Publié le 25 Dec 2020 - 08:35
INTERDICTION DE FAIRE DU SPECTACLE A CAUSE DE LA COVID-19

Les artistes gagnent une bataille 

 

À l’initiative de la Coalition des acteurs de la musique, les professionnels de la culture ont réussi à tenir leur sit-in pour dénoncer les décisions gouvernementales leur interdisant de faire du spectacle en cette période de crise sanitaire.  

 

Les artistes et acteurs culturels se sont fait entendre hier. À la place de la Nation, ils ont tenu leur sit-in, déchirant ainsi l’arrêté du préfet de Dakar qui leur avait refusé, pour une seconde fois, l’autorisation de le tenir. Dans la matinée de ce mercredi, la police, qui avait mis en place un important dispositif, les attendait de pied ferme. Beaucoup croyaient qu'il allait y avoir une confrontation entre elle et les artistes et acteurs culturels.

Mais fort heureusement, ces derniers ont pu tenir leur sit-in sans aucun incident. Car, dans l’après-midi, à l’heure du rendez-vous, les forces de l’ordre ont quitté les lieux. Ainsi, rappeurs, chanteurs, danseurs, managers d’artistes, propriétaires de boîte, techniciens, etc., se sont mobilisés, tous comme un seul homme, pour protester contre l’interdiction qu’il leur est faite d’accueillir, de jouer de nouveau dans les établissements tels que les restaurants et les débits de boissons. Pour les contestataires, une bataille est gagnée.

Parmi les manifestants, l’acteur culturel Amadou Fall Ba. ‘’Symboliquement, il fallait être là. C’est important. Les gens ont compris le message, parce que tout le monde est là. Je n’ai pas trouvé de policiers ici. De toute façon, qu’il y ait des policiers ou pas, j’avais déjà décidé de marquer le coup’’, dit-il, saluant la réussite de cette initiative de la Coalition des acteurs de la musique.

’Au début de la pandémie, les artistes ont été sollicités. Ils se sont mobilisés de façon bénévole pour combattre la maladie. Aujourd’hui, les autorités veulent couper leurs têtes. Nous ne sommes pas des faire-valoir. Nous ne sommes pas des mouchoirs à jeter’’, dit-il indigné.

L’initiateur de l’événement, Galsen Hip Hop Awards Y Dee, s’est dit satisfait d'avoir trouvé sur place le monde de la culture. ‘’Autorisé ou pas, l’essentiel était de nous rencontrer tous ici. Que l’on soit artiste ou promoteur culturel. Ça fait du bien. Ça fait plaisir de voir tout ce beau monde. Des gens qui sont dans différents aspects de la culture se sont retrouvés au même endroit pour combattre ensemble une injustice pour le bien de la culture. C’est un moment crucial pour nous tous’’, ajoute-t-il. ‘’Cela montre que les autorités commencent à prendre conscience de la détermination que nous avons. Et nous sommes des citoyens. La confrontation entre la police et les citoyens est mal vue, non seulement par la population, mais aussi l’étranger. Je crois que c’est cette capacité de réflexion qui fait que nous pouvons espérer avoir satisfaction demain, dans les autres combats que nous allons mener’’, renchérit un artiste.

‘’Ces décisions du gouvernement arrachent notre dignité’’

 ‘’Le président va donner une suite favorable, dans les 48 heures à venir'', a annoncé Youssou Ndour, dans la matinée d’hier. Le médiateur entre la plus haute autorité et les artistes voulait éviter la tenue de la manifestation et surtout une confrontation entre artistes et forces de l’ordre qui ont finalement lâché du lest. Car les professionnels de la culture se sont montrés déterminés à manifester.

Selon le rappeur Fou Malade, les artistes auraient dû montrer depuis longtemps leur indignation. ‘’Je fais partie des gens qui pensent qu’on devait faire cette manifestation depuis longtemps. Mais nous ne pensions pas que la situation allait en arriver là. C’est que cette deuxième vague qu’on est en train de parler, ça a surpris tout le monde. Parce qu’avant la hausse des cas de contamination, de petits événements se déroulaient dans les salles’’, dit-il. Avant de souligner : ‘’Les artistes ont passé des messages de sensibilisation à travers la musique, la danse, et tant d’autres formes d’art. Donc, personne n’est plus conscient qu’eux de la manière de se comporter face à cette pandémie.’’

De son côté, Faada Freddy estime que les mesures qui ont été prises n’ont pas seulement un impact sur le plan financier. ‘’Elles nous arrachent, artistes et acteurs culturels, notre dignité’’, dit-il. Selon lui, l’Etat est en train d’assommer les artistes. ‘’Nous faisons partie de ce pays. Et nous sommes les bibliothèques qui permettent de conserver la culture, la mémoire collective. Qui servira de repère aux générations futures. Si on sacrifie, tue les artistes, qui fera ce travail de transmission de l’histoire aux générations futures ? Le président avait demandé de vivre avec le virus. Mais les nouvelles mesures ont été sûrement prises dans l’erreur.  Parce qu’au Sénégal, ce n’est pas facile. Sacrifier les artistes sans aucune mesure permanente pouvant les aider, ne fait qu’encourager les jeunes à l’émigration irrégulière. C’est le même cas qui se présente chez les lutteurs. Nous voulons travailler dans la dignité. Nous ne mendions pas’’, a-t-il estimé.

