Publié le 6 Nov 2020 - 03:16
ETATS-UNIS- EN REVENDIQUANT LA VICTOIRE

Donald Trump déclare la guerre à la démocratie américaine

 

Alors que le décompte se poursuit dans plusieurs Etats cruciaux, le président sortant assure avoir remporté le scrutin, dénonce des fraudes et annonce son intention de saisir la Cour suprême. Une attaque sans précédent et inflammable.

 

C’était le scénario du pire redouté par les démocrates, les observateurs et, disons-le franchement, tous ceux attachés à la démocratie américaine, aussi abîmée soit-elle. Il s’est donc matérialisé peu après 2h20 du matin à Washington (08h20 à Paris), quand Donald Trump, dans une courte et sidérante allocution, a revendiqué la victoire à la présidentielle de mardi, alors que le décompte se poursuit dans plusieurs Etats. Dénonçant une «fraude» des démocrates et une «honte pour le pays», le président américain a annoncé son intention de saisir la Cour suprême, sans préciser sur quel motif.

Donald Trump finira peut-être par gagner, légitimement, le droit à un second mandat. Mais à ce stade, ni lui ni son rival démocrate Joe Biden n’obtiennent les 270 grands électeurs nécessaires. Victorieux en Floride, au Texas, et dans la quasi-totalité des Etats traditionnellement républicains, Trump en comptait 213 à 10 heures (heure de Paris). L’ancien vice-président de Barack Obama, qui est parvenu à renverser un Etat gagné par Trump en 2016, l’Arizona, en comptait lui 235.

«Nous étions e​n train de tout gagner»

«On est devant et de loin, mais ils essaient de voler l’élection. Jamais nous ne les laisserons faire», a pourtant déclaré Donald Trump, assurant avoir «gagné l’élection», et déclenchant les applaudissements de ses proches et la stupéfaction de dizaines de millions d’Américains. «Des millions et des millions de gens ont voté pour nous. Nous étions prêts pour une grande célébration. Nous étions en train de tout gagner. Et soudain, ça a été annulé», a ajouté le président dans une déclaration confuse et inédite dans l’histoire moderne des Etats-Unis.

Cette attaque contre deux fondements de la démocratie américaine – le droit de vote des citoyens et le respect de la transmission pacifique du pouvoir – ébranle un peu plus un pays qui abordait cette élection dans un état de polarisation politique sans précédent. Elle attise aussi les craintes : comment les partisans de Donald Trump, ou ses opposants les plus féroces, vont réagir à ces propos, alors que le décompte dans certains Etats indécis – principalement la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin – se poursuit ?

Aussi ahurissant soit-il, ce scénario catastrophe est pourtant loin d’être une surprise, tant l’ancien magnat de l’immobilier, allergique à la défaite plus qu’à toute autre chose, avait préparé le terrain – et les esprits – à cette déclaration de victoire prématurée. Dès qu’il est devenu évident, à la fin du printemps, que pour cause d’épidémie de Covid-19, le recours au vote par courrier serait bien plus massif que d’ordinaire, Trump a attaqué la légitimité et la fiabilité de ce mode de scrutin, répétant à l’envi que des millions de bulletins frauduleux risquaient de lui coûter la victoire.

Pas de vague bleue

Selon les chiffres de l’US Elections Project, au moins 65 millions de citoyens américains ont voté cette année par correspondance. Ces bulletins ont été envoyés par courrier ou déposé dans des boîtes sécurisées prévues à cet effet. Leur dépouillement est beaucoup plus chronophage que le vote en personne, fait le plus souvent sur des machines. Et dans certains Etats, dont les swing states de Pennsylvanie et du Michigan, la loi interdisait de commencer le décompte de ces bulletins avant le jour de l’élection. Il était donc évident que la totalité ne pourrait pas être comptée au soir du scrutin. Et c’est exactement ce qu’il s’est produit.

Pour éviter une longue attente et une bataille judiciaire incertaine, le camp démocrate espérait une vague bleue, qui aurait permis à Joe Biden de remporter une victoire rapide, en faisant basculer certains bastions républicains. Cela ne s’est pas produit, à l’exception de sa victoire dans l’Arizona. En conservant facilement la Floride, où les sondages donnaient les deux hommes au coude-à-coude, Donald Trump peut continuer à espérer décrocher un second mandat. Il devra pour cela conserver l’essentiel des autres Etats clés qui avaient contribué à sa victoire surprise en 2016, notamment dans la Rust Belt.

