Publié le 30 May 2020 - 03:37
FEMMES VENDEUSES DE MEUBLES A LALANE

Ces amazones de l’économie locale

 

Elles sont courageuses. Elles ont exclu la facilité de leur vocabulaire. Elles se sont forgé une personnalité. Depuis 1980, les femmes du village de Lalane, dans le département de Thiès, ont décidé de prendre leur propre destin en main, en se lançant dans la vente de meubles fabriqués à base des dérivés du rônier. Jadis géré par les hommes, ce commerce florissant est finalement tombé entre les mains de ces amazones qui portent désormais l’économie locale. À l’occasion du mois de mars dédié à la femme, ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre de ces épouses, mères de famille, femmes tout simplement, qui n’ont jamais célébré la journée du 8 Mars, mais qui connaissent bien leurs droits.

 

À peine le dos d’âne du collège d’enseignement moyen et de l’école élémentaire publique de Lalane franchi, on aperçoit de loin des étals de produits issus de la vannerie. À première vue, tout donne l’impression d’un petit marché. À moins de trois minutes de route, nous voici enfin au cœur des ‘’bureaux’’ des femmes de Lalane, un village 100 % chrétien. Sur place, des salons, des lits, des canapés, des paniers simples ou bien travaillés avec divers motifs, chaînes, tabourets… Tout y est presque. Ces produits qui séduisent le visiteur sont exposés le long de la route nationale qui mène à Tivaouane. Ici se développe, entre 8 et 20 h, un business florissant dans une ambiance festive.

À Lalane, la vente des meubles locaux a débuté depuis des années. Ce business a été exclusivement réservé aux hommes, dans un premier temps. Mais, en 1980, les reines de l’économie lalanoise ont pris les commandes. Quatre décennies durant lesquelles elles ont travaillé à le rendre plus attrayant. Grâce à leur sens inouï de l’organisation et leur abnégation, les femmes de Lalane ont fait de ce commerce leur principale activité et source de revenus incontestables. Une activité qui nourrit son homme.

Dans ce petit et très modeste ‘’Mall of America’’ de Lalane, le travail se fait sans relâche. Ces braves femmes bravent poussière, chaleur et froid pour avoir de quoi nourrir leurs familles. Il faut voir leur sprint quand un véhicule s’arrête. Peu importe l’endroit où stationne la voiture, elles courent toujours pour présenter leurs articles. Armées d’un courage extrême, elles n’y voient qu’une chose : convaincre les potentiels clients afin qu’ils achètent au moins un produit. Et ça se passe comme ça presque tous les jours de l’année.

Yvonne Diop fait partie de ces premières femmes à se lancer dans la vente de meubles locaux. Elle y travaille depuis 40 ans. ‘’Je me rappelle que quand j’ai commencé cette activité, j’étais encore très jeune. Je ne me souviens pas de l’âge exact. Par contre, j’étais très jeune. Depuis 1980, j’exerce ce métier avec fierté. J’y gagne ma vie et parviens à satisfaire les besoins de ma famille’’, se réjouit-elle, rappelant qu’au tout début, c’était difficile pour elle et ses camarades.

Cependant, la vieille dame soutient que les choses se sont ‘’beaucoup’’ améliorées, au fil des années. Et surtout, dit-elle, grâce à l’arrivée d’autres femmes dans le métier. ‘’Aujourd’hui, on rend grâce à Dieu. Parce que certaines d’entre nous peuvent rentrer à la maison avec 50 000 F CFA, si elles arrivent à vendre un salon à 30 000 F CFA et d’autres accessoires tels que les canapés qui coûtent 15 000 F CFA l’unité. C’est pour vous dire que la vente de ces produits traditionnels est notre voie de salut. On y reste pour apporter aide et soutien à nos maris’’, poursuit avec un brin de sourire mère Yvonne Diop. Doyenne de toutes les femmes que nous avons rencontrées, Yvonne précise que la confection de tous les meubles est l’œuvre de leurs maris. À elles est dévolu l’écoulement des produits.

‘’Parfois, on peut rentrer avec 200 F CFA, mais…’’

Il y a des jours où la vente se passe très bien. C’est le cas lors de l’ouverture de la saison touristique. Les femmes s’en sortent et se frottent bien les mains. Mais il y a malheureusement aussi des jours où rien ne va. Malgré ces échecs, elles ne comptent pas abandonner. Même si c’est difficile de passer la journée aux abords de la route et de rentrer avec 0 F CFA, elles se disent prêtes à aller jusqu’au bout. Il faut tenir bon, disent-elles en chœur. ‘’On peut rentrer avec beaucoup d’argent, si tout se passe bien. Comme aussi on peut rentrer à la maison avec 0 F CFA. Parfois, on peut descendre avec 200 F CFA, mais on n’abandonnera jamais ce métier. Nous avons choisi d’exercer cette activité et savions que ça n’allait pas être facile du tout pour nous. Nos mamans qui nous ont précédées n’ont pas abandonné, malgré les vicissitudes de la vie. Donc, ce n’est pas à nous de le faire’’, confie Rita Wade.