Il appelle le gouvernement à trouver un équilibre pour surpasser la crise internationale. En effet, estimant que les réalités ne sont pas les mêmes, il demande une décision sociale. Son binôme du groupe Daara J Familly, Ndongo D, peste : ‘’Quand j’ai vu les sorties des autorités, je me suis senti mal à l’aise. C’est comme si la culture, notamment la musique, n’a aucune importance. Le 5 décembre, nous avons fait une tournée internationale où nous avons tenu des concerts dans des salles qui ne sont pas pleines, pour respecter toutes les mesures barrières.’’

En effet, les artistes et acteurs culturels ne comprennent pas la logique du gouvernement. Pour eux, rien ne peut expliquer le fait que les marchés, les lieux de culte, bref, tous les lieux successibles d’accueillir du public, soient rouverts et non les lieux de spectacle. Ils ne comprennent surtout pas, par exemple, qu’on interdise aux artistes de faire du spectacle dans les restaurants où il n'y a que 40, voire 30 places.

D’où la prise de parole de Guissé Pène qui dénonce le deux poids, deux mesures. ‘’Par espace public, si on veut extraire les marchés, les transports, les sociétés commerciales telles que les banques, les sociétés de téléphonie mobile, etc., ça pose problème. Parce que, par espace public, il ne faut pas simplement entendre l’art. Le secteur des arts n’est pas facteur du virus. Mais dans ce dessein, il est le seul à être pointé'', dit-il.

‘’Au restaurant, on arrête la musique, mais les gens continuent de manger. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est cette discrimination et incohérence dans ce décret qu’on dénonce d’abord, pour ensuite demander qu’on nous restitue notre dignité, parce que nous sommes des travailleurs. C’est eux-mêmes qui ont parlé du statut de l’artiste qui nous confère le statut de travailleur. Donc, il faut qu’on nous laisse travailler’’.

COVID-19 ET ACTEURS CULTURELS 

 Innocence Ntap Ndiaye promet de rencontrer le monde de la culture

A la veille des fêtes de Noël qui s’annoncent très tendues entre les autorités qui maintiennent les mesures de restriction dans les lieux de distraction, en vue de stopper la 2e vague de Covid-19, et les acteurs de la culture qui ne l’entendent pas de cette oreille, Innocence Ntap Ndiaye veut jouer les bons offices.

IDRISSA AMINATA NIANG 

A Saly Portudal où le Haut conseil du dialogue social (HCDS) organise, depuis dimanche dernier, un forum sur l’employabilité des jeunes, la présidente Innocence Ntap Ndiaye a manifesté, en marge de l’activité, son intention de rencontrer les acteurs culturels pour jouer pleinement son rôle. ‘’N’eût été cette activité importante que j’avais aujourd’hui et que j’ai tenu à présider de bout en bout, je pense que j’aurais rencontré les artistes. J’ai demandé effectivement à les rencontrer et je pense que, dès demain (aujourd’hui), je pourrai le faire’’, a déclaré la présidente.

Madame Ntap estime que, dans ce contexte de gestion de la Covid, c’est seulement par la concertation qu’on y arrivera et que chacun aussi mesure sa responsabilité. La présidente du HCDS de poursuivre : ‘’Nous allons vers les fêtes et, ça se fête en famille, mais également à l’extérieur, avec des personnes extérieures, alors qu’il y à la crise sanitaire. Maintenant, il y a un manque à gagner certain. Ils avaient déjà reçu un appui par le biais du ministère de la Culture. Donc, il s’agit de voir maintenant comment gérer cette période de fête.’’ 

Elle ajoute : ‘’C’est combien de jours ? C’est sept jours. Alors, est-ce que les gens vont accepter d’avoir autant de morts en sept jours dans ce pays où on parle de six morts par jour ?’’ Pour Innocence Ntap Ndiaye, si on déconfine complètement et que les gens ne respectent pas les mesures, c’est un problème. ‘’Donc, fait-elle savoir, il ne faut pas mettre en avant le manque à gagner, il faut mettre en avant la sécurité humaine et je pense qu’ils m’entendront certainement’’.

Dans le même cadre, elle explique : ‘’Moi, je suis prête à discuter avec eux. D’ailleurs, j’étais déjà dans un projet avec Hugues Diaz qui était le directeur du Cinéma pour voir avec les acteurs culturels comment mener une concertation pour parler de leurs conditions d’existence. Alors, l’un dans l’autre, c’est une question d’actualité, et je ne manquerai pas de prendre contact avec eux. C’est mon rôle de jouer la médiation, car dans toutes questions qui interpellent les autorités, les mandants tripartites et qui peuvent jouer sur la stabilité sociale de notre pays, le Haut conseil du dialogue social s’engage.’’

BABACAR SY SEYE

 

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