S’exprimant avant Donald Trump, depuis son fief du Delaware, le candidat démocrate s’est dit «en bonne voie» pour remporter l’élection. «Nous savions que cela prendrait du temps. […] Gardez la foi, nous allons gagner. Votre patience est formidable», a-t-il lancé à ses partisans. Anticipant le coup de tonnerre venu de la Maison Blanche, Joe Biden avait ensuite ajouté sur Twitter : «Ce n’est pas à moi ou à Donald Trump de déclarer le vainqueur de cette élection, mais aux électeurs.»

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Un vote par correspondance massif et crucial, qui retarde les résultats

Près de 100 millions d'électeurs ont voté par anticipation, allongeant la durée du comptage. Or dans les trois Etats clés du Wisconsin, du Michigan et de Pennsylvanie, ces bulletins pourraient être décisifs.

Les résultats définitifs du scrutin présidentiel aux Etats-Unis ne seront pas connus aujourd’hui, ni demain. Les Américains vont devoir attendre plusieurs jours avant de savoir qui de Donald Trump ou de Joe Biden a remporté le scrutin, car près de 100 millions d’électeurs ont voté par anticipation, avant mardi, par correspondance (63,9 millions) ou en personne (35,7 millions) pour éviter les attroupements le jour J, sur fond de pandémie. Cet early vote, un record historique cette année, est le plus long à comptabiliser, les mesures de vérification étant plus laborieuses que le dépouillement direct, et les procédures différentes selon les Etats.

Certains Etats sont plus rodés au vote anticipé, comme la Floride, où le décompte peut commencer vingt-deux jours avant le jour du scrutin. En Caroline du Nord, les bulletins validés commencent à être insérés dans les urnes jusqu’à cinq semaines avant l’Election Day, pour être rapidement recensés le jour venu. Mais cet Etat accepte jusqu’au 12 novembre de dépouiller des bulletins, tant que ceux-ci ont été envoyés avant ou pendant le jour de l’élection, cachet de la poste faisant foi. Dans le Neveda, les premiers résultats (vote anticipé plus Election Day) donnent Joe Biden gagnant, mais l’Etat ne clôt pas son dépouillement avant le 10 novembre, pour laisser, là aussi, le temps aux derniers bulletins postés d’arriver.

Participatio​n anticipée massive

Les trois Etats pivots de la Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin ne commenceront le décompte des bulletins par correspondance qu’après la fermeture des bureaux de vote et après le décompte des bulletins déposés physiquement dans les urnes. Or pour la Pennsylvanie, par exemple, 1,4 million de votes par courrier sont à dépouiller. L’Etat n’annoncera certainement pas ses résultats définitifs avant vendredi. Michigan et Wisconsin, eux, ont prévu d’annoncer leurs résultats mercredi. A midi heure française, Donald Trump était en tête en Pennsylvanie et dans le Michigan (dépouillés respectivement à 75% et à 84%), et Joe Biden venait de passer devant son adversaire dans le Wisconsin, avec 89% des bulletins examinés.

Les sondages des dernières semaines indiquaient que les supporteurs de Trump, covido-sceptiques comme leur champion, se réservaient pour investir physiquement les bureaux de vote le 3 novembre, tandis que plus de la moitié des soutiens de Biden, encouragés dans ce sens par le candidat démocrate, avaient plutôt envoyé leur bulletin par la poste. Mais les premiers résultats semblent montrer que les deux candidats ont largement bénéficié de la participation anticipée massive. Le taux de participation global bat aussi des records, avec 66%, soit le plus élevé depuis 1900.

Durant toute la campagne, Donald Trump n’a eu de cesse de dénoncer le vote par correspondance comme forcément frauduleux, accusant les démocrates de chercher à lui voler la victoire. Il a réitéré ce procès d’intention mercredi, appelant à une suspension du décompte des votes et a promis qu’il n’hésitera pas à saisir la Cour suprême.

Liberation.fr

Section: