temps devient gris, nous n’aurons peur de rien. Peur de rien ! Si demain, le Ciel s’assombrit, si le temps devient gris, nous n’aurons peur de rien. Peur de rien. L’espoir la mort et la victoire, le destin n’est autre que confiance. Notre étendard défie l’ennemi, redonne du courage et illumine la nuit. Notre étendard défie l’ennemi, de sa devise et de son ampleur.’’

‘’Une école de la vie’’

À travers corvées des sanitaires, brimades des anciens, éloignement familial, de hauts cadres d’ici et d’ailleurs ont été forgés dans la ‘’forêt’’ de Dakhar Bango. Parmi eux, les ministres Serigne Mbaye Thiam, Alioune Ndoye, l’ancien ministre Mouhamadou Makhtar Cissé, le Cemga Abdoulaye Fall, le grand chancelier de l’Ordre national du lion Gl Meissa Niang, le professeur Gallo Diop, neurologue, pour ne citer que ces derniers.

Si elle est particulière par son caractère fédératif des Africains de tous les horizons ainsi que la qualité de son enseignement académique, le Prytanée, c’est aussi une école de la vie qui forme, qui éduque et qui forge. Docteur en droit et sciences politiques issu de la promotion 1979, ancien du barreau, ancien directeur général du Budget, ancien directeur de cabinet du président de la République, ancien ministre du Pétrole et des Énergies, Mouhamadou Makhtar Cissé se rappelle la corvée des blocs, dont parlait déjà le président Ernest dans son discours. Il explique : ‘’La corvée des toilettes, on le faisait à tour de rôle. Naturellement, c’est désagréable, sourit-il. C’est pourquoi tous les AET gardent un souvenir de cette corvée que l’on appelait la corvée des blocs : les blocs sanitaires s’entendaient. Et c’est ce qui est assez particulier pour le Prytanée qui est une école de la vie en quelque sorte. Au-delà de l’enseignement académique et militaire, il y a surtout une formation pour la vie. C’est pourquoi on nous habituait à faire nous-mêmes notre linge, à faire la corvée, à être organisés simplement.’’

Au Prytanée, on y entre à 10 ou 11 ans. Pour en sortir au bout d’un séjour de sept années, longues et exaltantes. Loin des familles et autres amis d’enfance. Pour l’inspecteur général d’État, c’est des moments inoubliables dans la vie des anciens pensionnaires. ‘’C’est toujours un plaisir, un plaisir teinté d’émotion, de revenir sur ces lieux. Cela nous replonge dans le souvenir de notre enfance, de notre adolescence. Et forcément, c’est une période qui nous a marqués et c’est ce qui explique le lien quasi irrationnel qui unit tous les enfants de troupe, qu’on soit ou pas de la même promotion ou du même pays’’.

Il faut le reconnaitre, soulignait quelques instants plus tôt l’ancien ministre de la Défense gabonais, ‘’se côtoyer quotidiennement, partager les mêmes repas - pour ceux qui savent en se faisant souvent taillés - les mêmes dortoirs, les mêmes salles de classe, les mêmes sanitaires - j’apprends qu’aujourd’hui il n’y a plus la corvée des sanitaires - un vrai sacrilège !’’, déclare-t-il nostalgique, dans une ambiance bon enfant, avant d’ajouter : ‘’Tout cela a consolidé les liens d’amitié tissés au fil des ans.’’

Dans cette construction de l’homme en devenir, il n’y a pas de temps à perdre. Dès le premier jour, les ‘’bleus’’, comme on les appelle, sont mis à l’épreuve. L’ancien ministre gabonais se souvient comme au premier jour de l’accueil peu avenant dont il avait eu droit, à son arrivée à Bango, un jour d’octobre 1978. ‘’J’ai commis l’impair de me présenter auprès d’un ancien comme étant enfant de troupe. Il m’a rectifié et m’a donné la bonne formule. Il m’a dit : ‘Enfant de troupe ? Non. Dites plutôt animal de brousse Ernest Mpouho, venant de la forêt dense du Gabon’’’, s’est-il rappelé nostalgique. Avant d’ajouter : ‘’Ça, c’était la présentation en octobre. En décembre, après avoir reçu l’insigne, j’étais devenu un enfant de troupe. C’est pour ça qu’on dit : enfant de troupe un jour, ancien enfant de troupe pour toujours.’’

Pour lui, les premiers pas dans l’école sont toujours teintés d’émotions ineffables. Entre les hésitations, la nostalgie du pays, la crainte, la méfiance, la curiosité… Autant de sentiments dans le cœur d’un petit enfant de 10 ans, à des milliers de kilomètres des siens. Mais progressivement, tous ces sentiments disparaissent. La prise de conscience aidant, plus rien ne vaille, si ce n’est l’envie de réussir, le sentiment d’appartenance à une nouvelle famille : celle des enfants de troupe du Prytanée militaire Charles N’Tchoréré.

