Publié le 22 May 2022 - 22:26
CIRCULATION D’ARMES LÉGÈRES AU SÉNÉGAL

Les contrecoups d’un voisinage

 

Le Sénégal reste confronté à la circulation d’armes légères et de petit calibre. Si l’instabilité de la sous région est un facteur décisif, il n’en demeure pas moins qu’il y a des facteurs endogènes non négligeables. Petit aperçu sur les types d’armes, les lieux de circulation et de vente. Sans oublier les mesures techniques et législatives prise par l’Etat pour endiguer le phénomène.

 

Moins que la circulation d’armes connues et dont les porteurs disposent d’un permis, le Sénégal est plus confronté à un problème de trafic d’armes légères et de petit calibre. Un nombre important circule au sein du territoire, même s’il est difficile de déterminer le chiffre. La seule assurance est que la majorité de ceux qui détiennent ces armes n’ont pas un dessein criminel. Ils sont soit des chasseurs, soit des individus qui cherchent à se protéger et à sécuriser leurs biens. Mais il faut être prudent, car dans certaines circonstances, elles peuvent être utilisées dans le mauvais sens, comme en témoigne les homicides sous l’effet de la colère. Les autorités le savent et n’ont cessé de prendre des initiatives depuis des décennies, mais le combat reste difficile du fait de plusieurs facteurs, les uns exogènes et les autres endogènes.

Parmi les facteurs exogènes, les plus déterminants sont l’instabilité sociopolitique des pays de la sous région et les trafics transfrontaliers. ‘’La majorité des armes circulant au Sénégal provient de la sous-région. Des armes de calibre militaire et des armes artisanales sont notamment introduites depuis la Guinée-Bissau et la Guinée’’, relève le chercheur Cyril Lambolez  dans une publication datée du 25 mai 2016 et intitulée ‘’Contrôle des armes légères et de petit calibre au Sénégal : pratiques et enjeux’’. Que ce soit le Mali, la Mauritanie ou la Guinée Bissau, tous ces pays font face à plusieurs fléaux tels que le terrorisme et le narcotrafic. Ces activités criminelles ont pour conséquence la circulation intense d’armes. Ainsi, avec la porosité des frontières, ces engins de la mort atterrissent facilement sur le sol sénégalais. Il faut relever aussi la complicité des communautés locales, les mêmes des deux côtés des frontières et qui ‘’privilégient la loyauté ethnique à la loyauté civique’’. ‘’Dans ces conditions, il n’est pas facile pour l’État de traquer des malfaiteurs qui peuvent trouver refuge de part et d’autre de la frontière’’, fait remarquer le chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP).

M. Lambolez a aussi essayé de retracer le parcours des armes. À son avis, le trafic irait plutôt du Sénégal vers le Mali. Il en veut pour preuve les caisses supposées appartenir à la gendarmerie sénégalaise et récupérées par l’armée française à Gao. Ou encore ‘’celle du porte-conteneurs Sea Soul, qui contenait officiellement 10 000 fusils destinés au Mali et qui a été probablement sabordé par son équipage, du fait de sa mise sous surveillance’’. Tout cela sans compter un petit trafic d'armes artisanales et de poing à partir de la Mauritanie et de la Gambie vers le Sénégal.

Vol de bétail, braquage, braconnage, exploitation minière

Sur le plan interne, la circulation des armes s’explique par des besoins spécifiques en fonction des  régions. La révélation est d’une équipe composée d’Abdoulaye Diop Bathily, Hawa Deb Diouf Keita et Salie Thiam Labou, co-auteurs de l’article ‘’Problématique de la dissémination des armes légères et de petit calibre au Sénégal’’, publié en 2012. Ces auteurs expliquent qu’en raison de la guerre, la Casamance est une zone de circulation. Aujourd’hui encore, elle l’est, même si les motivations ne sont plus les mêmes. Maintenant que les revendications politiques s’amenuisent, beaucoup de ces armes sont encore utilisées dans le braquage, le braconnage, le trafic de bois  et autres activités criminelles.

