Publié le 15 Nov 2012 - 16:39
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

L’ineptie sénégalaise

 

 

Les critiques contre Abdoul Mbaye, en ce qui nous concerne puisque nous avons été les premiers à nous insurger contre le fait que le Premier ministre, tout comme le ministre des Finances, soient issus de la Direction des secteurs bancaires, ne sont pas personnelles. Elles tirent leur pertinence d’une orthodoxie politique bien comprise. Même si le régime d’Abdoulaye Wade était devenu libéral dans un processus de dérive droitière, combattue dès son origine par le Professeur Serigne Diop, il n’avait pas posé un acte politique aussi grave que de confier les leviers de la politique économique et financière, essentielle dans le contexte de redressement imposé au régime de Macky Sall, à deux affidés du capitalisme international.

 

Le Premier ministre sénégalais a été décoré par la France comme bien de nos concitoyens parmi lesquels certains ont renié une vie antérieure dans laquelle la médaille française était une abomination coloniale depuis que l’écrivain camerounais lui avait consacré un ouvrage resté célèbre, ''Le vieux nègre et la médaille''. Quoiqu’Abdoul Mbaye soit prophète en son pays, mais plus encore hors de son pays, il n’est pas tout à fait satisfait parce que la caution de la presse manque à son bonheur : ''Demain, anticipe-t-il, certains esprits chagrins vont certainement railler dans la presse l’image de cette cérémonie en la classant comme un cliché de plus sur la longue liste des vestiges du néocolonialisme français…''

 

L’affaire est éminemment politique puisqu’il a sollicité une controverse en se faisant décorer comme un Premier ministre français, selon la règle instituée par le général De Gaulle, que la dignité de grand croix soit accordée en France et de droit au Premier ministre français. La polémique sur la nationalité qui a emporté le ministre de la Communication, Abou Lo, est sous ce rapport bien injuste car la nationalité sénégalaise, mal définie aux origines par un référendum acquiescent, est formellement étendue à tous ceux qui servent les intérêts français comme les militaires guinéens dont elle avait besoin pour déstabiliser le régime de Sékou Touré et d’autres petites mains de la Françafrique, pour ne pas dire néocolonialisme comme Abdoul Mbaye.

L’histoire commune de la France et du Sénégal invoquée par Abdoul Mbaye, pour n’être pas aussi idyllique qu’il le vit, obéit à une dialectique qu’il décrit non sans pertinence : quand il dit qu’elle ne s’interdit pas d’évoluer au gré des circonstances et selon les intérêts des deux pays. Il reste qu’il est difficile, dans les relations internationales, que deux pays aient les mêmes intérêts surtout quand l’un a subi de la part de l’autre l’oppression coloniale. La distribution des médailles par la France pose un dilemme certain, lequel relativise la question des nationalités fort compliquée pour une fraction de notre classe dirigeante, pour ne se poser que celle de savoir : pour quels services rendus Abdoul Mbaye a mérité de la France plus que du Sénégal pendant ces six mois ?

 

L’enjeu du débat de mon point de vue n’est pas la mise en jeu de son poste, ce qui ne concerne au premier chef que le président de la République et accessoirement son parti si tant est que malgré ses prérogatives régaliennes et souveraines de nommer qui il veut, la gestion du pouvoir même monarchique ne peut être solitaire. La remise au goût du jour de la loi sur l’enrichissement masque l’incapacité des banquiers au pouvoir, malgré leur connexion internationale ajoutée à la proximité du chef de l’État avec les possibles enrichis illicites, à situer les fonds expatriés. La démarche précipitée du procureur invoque une justice aux ordres et son pèlerinage à Touba une peur panique des responsabilités inquisitoires dont l’État s’est défaussé sur lui.

Car il a posé un acte politique qui incombait au président de la République Macky Sall en exécution de ses engagements de récupérer les biens nationaux. En une circonstance proportionnellement grave, le général De Gaulle avait pris le 18 octobre 1945 une ''Ordonnance sur la confiscation des profits illicites''. Il faut dire qu’il prenait en main un pays après l’avoir libéré du joug de l’Allemagne nazi. La méthode du capitaine John Jerry Rawlings a été plus drastique, lequel pour des sommes moins astronomiques que celles invoquées au Sénégal a fusillé les chefs d’État qui avaient mis l’économie du Ghana à genoux. Lui aussi avait fait la révolution. Ce qui n’est pas le cas de Macky Sall qui porte le fardeau de son passé libéral. Ni lui ni Abdoul Mbaye et encore moins ses alliés de circonstance ne semblent à la hauteur des enjeux politiques soulevés. C’est l’ineptie sénégalaise d’une classe politique soumise aux mêmes intérêts, qui ne peut moraliser la gestion publique contre elle-même et ses privilèges de caste institutionnalisés.

 

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