La campagne des invendus

Les Chinois et les Saoudiens hier, aujourd’hui les Turcs ! Le gouvernement cherche partout des solutions pour la commercialisation de l’arachide. Le moins que l’on puisse dire est que Macky Sall et ses hommes ne savent pas, pour le moment, de quelle manière faire acheter les graines des paysans.
En dépit de tous les discours tendant à faire croire qu’il n’y a pas de problème dans la commercialisation de l’arachide, les amas de graines empêchent les autorités sénégalaises de dormir du sommeil du juste. Le gouvernement compte ainsi exploiter à fond la visite du président turc pour écouler le produit. La semaine dernière, à Diamniadio, Macky Sall a invité son homologue Erdogan à demander aux hommes d’affaires turcs de l’aider à écouler la production. "J’encourage les acteurs du secteur privé turc et sénégalais intéressés à acheter les arachides du Sénégal. Nos arachides font partie des meilleures au monde ; la Chine l’a confirmé. Monsieur le Président, je compte sur vous pour demander à vos opérateurs économiques, s’il veulent un bon produit, d’acheter notre arachide avant de rentrer au pays", a déclaré Macky Sall.
Vingt-quatre heures après, le ministère du Commerce a voulu donner un contenu à cet appel. A travers un communiqué de l’Asepex parvenu à ‘’EnQuête’’, on apprend que ‘’le ministre du Commerce, M. Alioune Sarr, a reçu une délégation d’hommes d’affaires turcs, aux fins de les mettre en relation avec le secteur privé sénégalais qui évolue dans l’exportation de graines d’arachides’’. Selon le texte, cette intervention des opérateurs économiques d’Ankara, supervisée par le ministre, se fera en deux phases : l’une immédiate, l’autre à moyen et long terme.
‘’La première consiste à commercialiser des quantités déjà enlevées par les exportateurs sur le marché turc. Le ministère du Commerce s’engage ainsi à accompagner, à travers l’Asepex, tous les exportateurs sénégalais intéressés par le marché turc’’, souligne-t-on. A l’Asepex, on dit avoir déjà pris les dispositions pour identifier les potentiels acheteurs turcs, tout en aidant les exportateurs du pays à mieux connaitre les normes et standards d’exportation en Turquie. Viendra plus tard la seconde phase relative à l’installation d’unités de raffinage de l’arachide.
Seulement, le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr) n’épouse ni l’une ni l’autre des deux options. Son porte-parole, Sidy Ba, est contre toute idée d’exportation des graines. ‘’L’arachide est notre or, nous ne devons rien exporter. Ce n’est pas la solution. Il faut faire manger l’huile d’arachide et les tourteaux. Même la coque ne doit être exportée, puisque ça peut servir à fabriquer de l’énergie. Les Turcs, c’est comme les Chinois, ils veulent le beurre et l’argent du beurre. L’emploi, n’en parlons pas’’, s’offusque-t-il. Selon lui, la solution consiste à faire revivre les unités de production existantes et qui sont dans un état peu enviable. M. Ba rappelle que la Sonacos n’a même pas pu traiter toutes les graines qu’elle a achetées, l’année dernière. De ce fait, il pense qu’au lieu de demander aux concitoyens d’Erdogan d’implanter de nouvelles unités, vaut mieux leur demander d’investir dans l’existant pour le renforcer. Il plaide également pour la mise en place d’unités communautaires de transformation de l’arachide. Bref, c’est tout sauf de l’exportation.
La dénégation du ministre
Pas sûr qu’il soit entendu par les autorités, du moins dans l’immédiat. En effet, toutes les solutions jusqu’ici avancées tendent vers le même objectif : l’exportation. Le chef de l’Etat a d’abord commencé par lever la taxe sur l’exportation, présentée au début de la campagne comme la panacée. Les exportateurs étant presque invisibles, Macky Sall explore toutes les pistes. Avant Erdogan, il s’était d’abord adressé aux Chinois. Le mardi 20 février dernier, lançant les travaux du port de Foundiougne, il avait invité les Chinois à prendre part à la campagne. "L'agriculture est un sujet qui nous intéresse tous et nous avons l'occasion d'avoir l'ambassadeur de Chine avec nous. Je viens de lui parler, avec son conseiller commercial, pour inviter les entreprises chinoises qui s'intéressent à notre arachide à avoir une participation plus active dans la campagne de commercialisation de l'arachide", révélait Macky Sall.
Auparavant, son ministre de l’Economie a été en Arabie saoudite pour amener la Banque islamique de développement à mettre la main à la poche. Amadou Ba était revenu avec 52 milliards. Mais il faut admettre que ce n’est pas assez pour acheter la partie à commercialiser sur les 1 million 400 mille tonnes d’arachides récoltés.
Le président Macky Sall est d’autant plus conscient des difficultés que, lors de sa dernière visite à Kaolack, il a demandé aux paysans de faire preuve de patience et d’éviter de brader leurs récoltes. Pendant ce temps, le département de l’Agriculture s’emploie à minimiser les difficultés. En déplacement dans le Saloum avant le président, le ministre Pape Abdoulaye Seck avait nié, de manière catégorique, l’existence de problème de vente, en jouant la montre. ‘’Nous sommes au deuxième mois d’une campagne de commercialisation qui doit durer 7 mois. Donc, il est prématuré de tirer un bilan, parce que si on tire un bilan, il risque d’être hâtif et imprudent’’.
Pourtant, les appels du pied de son patron indiquent bien le contraire.
BABACAR WILLANE