Le Nord du Sénégal vit aussi le phénomène. Selon ce document, les commerçants se procurent en Mauritanie de ‘’petites quantités’’ d’armes de chasse de ‘’calibre 12’’. Celles-ci transitent vers le Fouta pour arriver à Dahra, une localité pastorale confrontée au vol de bétail. Le Sénégal oriental de son côté fait face aux tensions d’une exploitation minière. Avec l’arrivé des populations venant des autres pays (Guinée Conakry, Mali, Sierra Léone, Nigeria) se développent le trafic de drogue, le proxénétisme et le braconnage à la forêt de Niokolo-Koba. Au centre du pays, l’on note à la fois de petites quantités d’armes légères de fabrication artisanale et des armes de poing. ‘’Ce trafic illicite est le fait de petits commerçants qui se les procurent en Gambie’’, précise l’équipe des trois.

Quant à la région du Cap-vert, ses résidents éprouvent de plus en plus la nécessité de s’armer ‘’pour assurer leur sécurité individuelle’’ face à la montée de la criminalité propre aux grandes villes. ‘’Ces armes proviennent pour l’essentiel de la zone ou façade maritime (Port Autonome de Dakar et la Gambie) et des autres zones citées ci-dessus’’, ajoute le document. Toutes ces formes de criminalité localisées font appel à un armement des potentielles victimes, augmentant ainsi la circulation des armes au Sénégal. Lesquelles ‘’peuvent contribuer à alimenter, prolonger et exacerber la violence armée, criminelle ou politique, ainsi que le terrorisme’’. D’après plusieurs sources, les principaux points d’approvisionnement sont bien connus au Sénégal. Le marché Ocas de Touba est sans doute la tête de liste ; il est toujours cité en premier. Cyril Lambolez soutient même qu’il est possible d'y acheter différents types d'armes et de munitions. ‘’On a l’habitude de dire qu’au marché Ocas, il est plus facile d’acheter une arme qu’un coq’’, rappelle le colonel Alioune Ndiaye, retraité de la police.

Ocas, Médina Gounass et Diaoubé, les points d’approvisionnement

Autres lieux identifiés, Médina Gounass et Diaoubé. Dans toutes ces localités, la circulation est plus intense lors des cérémonies religieuses et marchés hebdomadaires, souligne le chercheur. Par ailleurs, des armes pas nécessairement illégales au départ finissent par rester en marge de la loi. Il s’agit d’arme obtenue légalement mais dont le permis n’a pas fait l’objet de renouvellement, celles temporairement importées par les touristes pour servir de chasse et qui disparaissent après, ainsi qu’une arme héritée et dont le nouveau propriétaire n’a pas de permis à son nom. Il s’y ajoute que même si les Forces de défense et de sécurité ont des armes marquées et enregistrées, il n’existe pas de registre national centralisé et informatisé. Le risque de perte n’est donc pas inexistant.

Conscient de tout cela, le Sénégal a pris les devants il y a des décennies ; bien avant l’apparition du terrorisme qui est venu s’ajouter à la menace. Ainsi, une législation stricte a été faite dans ce sens dès 1966. La loi 66-03 dispose en son article premier que ‘’la fabrication, l’importation, l’exportation, le commerce, l’entreposage, la cession, l’acquisition, la détention, le transport et le port des armes et de leurs munitions, de leurs pièces détachées ainsi que du matériel spécial pouvant servir à leur fabrication, sont interdits, sauf dans les cas ou dans les conditions déterminées par la présente loi’’. Le Sénégal dispose de trois armureries, bien suivies d’après le ministère de l’Intérieur. Aucune fabrication locale n’est autorisée. Et pour mieux lutter contre le trafic, le pays a adopté le Moratoire de la CEDEAO du 31 octobre 1998 à Abuja. Afin de se conformer à son Code de conduite de décembre 1999, il a été créé le 10 octobre 2000 la Commission nationale de lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères au Sénégal (COMNAT).

