Publié le 18 Apr 2020 - 04:36
GESTION DE LA COVID 19

Le consensus en 1 000 morceaux

 

Encore une fois, les collaborateurs du président de la République se sont arrangés pour brûler tout l’élan de solidarité qui prévalait, depuis la présence de la maladie à coronavirus sur le territoire national.

 

Au climat d’unité nationale, s’est substitué un véritable méli-mélo, sur fond de scandales à milliards. Comment en est-on arrivé là, est-on tenté de se demander, au moment où toutes les forces vives de la nation étaient mobilisées autour du président de la République, dans le cadre de la lutte contre la pandémie ?

Le directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, en veut aux collaborateurs du chef de l’Etat. Il peste : ‘’Le président ne doit pas accepter que certains de ses collaborateurs brisent l’élan de solidarité autour de la gestion de cette pandémie. Il y a eu un sursaut national, un consensus inédit sur les mesures qu’il avait prises. Il ne doit pas accepter que certains de ses collaborateurs, mus par des intérêts crypto-personnels, contribuent à rompre ce contrat de confiance entre lui et le peuple.’’

De l’avis de son compère Valdiodio Ndiaye, membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections (COSCE), les critiques relatives à la gestion de l’aide alimentaire par le ministère en charge du Développement communautaire sont tout à fait justifiées. Il trouve injustifiable le lancement d’un appel d’offres pour la distribution des vivres. ‘’Vous savez, affirme-t-il, en décrétant l’état d’urgence suivi de la loi d’habilitation, l’Etat s’est donné même le moyen de réquisitionner du matériel et des personnes pour faire face à cette pandémie. Aussi, des Sénégalais se sont manifestés volontairement pour proposer leurs services à titre gratuit. Je ne peux donc comprendre pourquoi on s’est évertué à lancer des appels d’offres… Cela n’obéit à aucune logique et ça nourrit la suspicion’’.

Pour le membre de la société civile, il n’est pas trop tard pour revenir à l’orthodoxie et corriger les impairs dans la gestion du fonds. Il appelle de ses vœux le comité de pilotage annoncé par le chef de l’Etat, le 3 avril, pour la supervision du fonds Force-Covid-19. ‘’En 48 heures, renchérit l’expert électoral, des avis pertinents qui pourraient aider l’Etat dans la prise de décision pourraient être retenus. Comme l’a dit le président, nous sommes en guerre et quand on est en guerre, le président peut faire appel même aux réservistes. Je pense que cette affaire de la gestion de l’aide aux populations ne doit pas être l’affaire d’un ministère’’.

Pourtant, tout semblait bien parti, si l’on en croit le membre du COSCE. Valdiodio Ndiaye rappelle les rencontres avec les différents segments de la nation, les différentes concertations. Et de prôner la diligence des directives présidentielles pour gagner la guerre contre le virus.

Le directeur exécutif de l’ONG 3D ne dit pas le contraire. Selon lui, le président Sall devrait tout faire pour préserver le climat d’unité qui règne dans le pays, depuis le début de la crise. Ainsi seulement, soutient-il, le Sénégal pourrait sortir victorieux de cette guerre contre le coronavirus et ses effets. Et si on l’en croit, la présence du beau-frère est de nature à gêner le processus. D’autant plus que ce dernier a prêté le flanc dans la gestion. ‘’Le fait qu’il gère ce processus ne facilite vraiment pas les choses. Ça devrait être une raison supplémentaire pour lui d’être exemplaire, mais on constate que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, c’est une urgence, pour le président, de rectifier le tir, pour restaurer la confiance et l’élan de solidarité nationale. Autrement, nous serons distraits par ces questions de transparence, au lieu de nous focaliser sur l’essentiel, c’est-à-dire la lutte contre la pandémie’’.

Abdou Mbow : ‘’Ce sont des accusations sans fondement’’

Chez les défenseurs du régime, on lance surtout un appel à la retenue. A entendre le député Abdou Mbow, par ailleurs porte-parole adjoint du parti au pouvoir, c’est comme si tout est en train d’être fait dans les règles de l’art. ‘’Il faut, recommande-t-il, faire confiance au président de la République et à son gouvernement. On ne peut passer son temps à accuser les gens sans aucun fondement. Le président a pris des mesures fortes qui sont en train d’être mises en œuvre. Il est plus sage d’attendre la fin pour procéder à l’évaluation’’. Le plus important, estime le parlementaire qui trouve les critiques infondées, c’est que les denrées atteignent les cibles.

Par rapport aux propositions faites au chef de l’Etat de désigner des personnalités neutres pour conduire ce processus de l’acheminement de l’aide alimentaire, il déclare : ‘’Il faut que les gens sachent raison garder. Ce pays est confié au président Macky Sall. Il a son gouvernement et des institutions qui travaillent. Il ne faut pas aller dans la facilité, en disant qu’il doit choisir des personnalités neutres. Je pense qu’on devrait tous faire confiance au président qui a la légitimité populaire. Ce n’est pas pour rien qu’on lui a donné une loi d’habilitation pour gouverner par ordonnance.’’

A ses pairs, collaborateurs du chef de l’Etat et aux différents segments de la nation, il suggère : ‘’Nous avons tous l’obligation d’accompagner le chef de l’Etat pour qu’il réussisse sa mission. Le connaissant, je suis convaincu qu’il va tout faire pour atteindre ses objectifs, dans l’intérêt du peuple sénégalais.’’

Le CRD parle de ‘’trahison’’ et demande la démission du ministre Mansour Faye

Le moins que l’on puisse dire est que cet appel au calme a du mal à passer, aux yeux de l’opposition la plus radicale qui parle de ‘’trahison’’ et réclame la démission ou le limogeage du ministre en charge du programme de distribution de l’aide alimentaire, par ailleurs beau-frère du président de la République.

Selon la Conférence des leaders du Congrès de la renaissance démocratique, ses membres, dès le début, suite au vote de la loi d’habilitation, avaient soupçonné une volonté de prédation et avaient sonné la mobilisation citoyenne pour veiller sur la bonne utilisation des ressources publiques. ‘’Chemin faisant, lit-on dans le communiqué, voilà que se révèle au grand jour un scandale d'une extrême gravité dans la mise à disposition de l’aide alimentaire aux populations démunies, au moment où le peuple sénégalais s’est mobilisé à l'instar de tous les peuples du monde, dans un élan patriotique et solidaire, dans la guerre contre la Covid-19’’.

A en croire ce segment de l’opposition, ‘’il s’agit là d’un plan de trahison froidement exécuté avec un cynisme incompréhensible contre un peuple étreint par la psychose de la faim, de la maladie et de l’asphyxie économique. Pourtant, pour des gens honnêtes et patriotes, il aurait juste suffi de procéder par cash transfert ! Evidemment, une telle option présenterait le défaut d’être transparente et fiable’’. D’après les camarades d’Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, le président de la République a l’obligation éthique et morale de libérer le ministre du Développement communautaire de toutes charges publiques pour qu’il réponde des faits graves dont il est accusé.

Le CRD propose, en outre, que les décisions portant attribution de marchés dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, soient prises dans un cadre de procédure accélérée, mais également de manière collégiale, afin de garantir la transparence. ‘’Le fait d’être beau-frère du président de la République ne doit pas et ne peut pas être un passeport de licence concussionnaire pour faire comme bon lui semble de nos deniers publics, encore moins un sésame d’impunité’’, tiennent-ils à préciser.

CHARGEMENT DES CAMIONS

La priorité aux transporteurs bénévoles  

Pendant que le débat sur la transparence de la gestion de l’aide soulève des vagues, les transporteurs patriotes, eux, continuent de mener le combat contre ceux qui ont été pris par l’Etat, dans le cadre d’un appel d’offres très contesté.

A en croire nos sources, avant-hier, au lieu de chargement, les choses avaient failli dégénérer, car les bénévoles ne comprenaient pas que des camions appartenant aux businessmen puissent passer avant les leurs. Mais leurs récriminations semblent avoir été bien prises en compte. ‘’Je pense que les choses sont revenues à l’orthodoxie. Jusqu’au moment où nous parlons, ce sont nos camions qui sont en train d’être chargés. Je crois que c’est une sage décision qu’il faut maintenir’’, répond Momar Sourang, porte-parole du Collectif des associations de transporteurs du Sénégal. Lesquels avaient proposé à l’Etat de mobiliser leur parc pour un transport gratuit des marchandises destinées à l’aide alimentaire.

Aussi, souligne M. Sourang, ses camarades ont pu mobiliser plus de 100 camions et d’autres continuent de se signaler. L’homme, qui trouve inexplicable que l’Etat continue de payer des camions, dans le cadre de la lutte contre la pandémie, invite le chef de l’Etat à s’adresser aux transporteurs directement, puisqu’il y a urgence et quand les camions des bénévoles sont en cours, l’Etat peut avoir besoin d’urgence.

Selon lui, le tiers du parc national aurait suffi pour acheminer tous les vivres en 10 jours. ‘’Il n’est pas encore trop tard ; le chef de l’Etat peut bien redresser la barre. Il faut surtout éviter d’écouter les courtisans. Il faut profiter de l’unité nationale qui s’était dessinée pour prendre les bonnes mesures, afin de gagner le combat. Sinon, l’après corona risque d’être plus dur’’, confie-t-il.

MOR AMAR

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