Publié le 28 Jun 2022 - 17:46
EMPRISONNEMENT D’OPPOSANTS À LA PRISON DE SÉBIKOTANE

Déthié Fall et Cie au cœur de la ‘’ferme’’ carcérale

 

La prison de Sébikotane, qui accueille depuis lundi dernier les responsables de l’opposition Déthié Fall et Cie, apparaît comme le nouveau centre de détention préféré des personnalités politiques et des activistes. Malgré des travaux de réhabilitation en 2019, cet établissement pénitentiaire, qui avait une vocation agricole, reste néanmoins confronté à des dysfonctionnements liés à la surpopulation et aux longues détentions.

 

C’est l’équivalent de la prison de la Santé en version tropicalisée. Située près de la localité de Sébikotane, cette maison de correction a été créée à la suite de l’adoption du décret n°84-145 du 8 février 1984 et comporte trois bâtiments : ancien bâtiment qui comporte trois chambres, le nouveau bâtiment avec 27 chambres et le quartier des condamnés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). L’établissement pénitentiaire a une capacité de plus de 500 places avec l’ancien bâtiment qui peut accueillir 200 détenus, alors que le nouveau bâtiment réceptionné en 2019 peut accueillir 300 places, en plus des huit condamnés du TPIR.

D’après les témoignages, les chambres sont modernes, spacieuses et équipées de téléviseur. 

Cette maison de correction, qui a une vocation agricole avec comme but de faciliter la réinsertion des détenus, reçoit depuis lundi dernier des leaders de l’opposition, à savoir Déthié Fall, Ahmed Aïdara et Mame Diarra Fam, interpellés à la suite des manifestations interdites de l’intercoalition Yewwi-Wallu du 17 juin dernier.  Les procureurs des tribunaux de Dakar et de Pikine-Guédiawaye les ont placés sous mandat de dépôt, à l’issue de leur audition.

Par ailleurs, cette prison avait aussi servi de lieu de détention au célèbre activiste Guy Marius Sagna et de l’insulteur public n°1 Assane Diouf, à la suite des émeutes populaires de mars 2021.

Une maison de correction victime de la surpopulation et des carences du système carcéral

En novembre 2019, Amadou Abdoulaye Diop, Directeur des Constructions des palais de Justice et autres édifices du ministère de la Justice de l’époque, avait annoncé que la prison avait pour mission principale de désengorger la prison de Rebeuss submergée par une surpopulation carcérale. Le surpeuplement de la prison de Rebeuss et les conditions de détention des prisonniers ont longtemps été décriés par les organisations de défense des Droits de l’homme. ‘’L’État du Sénégal est en train de faire des efforts pour désengorger toutes les prisons. Pas seulement Rebeuss, mais toutes les prisons du Sénégal. On travaille à construire d’autres prisons beaucoup plus grandes, en termes de superficie et de capacité d’accueil, et qui vont offrir toutes les commodités’’, avait indiqué Amadou Abdoulaye Diop. 

Cette réhabilitation ne semble pas avoir gommé tous les dysfonctionnements dont souffrent les prisons sénégalaises : manque d’hygiène, mauvaise restauration, difficultés d’approvisionnement en eau et surpopulation. A en croire, Aliou Gérard Koita, membre du Secrétariat exécutif du Frapp/France dégage, même si les conditions de détention dans le centre de Sébikotane semblent bien meilleures que celles de Cap Manuel et de Rebeuss, la prison souffre néanmoins de certains manquements cités plus haut. ‘’Il faut savoir que la réalité sur le terrain est souvent bien loin des effectifs annoncés par les autorités. Ce qui fait que l’on connaît souvent le problème de surpopulation. En outre, la vocation primaire de la prison était un centre de détention préventive, à l’instar de Rebeuss, mais il se trouve que la prison accueille aussi des détenus qui y purgent leurs peines. Une situation qui peut aussi engendrer des difficultés dans l’organisation de la prison’’.

Toujours selon l’activiste, cette situation est commune à tous les établissements pénitentiaires au Sénégal qui font face à ce phénomène de surpopulation dans nos prisons.

Prison de Sébikotane : Une vocation agricole en péril

Même son de cloche du côté d’Ibrahima Sall, Président-fondateur de l’Asred (Association pour le soutien et la réinsertion sociale des détenus) pour qui, dans le cas de la prison de Sébikotane, on est loin de l’image idyllique d’un centre de détention modèle. D’après lui, cette maison d’arrêt n’échappe pas au marasme qui touche les établissements pénitentiaires sénégalais. ‘’Nous avons 37 prisons ou maisons d’arrêt dans notre pays. Depuis 1960, on n’a pas construit de nouvelles prisons au Sénégal et l’État s’emploie à réfectionner les centres de détention existants comme celui de Sébikotane. La prison avait longtemps accueilli des activités agricoles et d’élevage. Mais, au fil du temps, la prison n’épouse plus cette vocation et il ne reste que les microjardins et des projets avicoles modestes. Ces activités ont été délocalisées vers les prisons de Podor, Louga et Saint-Louis’’, affirme-t-il, avant d’indiquer que les longues détentions polluent la vie de tous les détenus sénégalais. 

‘’Toutrécemment, nous avons observé des mouvements d’humeur des prisonniers à Sébikotane pour dénoncer le surpeuplement, il y a un à deux mois.  Cette situation empêche la catégorisation des prisons (maison d’arrêt, maison d’arrêt et de correction, camp pénal) essentielle pour l’épanouissement des prisonniers au Sénégal.  Tout comme la plupart des centres de détention, la prison de Sébikotane ne répond pas aux normes internationales requises pour garantir une condition d’existence adéquate pour les personnes incarcérées.  Au gré des mandats de dépôt, la prison peut accueillir jusqu’à 700 détenus, au-delà du nombre de places disponibles.  Par ailleurs, nous recevons des plaintes en provenance de Sébikotane où beaucoup de prisonniers se plaignent des lenteurs judiciaires, de la situation des détenus qui ont déposé des appels et la situation des étudiants déficients mentaux’’, s’exclame-t-il.

La Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) réfute toute surpopulation et mauvaises conditions d’existence

Une version que ne semble pas partager un des responsables de la Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) qui a voulu garder l’anonymat. D’après le maton, on ne peut pas parler de surpopulation dans la prison de Sébikotane, pour la simple raison que le plafond budgétaire qui constitue la jauge principale pour étudier la population carcérale n’a pas été atteint.  ‘’Actuellement, grâce à nos données statistiques, on n’a pas encore atteint le plafond budgétaire qui est diffèrent de la capacité réelle de la prison(NDLR : 500 places). Le plafond budgétaire définit le nombre de détenus que le budget de la prison a prévu de prendre en charge. Ce qui est différent de la capacité réelle de l’établissement pénitentiaire. Et quand on voit le plafond de la prison de Sébikotane, on est loin de la surpopulation, car on n’a pas encore atteint ce plafond. Donc, on ne peut pas réellement parler de surpopulation’’, affirme-t-il avant de battre en brèche toute idée de précarité dans les conditions d’existence des prisonniers à Sébikotane.

‘’Je peux vous assurer que les conditions de vie à Sébikotane sont plus qu’adéquates. Même les personnalités qui ont été incarcérées ne se sont pas plaintes de la vétusté des bâtiments, ni d’un manque d’hygiène et des problèmes d’approvisionnement en eau. Je crois que le nouveau bâtiment qui a été récemment inauguré participe grandement à améliorer les conditions de vie des détenus’’, conclut-il.

 Makhfouz NGOM

 

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