Publié le 30 Apr 2020 - 03:06
COUT DU RIZ IMPORTE EN PERIODE DE COVID-19

L’incertitude plane 

 

Sur l’échiquier international, les prix du riz grimpent. Au Sénégal, toutefois, les autorités et les acteurs du secteur rassurent, car sur certaines périodes, les choses sont gérables.

 

S’il y a un aliment présent dans chaque ménage sénégalais, c’est bien le riz. Or, le coût de cette denrée connait une hausse de 13,05 % dans le monde (source Boursorama). Une réalité plus claire au niveau des bourses des valeurs des matières premières agricoles (Chicago, Suisse, Asie) qui affichent en ce moment des hausses comprises entre 16 et 17 %. Il se trouve qu’au niveau de ces espaces d’échange, la spéculation actuelle porte sur des quantités de riz non encore disponibles, conformément au mécanisme de fonctionnement.

Tout le riz récolté dans le monde ne passe pas forcément de producteurs à vendeurs. En majeure partie, pour plus de sécurité en termes de prix et de vente, les producteurs préfèrent se tourner vers les bourses. Les agriculteurs des différents pays producteurs donnent une estimation de leurs récoltes ; cette quantité est par la suite enregistrée dans le logiciel.

C’est entre ce moment et celui où le riz est réellement récolté, donc disponible, que se déroulent les spéculations. Des financiers, pendant cette période, l’achètent, le revendent (à un prix plus élevé) et le rachètent une fois de plus. Cela autant de fois que possible. Ce qui a pour conséquence une augmentation croissante du prix du riz (avant même qu’il ne soit disponible). Ainsi, ces fluctuations sont en cours, marquées par une hausse croissante du coût de cette denrée et c’est justement ce riz sur lequel on spécule aujourd’hui qui sera disponible dans cinq ou six mois. Pour exemple, la bourse de Chicago, en 2012, a vendu 30 fois la quantité de riz disponible dans le monde à cause de ce système d’achat-revente. Autrement dit, les prix peuvent doubler d’ici là, d’autant plus que les plus gros exportateurs de riz (Chine, Thaïlande, Vietnam) ne sont pas épargnés par la Covid-19.

Au Sénégal, c’est l’Inde qui fournit 60 à 70 % du riz importé, selon la Direction du commerce intérieur. ‘’Sur le marché, il y a de cela dix jours, le riz thaïlandais coûtait plus de 50 dollars, en une semaine, parce que l’Inde était en confinement et que les chargements en Inde étaient restés une semaine sans bouger. De ce fait, la Thaïlande s’était retrouvée seule sur le marché d’export. Lorsque l’Inde a commencé à se déconfiner, les prix ont une fois de plus chuté’’, explique son directeur Ousmane Mbaye qui estime qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.

‘’C’est comme avec le pétrole ; il faut attendre un peu pour voir si ça va se confirmer et, de façon particulière, faudrait qu’on sache, si toutefois il y a augmentation, de quel riz il s’agit. Est-ce une variété qui a eu une variation ou sont-ce toutes les variétés de riz et tous les marchés ?  Dans ce contexte, personne ne peut vous dire ce qui va arriver demain. On est en face d’une grosse incertitude sur les marchés et elle favorise des comportements en termes de restrictions. C’est vrai que, jusqu’ici, ça se passe bien, parce qu’il n’y a pas de grosses restrictions, à part le confinement ou encore les restrictions concernent les pays qui ne sont pas de principaux fournisseurs pour le Sénégal. Les volumes que nous prenons dans ces pays ne peuvent pas trop impacter notre marché. Mais si l’Inde, aujourd’hui, ferme son marché, on va devoir se redéployer vers un autre pays fournisseur. Mais est-ce qu’on va y trouver les mêmes volumes en termes d’exportation et de riz brisé ?’’, poursuit-il.

L’autorité affirme, par ailleurs, surveiller la tendance, tout en rassurant qu’il n’y a ‘’pour le moment’’ aucun impact sur le marché local.

‘’Au-delà de trois mois, il peut y avoir des difficultés’’

 A en croire le secrétaire général de l’Union nationale des commerçants importateurs du Sénégal (Unacois/Jappo), pendant les trois prochains mois, le Sénégal peut souffler. ‘’Il y a beaucoup de facteurs qui entrent dans la constitution du prix. Au-delà des trois mois, il peut y avoir des difficultés, si la Thaïlande ou l’Erythrée arrêtent de vendre leur riz au Sénégal. C’est bien possible. En raison de prévisions négatives, ils peuvent choisir de garder leur production en interne. A ce moment-là, on aura des difficultés’’, précise Mamadou Dieng.  Le pays de la Teranga importe, chaque année, entre 900 000 et 1 000 000 t de riz venant de l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam, le Brésil et le Pakistan. Le scénario d’une forte hausse du riz importé risque d’enfoncer le clou dans une situation déjà bien compliquée.

En mai 2008, cela s’est produit, suite à un cyclone survenu au Vietnam. Les Sénégalais, à l’instar d’autres Africains, sont sortis dans les rues pour réclamer des prix à leur portée. Des manifestations nommées ‘’Emeutes de la faim’’.  Le riz thaïlandais coûtait 1 000 dollars US, soit trois fois plus qu’il n’était vendu six mois plus tôt. Seul le Cameroun a eu l’initiative d’acheter auparavant sa propre réserve en bourse et n’était donc pas impacté par cette hausse. Après cet épisode, l’Afrique de l’Ouest a décidé de mettre en place sa bourse des matières premières agricoles, en l’intégrant à celle des valeurs mobilières. Un projet qui ne s’est toujours pas matérialisé.

3QUESTIONS A THIERNO THIOUNE, DOCTEUR EN SCIENCES ECONOMIQUES

‘’Le Sénégal va être exposé à une pénurie de riz…’’

Quant à des lendemains incertains en termes d’approvisionnement correct du marché local en denrées, l’enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar livre son analyse.

Au regard des chiffres notés dans la bourse de matières premières, va-t-on vers une inflation, dans le cadre de l’achat du riz importé ?    

C’est bien prévisible. La bourse des matières premières agricoles est une sorte de signal de prix pour le consommateur sur lequel il va fonder son comportement de consommation. Pour le cas du Sénégal, le contexte actuel est assez difficile, dans la mesure où cette pandémie de Covid-19 a fini de fermer toutes les frontières avec nos partenaires commerciaux, dont certains nous exportent une denrée qui est très importante pour les Sénégalais. Même si on se rappelle tous qu’il y avait un objectif pour la sécurité alimentaire de la population du Sénégal qui avait permis de procéder à la révision d’un programme de riz (Pnar : Programme national d’autosuffisance en riz).  L’objectif de production était de plus d’un million de tonnes et on était censé aller vers l’autosuffisance alimentaire. Mais malgré tous les moyens qui ont été mis dans ce projet, il n’est pas atteint. On est obligé de se tourner vers l’importation.

Or, aujourd’hui, celle-ci est vraiment menacée, d’autant plus que les pays qui nous donnent le riz ont fermé leurs frontières et ont eux-mêmes besoin de ce riz, parce qu’étant eux-mêmes en situation de confinement. Il est très concevable et très clair qu’il y aura d’abord une flambée des prix, une inflation, parce que la demande devenant plus forte et que l’offre ne suivant pas. Après cela, ce qui suivra, c’est une pénurie, si on arrive au scénario pessimiste. C’est-à-dire si on n’arrive pas à contrôler de manière rapide, dans les six prochains mois, la pandémie, le Sénégal va être exposé à une pénurie de riz, parce qu’en interne, nous n’avons pas la production qu’on voulait dans le cadre du Pnar et en plus de cela, l’augmentation des prix fera que les gens n’auront pas le pouvoir d’achat pour accéder à ce produit.

Ne peut-on pas espérer d’autres scénarii ?

Les premiers cas positifs ont été enregistrés en début mars. Nous sommes presque au mois de mai et le premier scénario que je voyais, c’était qu’on arrive à bout de ce virus au bout de trois mois (mars, avril, mai). Si on sort du mois de mai et que les cas, surtout ceux communautaires, augmentent, en juin, juillet et août, on va aller vers des mesures de restrictions beaucoup plus drastiques. C’est ce qu’on appelle la propagation limitée. A ce moment-là, les 1 000 milliards dégagés ne suffiront plus. Les 69 milliards pour l’alimentation des ménages, n’en parlons même pas. Donc, il nous faut des ressources supplémentaires.

Or, il y a déjà un déficit au niveau des ressources fiscales, donc l’Etat va encore aller chercher des ressources. Là, on va commencer à sentir l’inflation, l’augmentation des prix. Si on dépasse ces six mois et qu’on entre dans les neuf mois, c’est-à-dire le scénario d’une propagation élargie, on va aller totalement vers une pénurie. Et si, dans un an, on n’arrive pas à faire disparaitre cette pandémie, je vous assure que, non seulement il n’y aura plus de recettes fiscales, parce que le budget qu’on avait prévu pour un an n’aura pas de ressources pour être financé, mais toutes les ressources qui existent vont passer à la trappe pour essayer de régler le problème. Il y aura des difficultés et ce ne sera pas que le riz, mais tous les autres aliments de base, tous les secteurs vont en être impactés.

Quelles solutions s’imposent, selon vous ?

Il y a des solutions qui existent. Il faut qu’on trouve des denrées de substitution, ce n’est pas seulement le riz qu’on peut consommer. Il y a le maïs, le mil qu’on peut également transformer en riz. Il y a le fonio et d’autres types d’aliment tels que le niébé qui peuvent servir. Qu’on revienne à ces types de spéculation pour pouvoir substituer le riz. Cette crise nous apprend beaucoup de choses. Aujourd’hui, le modèle que le Sénégal a entrepris, depuis quelque temps, n’est plus un modèle viable, tant dans le secteur sanitaire qu’agricole. On ne peut plus, avec le confinement, continuer à nous nourrir et à nous soigner.

Ce n’est plus possible. Donc, il faut revoir l’agriculture, développer la consommation locale, développer le patriotisme économique, renforcer les domaines agricoles communautaires, les zones économiques et sociales et mettre les opportunités en matière d’industrialisation et de développement du secteur informel. On doit se lancer dans la transformation des aliments qu’on produit, qu’on a ici avec des records, tels que le lait et la mangue. Tout cela, il faut qu’on le développe et qu’on le consomme à l’interne, si vraiment on ne veut pas que cette pandémie nous plombe davantage.   

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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