Publié le 24 Aug 2021 - 00:06
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Sinistres et lassitude

 

Les sinistrés de Tivaouane-Diacksao ont barré, hier dans l'après-midi, l'autoroute à péage, pour exiger l'évacuation des eaux pluviales qui empoisonnent leur existence depuis plusieurs jours. Si eux ont trouvé le moyen d'exprimer leur colère, il n'en est pas de même pour les milliers d'autres Sénégalais qui vivent dans le silence les    affres des nouvelles inondations qui, cette année, déferlent sur de nombreuses localités et les paralysent.

Le ministre de l'Intérieur, Antoine Felix Diome, a annoncé, samedi, le déclenchement du plan Orsec censé faire face aux conséquences des intempéries, autant au plan matériel qu'humain. Ce plan est, en théorie, le principal mécanisme de coordination et de gestion des catastrophes et urgences au Sénégal.

Pour beaucoup, il résonne, l'efficacité en moins, comme le mimétisme du plan homonyme français qui gère en Hexagone, catastrophes naturelles et humaines avec la mobilisation effective de tous les moyens humains et techniques prévus pour y concourir. Dans l'instant et la durée.

Il se trouve que chez nous, ce plan est le énième en termes d'inefficacité. Ce qui explique la lassitude des populations et souvent leur colère. Isolées dans l'inconfort de la saleté, des biens détruits et de l'insécurité auxquels s'ajoute la paralysie de leurs activités, elles en oublient les efforts gouvernementaux pour soulager leurs souffrances et faire reculer les eaux. Et ces efforts se chiffrent en milliards de nos francs, depuis 2012. Keur Massar, Diamaguène, Pikine, Keur Mbaye Fall, pour ne parler que de ces localités, connaissent le calvaire des pluies de l'angoisse et des nuits blanches de l'inconfort et de la peur.

En banlieue comme dans certains quartiers dakarois, la réalité est là d'une ville qui se porte mal dans ses canalisations, qui peine à évacuer ses eaux et dont le sol se fait aussi complice des dérèglements d'une nature en colère...

Si un important dispositif de pompage des eaux a été assez vite mis en place avec les moyens qu'il induit, en l'occurrence plus de 500 millions, si un effort est enclenché en vue de libérer les exutoires d'eau souvent bloqués par l'incivisme des populations elles-mêmes, il n'en demeure pas moins que la question se pose de l'efficacité de ces initiatives. Elles paraissent plus être des solutions conjoncturelles que structurelles et cette approche a fini par devenir une posture : celle qui fait perdurer depuis plusieurs années une situation de fatalité et qui renouvelle du côté des pouvoirs publics les mêmes thérapies, les mêmes pansements, dans l'attente des mêmes recommencements, comme dans une sempiternelle et inévitable tragédie.

Car la cause de ces inondations, hormis la violence des éléments, a semble-t-il été, depuis toujours, mal identifiée. Une voix scientifique autorisée a semblé y voir un peu plus clair, et nous adhérons à son point de vue : la récurrence des inondations semble être plus imputable à la mauvaise application ou l’inapplication d’un certain nombre de règles de planification de l’espace urbain, qu'à autre chose. Les occupations dans les zones urbaines, anarchiques et mal pensées dans la fièvre avide du gain et de l'enrichissement par l'immobilier, ont affaibli les sols en l'absence de toute organisation et de toute planification. Et "il se trouve que dans la planification de nos villes, il y a eu un déphasage entre la mise en œuvre des outils de planification et les occupations".

Les efforts mis en place par l'État, notamment par les différents plans Orsec, n'ont pas réussi leur sublimation par la prise en considération de paramètres qui dépassent le cumul des pluies, contre lequel d'ailleurs l'homme ne peut rien, ou les difficultés d'évacuation des eaux. Il semble que pendant longtemps, l'on s'en soit tenu à cela et rien n'indique que l'approche va changer dans les prochaines années. Les politiques publiques successives se sont figées dans le soulagement ponctuel des populations et dans la perspective d'un recommencement perpétuel des mêmes fléaux. Les dérèglements que s'autorise, chaque année, la nature, ne risquent pas d'être, pour l'avenir, de bons alliés...

En l'absence d'un système d'évacuation par gravitation naturelle, oui, il faut repenser l'habitat dakarois ; accompagner les mouvements d'exode rural  vers des solutions de logements qui tiennent compte des règles qu'impose  la nature dans ses manifestations troubles, qui tiennent compte de la nature des sols et des possibilités pragmatiques d'évacuation des eaux, en cas de sinistre.

 

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