Cette institution ayant pour mission d’assister l’Etat dans sa politique de contrôle des armes a longtemps dépendu du budget du ministère des Forces Armées. Aujourd’hui, elle dispose de son propre budget : 40 millions F Cfa de dotation de l’Etat et 40 000 dollars de subvention de la CEDEAO. Cependant, cette dernière ligne budgétaire n’a pas été libérée en 2014 et 2015, d’après M. Lambolez, limitant ainsi les actions prévues. Malgré ces difficultés, la commission a fait un travail allant dans le sens d’adapter la loi au contexte national et aux engagements communautaires. Un avant-projet a été élaboré et déposé au ministère de l’Intérieur depuis le 30 septembre 2014. Mais les services d’Abdoulaye Daouda Diallo traînent les pieds. ‘’À ce jour, près d'un an et demi après, et malgré le soutien affiché des députés et des autorités à l’avant-projet de loi, l'Assemblée nationale n'a toujours pas reçu de projet de loi’’, souligne le membre du  Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité. Interpellée sur ce point, la communication de la Police soutient que les agents s’affairent autour de ce texte qui ne tarderait pas à être proposé à l’Assemblée.

‘’Seules quelques armes sont introduites lors du franchissement d'une frontière’’

Pourtant, en dépit de ces limites, le travail reste efficace. Le Sénégal est l’un des pays les moins affectés de la sous-région. Ceux qui se sont penchés sur la problématique soutiennent que le trafic n’est pas d’une grande ampleur. ‘’Seules quelques armes sont introduites lors du franchissement d'une frontière. Si des saisies importantes ont été réalisées, le plus souvent, il s'agit de petites quantités ne dépassant pas la demi-douzaine d'armes’’, affirment les co-auteurs. Pour eux, cette circulation inquiète plus par la menace terroriste potentielle que par le nombre d’armes. Ces dernières années, soutiennent-ils, il n’a pas été noté une grande augmentation de la circulation des armes. La preuve par cette déclaration sur Rfi d’un djihadiste sénégalais aujourd’hui en Syrie. Ce dernier a révélé que lui et ses camarades ont voulu démarrer le djihad dans le pays. Mais face à la difficulté de se procurer des armes, ils ont fini par partir pour accomplir leur dessein.

Cependant, il faut être prudent face à ces affirmations, car à ce jour, aucun chiffre officiel n’est annoncé pour dire quel est le nombre d’armes présent au Sénégal. ‘’En 2007, une étude par extrapolation de Small Arms Survey estimait à 230 000 le nombre d'ALPC détenues légalement et illégalement par les civils, soit un taux de possession de deux armes pour cent habitants’’. Cette étude dont les chiffres sont basés sur une comparaison du Sénégal avec des pays qui lui sont similaires sont peu fiables. Ainsi, ils ne seront pas confirmés par l'enquête de 2009 menée par la Commission nationale de lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères et de petit calibre du Sénégal (COMNAT). Cette institution n'a pas non plus avancé des statistiques, précise la publication. C’est dire donc que rien n’est clair à ce niveau.

Une chose est sûre cependant, il y a une évolution dans les types d’armes utilisés sur le territoire. ‘’Il y a une quinzaine d'années (sans prendre en compte le cas à part de la Casamance), on observait une prolifération d'armes blanches et d'armes de chasse peu  sophistiquées. Ces dernières années, on observe une circulation et une utilisation d'armes de poing, de fusils de chasse et, parfois, d'armes semi-automatiques ou automatiques, initialement destinées à un usage militaire. Le fusil de chasse de ‘’calibre 12’’ serait la principale arme détenue’’, révèlent les chercheurs de Small Arms Survey. Avec les résultats de l’étude du Dr Bakary Samb et des djihadistes annoncés hier dans le Fouta, il y a de quoi redoubler de vigilance !

BABACAR WILLANE

 

Section: