Publié le 7 Aug 2021 - 02:38
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Amour, imposture et sanction

 

Khadim Mboup, l’imposteur énamouré, et Kangué Dioum, sa dulcinée manipulatrice, ont comparu hier devant leurs juges. Au final, ils écopent de 7 jours de prison. On est loin de la sanction d’exemplarité qui eût justement condamné la fraude aux yeux d’une jeunesse qu’elle semble de plus en plus fasciner. Mais le ministère public a évoqué ‘’l’apaisement sans être dans la faiblesse’’. Chacun appréciera en fonction de l’idée qu’il se fait de la morale et de l’intransigeance que parfois elle requiert sans pour autant verser dans l’aveuglement.

 Devant leurs juges, les deux tourtereaux, qui ont bravé peurs et interdits, ont présenté leurs excuses à la société, conscients d’avoir été, le temps d’un examen, le contre-exemple d’une société de la performance et de la vertu. L’amour et les vertus qu’il porte en soi ; les passions qu’il inspire et les audaces qu’il inocule, ne suffisent pas à expliquer, à eux seuls, la décision qu’a prise Khadim Mboup de se déguiser en femme, pour composer en lieu et place de Kangué Dioum, aux épreuves du baccalauréat.

Cet acte prémédité en toute connaissance de cause et de sang-froid, indique un désir de transgression, une indifférence à la violation de la loi pour atteindre un objectif qui ne sert que soi ; que ses désirs ; que les impératifs de ses propres appétences. C’est, d’un humble point de vue, ce qu’aurait dû sanctionner les juges pour dire le refus de la société sénégalaise, dont on est prompt et unanime à dénoncer l’affaissement, pour ce genre de transgression qui résonne comme une jurisprudence du vice et de la triche. Aucune société préoccupée par l’éthique et la morale de ses contemporains ne saurait y adhérer, sous peine d’être confrontée, sous peu, à des délits plus graves. Un délit toléré se mue tôt ou tard en crime.

Le tribunal de Diourbel a voulu faire preuve d’humanité et de pédagogie psychologique. Qui s’en plaindrait ? Khadim Mboup est à peine âgé de 22 ans. Sa copine, qui sait apparemment comment obtenir d’un homme ce qu’elle veut, n’a pas attendu la vingtaine pour tenter un coup de maitre : elle n’a que 19 ans… Et déjà l’aversion de l’effort et le goût de la manipulation.

Bref, ce n’est pas ce qu’ont vu les juges : ils ont vu un genre de couple que la passion perd. Tristan et Iseut ou quelque chose du genre : un de ces couples maudits dont l’amour émeut par la puissance de sa sincérité et par la spontanéité de son abnégation. Du moins de la part du jeune homme. Car la belle-aimée, elle, n’a rien risqué ; elle a tout voulu prendre, jusqu’à l’avenir de l’homme qu’elle a réussi à convaincre de son amour. Une tête à claques, ce Khadim ! On la lui administrerait volontiers, tant est sidérante sa naïveté… Mais qui n’a pas été éperdu d’amour à son âge ? Que celui qui ne l’a jamais été lui jette la première pierre…

C’est sans doute cette pierre que n’ont pas voulu jeter les juges, se revoyant en lui avec sa jeune frimousse de révolutionnaire du cœur, vingt ou trente ans plus tôt. Se dérobant sagement à ce tribunal des passions et laissant là, sur la place de la lapidation, le pécheur, avec son sauveur inespéré : l’opinion.

Une opinion que l’anecdote a amusée dès le début et qui a fini par la retourner en vaudeville de la décompression en ces temps terribles où le variant Delta du coronavirus continue d’occire, à franches coudées, une population perplexe et terrifiée.

Mais l’on aurait tort de se cantonner à la contagiosité de cette hilarité : le délitement scolaire déferle en inquiétantes accélérations ; violences, corruption, tricheries et, à la clef, imposture au service du cœur et au détriment de la morale collective et particulièrement scolaire. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais son actualité nous rappelle que rien n’a été fait contre cet effondrement progressif et que l’école sénégalaise n’est plus seulement malade dans son corps, mais depuis, aussi, dans son âme.

Qu’a voulu faire Kangué Dioum ? Se soustraire à l’effort et légitimer cela par l’amour. Passer cette étape du baccalauréat par la fraude et immerger dans l’univers des études supérieures avec les mêmes réflexes et la même morale blette du contournement et de la fuite. Seuls comptent tout ce que l’on peut ravir et accaparer au bout du tunnel, par tous les moyens : l’argent, la gloire et toutes ces choses sans lesquelles elle aura appris à penser le monde comme une abstraction.

Il faut dire que la société dans laquelle elle vit ne lui sert pas de contre-exemple ; celle-ci accrédite l’idée de la puissance et de la fortune comme marqueurs du bien-être et moteurs de la joie ; elle ridiculise l’esprit en faveur de la puissance, au point même d’assimiler la passion de la pensée à un fléchissement de la raison.  On désigne le philosophe, dans les rues de Dakar, par le vocable métaphorique de ‘’philodof’’, dof signifiant fou…

C’est ainsi qu’au long du temps, l’on a discrédité le savoir dans l’esprit des apprenants et instillé la tentation de la tricherie.  Les laxismes successifs ont construit et alimenté la facilité chez les élèves. Sur ces terres blettes, ont proliféré violences et irrespect de l’enseignant, dans la liberté des vices acquis et leur périlleuse expression.

Samedi, à Diourbel, une surveillante sourcilleuse a mis un terme à l’odyssée rocambolesque d’un imposteur transi d’amour. Hier jeudi, la loi l’a condamné pour le symbole. Le reste du travail se fera en lui : celui de la maturité et de la responsabilité. Celui du cheminement difficultueux, mais nécessaire de sa reconstruction. Il faudra l’y aider.

 

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