Publié le 28 Feb 2019 - 03:57
FATOU KANDE SENGHOR PRODUCTRICE, REALISATRICE

‘’Les femmes qui sont dans le cinéma sont isolées’’

 

Elle porte plusieurs casquettes. Fatou Kandé Senghor est productrice de cinéma, écrivaine, peintre, costumière, réalisatrice, etc. Très portée sur la question des femmes, elle pose un débat intéressant. Pourquoi, en 50 ans d’organisation du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), aucune femme n’a eu le plus prestigieux prix, l’Etalon d’or de Yennenga ? Elle a invité, dimanche dernier, des réalisatrices et actrices, sous la présidence de la première dame du Burkina Faso, a un déjeuner au cours duquel elles ont échangé autour des difficultés du 7e art.

 

Parlez-nous du projet ‘’We are Yennengas” ?

Nous sommes venus cette année au Fespaco avec le projet ‘’We are Yennengas’’. Yennenga est la princesse qui a donné naissance au peuple Mossi. Excellente cavalière, elle avait un étalon qu’elle avait dressé. Elle était une guerrière préparée à cela par son père. Les Burkinabé sont tellement fiers de ce patrimoine que beaucoup de grandes récompenses portent ce nom. Vu les liens qui nous unissent à ce pays, surtout sur le plan du cinéma, il est normal qu’on puisse emprunter la force de la princesse Yennenga.  

On fête, cette année, les 50 ans du Fespaco qui est notre festival à nous sur le continent. On a constaté qu’en cinquante ans d’organisation, il y a eu zéro Etalon d’or de Yennenga pour les femmes. Les réalisatrices ont été les grandes absentes de cette catégorie qui est la plus prestigieuse. On a toujours été présentes dans les autres. Cette année, sur les 5 films sénégalais sélectionnés, trois sont faits par des femmes que sont Léna Ndiaye, Khadidiatou Sow et Angèle Diabang. Mais on n’est pas dans la grande compétition. On a, aujourd’hui, besoin de comprendre pourquoi les femmes n’arrivent pas à remporter le plus prestigieux prix. On ne veut pas que cela soit juste de la parlote, mais qu’on y joigne l’action. Pour pouvoir être en action, il faut d’abord pouvoir le déclamer haut et fort et que les gens sachent qu’on a des doléances. Le cinéma, c’est un commerce de droits, une affaire d’Etat. Quand nos pays ne nous soutiennent pas, on n’a pas de flambeau à tenir. Les Etats doivent comprendre nos doléances.

Quels sont vos besoins ?

Ils sont tout simples. On fait partie du monde des cinéastes. On a envie, demain, de pouvoir produire comme n’importe quel cinéaste. Que cela soit commun. Il y a des efforts considérables qui sont faits. Au Sénégal, nous avons un fonds. A une époque, Angèle Diabang avait demandé qu’une part du Fopica soit réservée aux femmes. Ce n’est pas pour jouer la carte de la parité ou qu’on a envie d’avoir un statut privilégié. Mais les femmes ont un rythme de narration, d’écriture, de production et on est dans un univers patriarcal et très masculin qui ne nous permet pas de nous exprimer. Nous avons pensé qu’il nous faudrait qu’on nous permette de construire une base. Il y a des choses qui vont à notre rythme et qu’on doit nécessairement attribuer à un projet de femmes pour qu’il soit un excellent film. Pourquoi l’éducation américaine plait ? On met des élèves qui ont le même rythme d’apprentissage dans les mêmes classes.

Ce qui m’intéresse, c’est l’équité. Qu’on permette aux femmes de se retrancher, de se parler, de s’aider et qu’elles se gonflent à bloc. Il faut qu’elles se préparent avant de rejoindre le grand groupe, avec de très bons projets et qui, nécessairement, vont attirer l’attention de notre fonds et d’autres du même genre. L’objectif n’est pas d’avoir un petit fonds et de ne travailler que sur ce dernier. Et quand un projet est choisi, son porteur est comme un porte-étendard. Elle représente toutes les femmes et fera tout pour que le projet aille jusqu’au bout. C’est un regard féminin qu’on essaie d’imposer dans ce grand monde des images. A mon humble avis, il  y a un toucher féminin. On le dit pour toutes les autres choses ; pourquoi ne le dirait-on pas pour le cinéma ? Il y a un toucher relatif à nos imaginaires. Il faut lui permettre d’exister. On n’est pas le seul à souffrir de cela. Il n’y a pas trois Oscars gagnés par des femmes. Donc, c’est un mal mondial. Seulement, nous ne pouvons pas toujours se mesurer au monde par rapport à leur avancée. Les femmes sénégalaises ont eu le droit, avant bien de femmes du monde. C’est important. On ne brandit que la faim, les guerres, etc., en Afrique. Mais brandissons aussi que ses femmes sont allées devant le monde entier et ont dit. On a un imaginaire qui nous tient à cœur. On a un feeling qu’on ne voit pas dans les films des hommes.   

Concrètement, quelles sont les difficultés auxquelles font face les femmes évoluant dans le 7e art ?

Il y a un problème d’accompagnement. Et ce dernier commence par un soutien moral et financier. Les femmes travaillent généralement toute seules. Elles n’ont pas de producteurs, etc. Moi, je ne travaille pas seule. J’ai 47 ans. Je travaille avec des jeunes. Je crée des liens cordiaux pour que tout se passe bien. Je le fais souvent avec les hommes. Et quand ils sont là, je leur laisse de l’espace, leur donne de la latitude. Seulement, plus je la donne, plus ils s’imaginent qu’ils en savent peut-être plus que moi. Je veux changer cela en eux. Mais je ne suis pas là pour refaire leur éducation. Je soutiens les projets des femmes. Je n’attends même pas qu’elles m’invitent. Je m’invite sur leurs plateaux, soit pour faire des photos, soit pour faire les costumes. Je discute avec elles et leur donne des conseils. La sororité se cultive comme ça.