‘’Les appréhensions de départ, insiste-t-il, font très vite la place à la cohésion, la confiance mutuelle, la solidarité, l’entraide, le partage et l’amitié. C’est ce lien que certains trouveront irrationnel, mais c’est ça le Prytanée militaire Charles N’Tchoréré’’.  

Les papys racontent leur Prytanée

Issu de la promotion 1970, Ada Diack est très content de rencontrer ses classes en ce jour marquant les 100 ans du Prytanée. Saint-Louisien, il a la chance de visiter l’école très régulièrement, presque à toutes les cérémonies, mais à chaque fois, c’est avec un goût un peu particulier. Pour le centenaire, il confie : ‘’Je suis particulièrement ému d’avoir rencontré des classes qu’on n’a pas vues parfois depuis 40 ans. C’est aussi une fierté de rencontrer presque toutes les générations. Des plus anciens, des cadets… C’est vraiment de grandes retrouvailles. Il y a beaucoup d’émotion.’’ Ingénieur agronome à la retraite, le papy revient sur ses années passées dans l’école. ‘’À l’époque, dit-il, il n’y avait pas de permission. On passait toute l’année entre ces quatre murs. Cela a permis de tisser des relations très solides. Partout en Afrique, quand on se rencontre, on se traite comme des rois. C’est des liens inexplicables’’.

Contrairement à Ada, Oumar Diouf n’a pas eu la chance de revenir dans l’école depuis sa sortie en 1976. ‘’Pour les 100 ans, soutient-il, il était hors de question de les rater. Nous, nous avons eu la chance d’avoir été là, lors des 50 ans. Nous avons été choisis pour faire des démonstrations devant le président de la République Léopold Sédar Senghor. C’est donc un peu particulier d’être encore présent pour le centenaire. C’est magique, cela réveille beaucoup de souvenirs’’.

Le papy se rappelle comme au premier jour son premier jour à l’école. ‘’Nous sommes descendus ici devant le réfectoire. On avait quitté Dakar à 6 h du matin à bord du train ; on est arrivé à la gare vers 12 h 30-13 h ; on a pris le camion et on est arrivé directement au réfectoire. J’avoue que j’ai eu un peu peur. Il n’y avait pas tous ces bâtiments, il y avait beaucoup d’arbres, des anciens qui vous intimident… La meilleure leçon de ma vie, je l’ai eue ici. On t’apprend le courage, la détermination, l’esprit de camaraderie’’, se souvient-il, non sans rappeler le pari qu’il avait fait avec son père, qui ne le voyait pas réussir au concours. ‘’Quand j’ai dit à mon père je veux passer le concours, il m’a dit : ‘Toi ? Tes frères sont plus brillants et ils n’ont pas réussi.’ C’est alors devenu un défi pour moi. Quand il a eu les résultats, il est resté deux jours sans les communiquer. Il était très fier’’.

Un sentiment de redevabilité qui transcende les générations

De plus de 10 ans leurs cadets, Moustapha Fall a vécu une autre époque. Mais le ressenti reste toujours le même. Fier d’appartenir à cette communauté. Il déclare : ‘’C’est toujours un plaisir de revenir ici. Un plaisir de rencontrer des personnes que l’on n’a pas vues depuis des années ; des anciens qui ont été là dans les années 1960 et même de 1959. C’est vraiment fou’’. Sur les liens assez particuliers avec l’établissement, il explique : ‘’Nous nous sentons redevables envers cette école. Ce que nous sommes devenus, c’est grâce à l’école. C’est pourquoi, à chaque fois que l’école appelle, nous répondons et apportons notre contribution.’’

à travers les âges, il y a eu une véritable révolution. Au-delà des bâtiments et installations modernes, le corps enseignant, les conditions de vie, les servitudes, beaucoup de choses ont évolué. Monsieur Diack revient sur les années 70 : ‘’Presque tous nos enseignants étaient des Blancs. Il n’y avait que trois Sénégalais. De plus, on ne sortait que lors des grandes vacances. Les fêtes de Noël, de Paques, de Tabaski, tout se passait ici. Et on passait toutes les fêtes en famille, dans l’école.’’ Des fêtes qui ont aussi marqué le Dr Medha Koyandaco, Centrafricain vivant en France, venu spécialement pour la fête.

Pour lui, c’est toujours une fierté de revenir dans les lieux de leur enfance. Il témoigne : ‘’Je me suis souvenu des fêtes que nous célébrions ici ensemble, notamment le pèlerinage marial de Popenguine, les activités sportives dans le cadre de l’Uassu... Ce sont ces images qui défilent dans notre mémoire. Je peux vous dire que notre vie s’est dessinée à partir de ce lieu.’’

MOR AMAR

 

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