Publié le 10 Sep 2021 - 20:52
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Vérités interdites

 

Finalement, la marche du collectif Noo Lank, prévue pour ce jour, pour dénoncer l'augmentation des prix des denrées de première nécessité et la cherté de la vie, aura été interdite. L'"éruption de la faim", comme elle est chantée dans "l'Internationale", devra donc se calmer en "son cratère", en attendant une autre opportunité.

Si la manifestation prévue pour dimanche en banlieue dakaroise est, quant à elle autorisée, les mécontents de la conjoncture pourront battre pavée et dénoncer avec leurs mots et leur colère l'insupportable inflation qui installe dans le pays, depuis quelques mois, morosité et irritation. Mais il est fort à parier que la logique qui a prévalu pour l'interdiction d'une manifestation, à maints égards légitime, le vendredi, n'aura pas pris une ride le dimanche. Et cette logique n'est nulle autre que le refus d'entendre les échos d'une colère nationale générée par la faillite d'un système permissif qui a laissé s'affaisser la puissance publique et l'autorité qui l'incarnent, au profit des forces de la spéculation, de la surenchère et de la duperie publique.

Car la responsabilité de la situation n'incombe pas au seul contexte sanitaire auquel l'on a voulu faire porter la charge des dérèglements. Une augmentation de 40 à 60 % des prix des produits de première nécessité, laisse indiquer une implication de paramètres qui dépassent le champ conjoncturel. Les Cassandre de l'univers macro-économique avaient tablé sur une inflation qui demeurerait stable en 2021, autour de 2,1 %. On en est bien loin, dans le contexte actuel. Et le consommateur sénégalais n'a que ses yeux pour pleurer et ses poings pour jurer contre la faillite ostensible d'un Etat qui légifère par instructions. Ainsi, après avoir décidé de la suspension de certaines taxes douanières et consenti à baisser la TVA sur certains produits, le chef de l'Etat se sera juste contenté d'appeler ses ministres concernés par l'envol des prix, à veiller "à la vulgarisation et à l'application intégrale des mesures gouvernementales de stabilisation durable des prix des denrées courantes sur l'ensemble du pays". On ne fait pas mieux dans le vœu pieux et les spéculateurs le savent bien, qui doivent s'amuser de l'ingénuité affectée du gouvernement.

Et l'on plonge plus profondément dans le cynisme du pouvoir, lorsqu'il évoque la sempiternelle question des loyers "dont le système de régulation doit être évalué et amélioré de façon concertée". Un peu comme si l'on découvrait, soudain, la problématique préoccupante du loyer au Sénégal et particulièrement sur Dakar qui est source, au quotidien, de terribles drames familiaux et de désespérances sans nom. Dans un pays où le salaire mensuel moyen par habitant est de 121 dollars, soit à peu près 65 000 F CFA, l’on ne peut occulter le scandale de F3 rarement loués à moins de 200 000 F CFA. Dans l'univers glauque de la spéculation, le locataire est le jouet des agences immobilières et des propriétaires qui opèrent avec cynisme et mépris, souvent avec la complicité de fait du système judiciaire, lorsque surgissent les conflits.

Mais sur ces questions, les pouvoirs publics se taisent, confessant ipso facto une impuissance dangereuse face au Léviathan que constitue l'univers de l'immobilier et celui du commerce qui s'est même arrogé le pouvoir de déclencher des pénuries factices pour contraindre l'État à un ajustement des prix.

Celui-ci n'est pas sorti de l'auberge avec de tels partenaires. La seule rationalisation des dépenses publiques et la mobilisation des ressources intérieures ne suffiront pas à contrer tout le temps de subites inflations que le contexte ne justifie pas toujours. Un contrôle plus rigoureux des prix, une implication plus volontariste de l'État dans le prix des services, avec la menace de sanctions concrètes à la clef, peuvent être une première réponse à ce libéralisme débridé qui semble être devenu l'inspiration de nombreux acteurs du secteur privé ou semi-public.

Dimanche, les militants de Noo Lank tenteront, une nouvelle fois, l'initiative du pavé. S'ils n'en sont point empêchés, il faut croire qu'ils sauront porter le cri juste qui placera les pouvoirs publics devant leurs responsabilités, dans le sens de l'autorité retrouvée sur un tissu économique qui peut, à tout moment, impacter tragiquement le tissu social. Attention !

 

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