Le problème, donc, c’est que les femmes sont isolées, elles sont toutes seules. Quand Angèle a demandé que, pour le Fopica, qu’il y ait des prélèvements pour les femmes, cela n’a pas eu de suite, parce qu’il n’y a pas eu d’échos. Moi, elle m’en a parlé. Mais on n’a pas eu de plateforme où se réunir pour en discuter. Je me dis que, pour le Fespaco, nos efforts peuvent payer. Je le crois, parce que je porte moi-même ce projet et je sais où aller chercher les financements. Moi, je veux qu’au prochain Fespaco, mon long métrage y aille. Il sera d’ailleurs pitché à la sélection de l’Oif, cette année, au Fespaco. Je sais où aller pour avoir les financements pour mon film. Le film d’Angèle est presque fini. Elle rassemble elle aussi, de son côté, des sous. Je me dis que si on nous accompagne bien, au prochain Fespaco, on amène deux films. S’il y a deux autres femmes motivées comme nous, on fera le plein.

Revenons au Fespaco. Qu’est-ce qui fait qu’en 50 ans, aucune femme n’a pu avoir l’Etalon d’or, à  votre avis ?

Il y a des reproches d’organisation à faire aux uns et aux autres. En 2013, quand, au Fespaco, on décide que c’est l’année dédiée aux femmes, pour moi, c’est mettre les femmes à l’honneur. Pour moi, un film se prépare à l’avant. Il faudrait qu’il ait y un appel qui dise, dans 2 ou 3 ans, les femmes seront à l’honneur, pour qu’elles puissent se préparer en conséquence et les Etats aussi. (…) Il ne faut pas se voiler la face. Nous avons deux problèmes. L’existence de nos films d’abord et des films qu’on dit destinés à nos publics. Il faut se décider. Je ne dis pas qu’il ne faut pas des films qui aillent à Cannes, puisque c’est pour cela que les gens vont à l’école. Mais les publics qui sont largués servent à quoi ? On a le plus grand public au monde.

On regarde les films bien et les déchets de tout le monde. Pourquoi on ne peut pas faire des films pour eux ? Si eux seuls nous soutiennent, ça va. Donc, on a un problème. On est en rupture avec nos publics. On a un problème de production en général et de production féminine en particulier. Dans cette dernière, les gens ont peur. Dans cet univers, il faut qu’il y ait des gens qui te boostent, t’encouragent. Il faut que, dans la chaine, on ait des femmes. Mais il faut aussi que les hommes avec qui nous travaillons comprennent pourquoi on veut certaines commodités. Tout cela demande des personnes cultivées, ouvertes d’esprit qui peuvent échanger. Notre objectif est d’exister. Quand je parle d’une rupture avec le public, je fais référence à plein de choses. Quand on a un enfant et qu’il ne dessine pas, ne joue à aucun jeu de son âge, il se retrouve dans le programme des grands. Les enfants regardent des programmes qui ont pour objectif le divertissement, même celui de femmes de ménage.

Aujourd’hui, il y a un peu plus de réalisatrices. Comment appréciez-vous leur travail ?

Avez-vous vu les derniers films des femmes ? Par exemple, ‘’Une place dans l’avion’’ de Khadidiatou Sow est un film grand public et c’est toute sa force. Le personnage féminin qui est dedans n’est pas le personnage principal, mais il est fort. Pour moi, il est super prometteur. Le public africain a été habitué à l’humour. Le réalisateur n’est pas juste là pour se pavaner dans les festivals. Il doit faire face à tout, tout le temps. Il y a l’argent, le public, l’avenir, etc. C’est une mission qui n’est pas facile à accomplir.

Est-ce que l’Etat du Sénégal soutient le projet ‘’We are Yennengas’’ ?

Il faudrait les avoir sollicités. Ce n’était pas le cas. Je ne suis pas ce type de personne qui reste dans le giron du ministre de tutelle. J’ai envie de décrocher la lune et leur dit qu’il me manque telle ou telle autre chose. Il y a un travail à faire en avant. Cela requiert une dynamique. Quand on rentre avec les doléances de plein de gens, car j’ai invité un groupe de réalisatrices et quelques actrices. On a essayé de déblayer, d’échanger autour de nos problèmes. On a essayé de voir les pays où ils existent des fonds. L’idée est de pousser les femmes dont les pays n’en disposent pas, d’en réclamer. Au-delà de cela, on va voir comment s’entraider, se soutenir.

Il y a un soutien latéral possible. Il est prévu de faire un mémorandum où seront notifiées les difficultés notées. Après, avec ce papier, on ira à l’Union africaine, à la Cedeao leur présenter cela. La première dame du Burkina Faso nous soutient, parce qu’elle a compris. Alors, pour le Sénégal, on peut revenir sur la discussion qu’Angèle Diabang avait eue avec le président de la République qui trouvait que c’était une bonne idée d’avoir une fenêtre dans le Fopica dédiée aux femmes. On va raviver ce feu. Après, on va parler aux gestionnaires du Fopica pour voir les modalités, ensuite parler aux prétendantes qui ont des projets et identifier les bons. Cela pourrait nous permettre d’aller au prochain Fespaco avec des choses.

BIGUE BOB

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