La jeune femme, teint clair, foulard rouge sur la tête, a rejoint ses aînées et mamans en 2011. Elle a arrêté les études pour se lancer dans ce commerce de produits locaux 100 % Made in Lalane. Après près de 10 ans d’exercice, elle dit ne rien regretter. ‘’Moi, je peux dire que je viens de commencer ce commerce. Je ne me plains pas. Tout se passe bien, pour l’instant. Je me bats tous les jours aux côtés de ces braves dames de Lalane qui sont mes doyennes. Tant que je suis en bonne santé, je continuerai à me battre pour ne dépendre de personne. Dieu m’a donné la force de travailler, donc je me dois de le faire pour me prendre en charge et faire de même pour mes enfants’’, dit Rita Wade. Poursuivant son propos, elle se glorifie d’avoir hérité ce ‘’merveilleux business’’ de sa maman. En dépit des contraintes, elle se dit prête à perpétuer ce legs dans la joie et le bonheur. ‘’Ma maman le faisait pour nous nourrir. Je le fais aussi pour prendre soin de mes enfants. Je ne suis pas prête à abandonner, parce que j’y trouve mon compte. À Lalane, les femmes ne font que ça et ne connaissent pas le repos. On se bat tous les jours. Je m’identifie à ce travail’’, s’enorgueillit-elle.

‘’On ne célèbre pas le 8 Mars, mais on connaît nos droits’’

A chaque 8 Mars, des femmes d’ici et d’ailleurs célèbrent la journée à leur façon. Par groupes, elles se rassemblent dans un endroit, s’habillent à l’Africaine pour marquer à leur manière ce jour dédié à la femme. Sauf que cette année, les grands rassemblements ont été évités. Epidémie de la Covid-19 oblige. En 2019, les femmes de certains villages de Fandène s’étaient donné rendez-vous devant l’église Saint-Marcel pour évoquer ensemble les avancées et les problèmes auxquels elles font face quotidiennement. Mais à Lalane, les ‘’porteuses de l’économie’’ n’ont jamais eu la chance de célébrer le 8 Mars. Cela ne les dérange pas pour autant. Elles affirment connaître leurs droits. ‘’Ici, on ne célèbre pas la Journée internationale des droits de la femme.

Mais cela ne veut pas dire que nous ne connaissons pas nos droits. Bien au contraire. On les connaît très bien. Les femmes sont plus que jamais conscientes de ce qu’elles représentent, ce à quoi elles peuvent aspirer. Fini la philosophie de la femme au foyer. Quand l’homme sort de la maison pour aller au boulot, la femme doit en faire autant. Moi, je suis là parce que c’est mon bureau préféré. Et je rends grâce au Seigneur. Car, grâce à ce commerce, j’ai pu enrôler toute ma famille dans la mutuelle de santé’’, confie à ‘’EnQuête’’ Bernadette Diop. Tout comme Rita Wade qui n’est pas prête à céder, ‘’mère Bernadette’’ qui a intégré la famille des vendeuses de meubles depuis 1986, affirme qu’elle va se donner les moyens de poursuivre cette expérience. Avec ce business, elle a pu payer la scolarité de tous ses enfants qui ont fréquenté une école privée catholique sise dans la ville de Thiès.

Les années passent et mère Bernadette Diop prend de l’âge. Après avoir passé plus de 30 ans dans ce métier, elle ne demande qu’une seule chose : que l’autorité locale, en l’occurrence le maire de la commune de Fandène, Dr Augustin Tine, les aide dans la réhabilitation de leurs cantines. ‘’Nous ne demandons rien du tout à l’État central, parce que nous ne connaissons pas cet État. Mais ce que nous voulons, c’est que le maire procède à la réhabilitation de toutes les cantines. À l’approche de chaque élection, on vient ici nous tympaniser. Mais au sortir de ces joutes électorales, on oublie tout. Nous voulons évoluer dans un environnement meilleur que celui-ci. Ça aussi, c’est un droit pour nous, en tant que citoyennes’’, réclame-t-elle.

Une clientèle diversifiée
 
À Lalane, les produits exposés et laissés à l’appréciation de l’acheteur sont variés. Tout comme la clientèle. Ici, tout le monde s’y retrouve. D’après les femmes, les Sénégalais y viennent en nombre pour s’en procurer. De même que les touristes. Pendant l’ouverture de la saison touristique, ils quittent Mbour pour rejoindre Lalane à la recherche de ces objets. Ainsi, le village de l’ancien gouverneur Léopold Wade devient un carrefour. Capitale de la vannerie traditionnelle.
 
Dans ce village, au-delà des salons complets (quatre chaises et une table) confectionnés pendant au moins une semaine, on y trouve des ‘’paniers ramadan’’ qui coûtent entre 750 et 1 500 F Cfa, des petites chaises et tabourets pour enfants au prix de 300 F CFA, des balais à 800 F CFA… Berceau de la vente des meubles et autres produits locaux, Lalane alimente les autres villages environnants, à l’image de Ndiobène et Ndiakhaté Ndiassane. Les femmes de ces patelins n’hésitent pas à s’approcher de leurs camarades de Lalane pour bénéficier de leur expertise.
 
À Lalane, dès le deuxième chant du coq, souffle-t-on, celles qui portent l’économie locale se lèvent et commencent à sortir leur marchandise. Au lever du soleil, elles ont fini d’exposer les produits. Et commence alors une nouvelle journée. Une longue journée sous le chaud soleil et le regard admiratif des milliers de voyageurs. Mais ce qui est plus important chez ces guerrières locales, c’est de rentrer avec le porte-monnaie plein de billets et de s’assurer que tout le monde a bien pris son bon petit-déjeuner au petit matin.
 
GAUSTIN DIATTA (THIES)

 

 

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