Publié le 4 Dec 2021 - 13:00
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Quand les "chiens" ne se taisent plus...

 

La grève déclenchée depuis quarante-huit heures, par les syndicats de transport, aura largement impacté la vie au quotidien des citoyens et, au-delà, la vie nationale. En dehors de la métropole dakaroise, plusieurs localités en province ont été touchées par le mouvement déclenchée par 14 organisations du Cadre unitaire des syndicats des transports routiers du Sénégal.

En onze points, les syndicats ont déposé des revendications pour réclamer la fin "des tracasseries par la police, la douane, la gendarmerie et le service des Eaux et forêts, les arrestations de chauffeurs" et protester contre les ‘’conducteurs clandestins".

Pas de réaction à l'heure où ces lignes sont écrites, de la part des pouvoirs publics pour apaiser et pour ouvrir les chemins du dialogue contournés jusqu'ici par ceux-ci pour laisser se déliter une situation dont la dégénérescence était pourtant annoncée depuis le mois de juin dernier, lorsque les premiers signaux de ras-le-bol furent lancés. En dehors, bien évidemment de cette rencontre avec Mansour Faye, Ministre des Transports, rejetée par les syndicats qui privilégient des échanges plus étendus avec tous les ministres concernés par la question.

Et pour cause ! Le système de corruption dénoncé par les professionnels et dont le point de départ est désigné sous le vocable de "tracasseries policières", alimente, de la base au sommet le plus insoupçonnable, une chaîne alimentaire népotiste, ploutocratique, aristocratique et politique.

Quant à la concurrence déloyale des "privés", elle révèle l'incapacité de l'État à gérer un secteur dans lequel ses propres dignitaires ont des implications coupables et envers lequel il fait l'aveu de son impéritie imaginative et des limites de son autorité.

Les griefs des syndicats sont nombreux ; ils traversent l'étendue de la nécrose des pouvoirs publics dans son inaptitude à arbitrer et à trancher. Ils révèlent, en tout cas, la compromission de l'État et l'étendue de ses faiblesses qu'il n'arrive pas à dissimuler derrière le mur factice d'arrogance qu'il a érigé par le silence depuis 72 heures...

C'est un silence similaire par la compromission que le pouvoir observe sur la douloureuse question des loyers qui ne cessent d'augmenter au Sénégal depuis bientôt vingt ans et de façon exponentielle. En 2014, l’Etat du Sénégal avait procédé à l’adoption de la loi n°2014-03 portant baisse des loyers. L’objectif de cette législation était de réguler les montants des loyers, en imposant une baisse de 4 à 29 % sur les prix qui étaient alors pratiqués. L'effet escompté n'eut pas lieu et les prix ont grimpé de plus belle, figeant locataires dans la perplexité de l'impuissance et dans la peur de l'insolvabilité. Certains bailleurs ont même rivalisé de stratégies et de subterfuges pour maintenir les loyers au même prix, quand ils ne les augmentèrent pas plus cyniquement.

Face à la chienlit, les pouvoirs se sont tus, adoubant par un silence coupable sinon de connivence, l'excroissance d'un pouvoir parallèle, celui de l'immobilier, au demeurant régenté par certains apparatchiks de leur propre crû...

Cela n'a eu au plan social qu'un seul résultat, celui de livrer les locataires à eux-mêmes, à leur désespérance et au secours hypothétique des réseaux sociaux, devenus, "in fine", leur seul recours.

La flambée permanente et vertigineuse des loyers, notamment à Dakar, est un étouffoir. Le taux des expulsions des locataires qui se prononcent chaque semaine au tribunal, en est le témoignage. Il ne résulte que rarement de la mauvaise foi ou de l'indélicatesse des locataires, mais de l'asphyxie que les loyers opèrent en cours de route, sur leur respiration sociale. C'est un drame qui se joue en sourdine et qui implique des milliers de nos concitoyens.

Pendant combien de temps, encore, l'État se taira-t-il ? Le temps, sans doute, qu'éclatent, en cascade, les premiers drames.

Ouvrir les yeux sur cette réalité en intervenant d'une main de fer sur la réduction des loyers, exige en amont un moratoire sur les expulsions, le temps d'un règlement définitif de la question. Dans un souci de justice sociale, d'équilibre sociétal, de solidarité universelle et d'humanité. C'est la responsabilité première de toute gouvernance. C'est le rôle de l'État. C'est son devoir d'ouvrir les chemins du dialogue partout où les hommes se dressent contre leurs conditions, s'indignent des injustices qu'ils subissent et appellent à plus de respect.

 Les "chiens" ne se taisent plus.

Section: