Publié le 20 Nov 2020 - 01:17
EMIGRATION IRREGULIERE, RAREFACTION DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

Greenpeace demande la suspension de l’accord de pêche avec l’UE

 

L’organisation de préservation de l’environnement pointe du doigt la responsabilité de l’UE et les mauvaises décisions des autorités sénégalaises. 

 

L’Etat du Sénégal cherche-t-il réellement à solutionner les causes de l’émigration irrégulière qui connait une recrudescence ces dernières semaines ? Il est permis d’en douter. Car, par la perpétuation de certaines pratiques clairement identifiées parmi les raisons poussant les jeunes Sénégalais à chercher à rejoindre l’Europe au péril de leur vie, le gouvernement maintient les conditions de ce drame national. Parmi elles, le renouvellement des accords de pêche entre l’Union européenne et le Sénégal.

Un choix que Greenpeace Afrique a dénoncé, hier, à travers un communiqué. L’ONG, qui œuvre pour la protection de l’environnement, demande aux autorités de l’UE et du Sénégal de se pencher sur les vraies causes de l’émigration par des pirogues, afin d’y apporter une solution définitive, plutôt que de laisser empirer la situation en signant cet accord. ‘’Il est aujourd’hui évident que la mauvaise gestion des ressources halieutiques au Sénégal, les accords signés et les licences de pêche octroyées à des navires étrangers sont, en grande partie, responsables de la rareté des ressources qui est en partie la cause du désespoir des milliers de jeunes Sénégalais’’.

La semaine dernière, a été adoptée la Résolution non-législative du Parlement européen du 11 novembre 2020 sur le projet de décision du Conseil relative à la conclusion du protocole relatif à la mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et la République du Sénégal [13484/2019 – C9-0178/2019 – 2019/0226M (NLE)]. Un texte qui devrait consacrer le nouveau protocole d’accord de partenariat de pêche entre l’UE et le Sénégal paraphé le 19 juillet 2019. Selon le communiqué de la délégation de l’Union européenne à Dakar, ce nouvel accord de pêche permettra à 45 navires européens de pêcher au moins 10 000 t de thon et 1 750 t de merlu noir par an, pour une contrepartie financière de 15 millions d’euros (10 milliards F CFA) sur cinq ans.

La braderie des cinq prochaines années

L’on estime que le prix du kilo de thon sur le marché européen est souvent supérieur à 10 euros. Si les bateaux de l’Union européenne atteignent leur quota de 10 000 t, cela veut dire qu’ils auront pêché pour une valeur estimée à au moins 100 000 000 millions d’euros, l’équivalent de 65 714 859 000 F CFA. Aussi, le merlu est vendu à 6 euros le kilo ; ce qui correspond à 6 000 euros la tonne. Avec un quota de 1 750 t, les navires sont autorisés à pêcher jusqu’à une valeur de 10 500 000 euros. Ce qui correspond à 6 900 060 195 F CFA.

La somme des montants que peuvent gagner ces navires avec ces quotas s’élève donc à 72 614 919 195 F CFA. Ce qui veut dire que pour des accords autorisés contre 2 004 796 060 F CFA (3 050 750 d’euros), le Sénégal permet à l’Union européenne de faire des bénéfices s’élevant à 70 610 123 135 F CFA par an. Ce qui correspond à 350 milliards de francs CFA sur les cinq ans.

Le Sénégal n’a pas publié une étude scientifique pour déterminer si le dernier accord lui a été bénéfique ou pas. L’UE, par un rapport d’évaluation prospective du protocole de 2014-2019, indique dans ses conclusions ‘’que celui-ci a été globalement efficace sous son objectif de contribuer à l’exploitation durable des ressources dans la zone de pêche sénégalaise et recommande de renouveler le protocole pour répondre aux besoins des deux parties’’.

Il faut ‘’geler cet accord de pêche’’

C’est pourquoi Greenpeace Afrique invite l’Etat du Sénégal à ‘’geler cet accord de pêche, à faire une évaluation transparente de l’accord précédent, à partager les informations avec les acteurs et à tenir compte de la situation des stocks, de la surcapacité de la flotte nationale et du désespoir des pêcheurs, avant de prendre une décision’’.

Car l’accord précédent avait été décrié par les organisations professionnelles de la pêche du Sénégal, pour n’avoir pas tenu compte du potentiel exploitable et de l’état d’exploitation des ressources. Et son évaluation, ‘’tant au plan technique (quantité de poissons prélevée par les bateaux de l’UE) qu’au plan financier n’a jamais été partagée avec les organisations professionnelles’’, dénonce Greenpeace Afrique.

De plus, cela est ‘’contraire aux dispositions réglementaires et autres engagements des Etats qui font de l’implication des acteurs dans les processus décisionnels un élément important de bonne gouvernance des ressources. Les Objectifs de développement durable, le Code de la pêche et la Constitution du Sénégal sont, entre autres, clairs sur la nécessité d’intégrer les acteurs de la pêche dans la prise de décision. Mais la réalité est tout autre’’.    

Pour l’ONG, un accord de pêche ne peut pas être qualifié de durable en l’absence de surplus de production. Ainsi, le communiqué estime que l’UE devrait s’assurer que le gouvernement du Sénégal a bien effectué l’évaluation des stocks concernés par cet accord de pêche et qu’il y a effectivement un surplus de production dont la flotte sénégalaise n’est pas en mesure d’exploiter. Encore qu’au-delà des aspects techniques, la dimension économique et sociale devrait être prise en compte, dans un secteur qui traverse une crise sans précédent.

L’Union européenne renvoie les migrants sénégalais et envoie ses bateaux pêcher dans les eaux sénégalaises

Toutefois, dans un communiqué publié après la divulgation de l’accord, la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (Caopa) avait tenu à préciser une incompréhension sur la ressource thonière dont il est question dans cet accord.

Ainsi, assurait le document, ‘’les thons qui passent à un moment de l’année dans les eaux du Sénégal n’appartiennent pas au Sénégal. Pour ceux qui sont sous quotas, ils ‘appartiennent’ aux pays qui ont reçu les quotas de l’ICCAT. Pour les autres, ils appartiennent à ceux qui les pêchent’’.

Mais Greenpeace Afrique s’offusque qu’au même moment où l’UE entame le rapatriement des migrants sénégalais, dont près de 500 sont morts en tentant de rejoindre les côtes espagnoles, elle continue d’exploiter les ressources halieutiques du pays dont la rareté est en partie la cause du désespoir des milliers de jeunes Sénégalais. Et, prévient-elle, ‘’la logique de marché qui motive l’Union européenne et les mauvaises décisions des autorités sénégalaises seront lourdes de conséquences, non seulement pour les Sénégalais, mais aussi pour les Européens, car leurs destins sont étroitement liés’’.

La crise migratoire le prouve totalement.

Lamine Diouf

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