Publié le 28 Nov 2013 - 21:15
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

 Ouakam donne le ton

 

La communauté léboue de Ouakam vient d’administrer une leçon de réalisme politique à travers ses chefs coutumiers Nguèye Khoudia Guèye, Youssou Ndoye et Oumar Guèye Samb, les trois Jaraaf rivaux, qui ont décidé non plus de se disputer le pouvoir mais de le partager. Après avoir engagé tout son potentiel humain dans des négociations avec le pouvoir pour recevoir une juste indemnisation de son foncier aliéné par l’Etat du Sénégal, le versement des redevances, chiffrées à milliards, achoppait sur la question de la représentativité des mandataires.

L’Etat du Sénégal dont la position constante est de ne pas choisir ouvertement une faction contre les autres, a finalement pris acte de l’unité retrouvée pour honorer son engagement. Qu’importe le temps que cela durera : n’est-ce pas là un exemple à suivre pour toute la communauté nationale secouée pas d’interminables disputes entre politiciens d’un pouvoir non encore acquis, convoité ensemble ou perdu ? 

Il l’est aussi et surtout pour son entité globale la Collectivité léboue de Dakar qui se déchire depuis près de 45 ans, sans aucune trêve ni accalmie. L’élection d’un nouveau Serigne Ndakaaru en la personne d’Abdoulaye Makhtar Diop, une restauration en somme, avait suscité une confiance dans la perspective d’une réunification de cette collectivité du fait non seulement de la notoriété de l’impétrant mais aussi de sa position centrale entre les deux camps antagonistes du moment.

Ce n’était en fait que l’occasion de la relance d’une controverse de légitimité entre lui et le fils de feu Bassirou Diagne qui, tout usurpateur qu’il fut, a marqué le temps et l’espace sénégalais d’une présence imposante. Et troublante pour ce qu’il avait été adoubé par les dignitaires compétents en la matière de l’époque et pour avoir survécu à quatre autres Serigne Ndakaaru de la branche de Dial Diop, fils de Ngoné Mbengue à la légitimité incontestée.

Une prestation télévisée du nouveau Serigne Ndakaaru Abdoulaye Makhtar Diop, qu’il estimait certainement décisive dans sa stratégie inopportune de dislocation du camp de feu Bassirou Diagne, a remis en cause les velléités de retrouvailles. Les initiateurs étaient partagés entre les notables anciennement alliés de feu Bassirou Diagne, diversement motivés et ceux qui, fervents légitimistes, pensaient que l’avènement d’un Diop, petit-fils de Dial Diop II et descendant de Diali Ngoné Mbengue, Abdoulaye Diop Makhtar, gommerait tous les contentieux historiques.

Les premiers avaient envoyé en éclaireur l’imam Baye Dame Diène, l’exception d’une fratrie très politique comprenant Feu Ahmed Diène et Adja Arame Diène. Ce bon maître d’école coranique simple et bon tombera sur un bec : son neveu le Ndey ji Rééw Alioune Diagne Mbor campera sur l’intransigeance héritée de feu Thierno Yoro Diagne, son frère et prédécesseur dans la charge coutumière qui avait organisé la résistance et tenu tête à la majorité du conseil supérieur de dignitaires qui avait imposé Serigne Ndakaaru Bassirou Diagne.

La fin de non recevoir à l’offre de paix du camp de feu Bassirou Diagne par le Ndey ji Rééw Alioune Diagne Mbor interroge, même à ceux qui l’estimeraient pertinente, le principe de la collégialité comme norme de prise de décision des dignitaires de la collectivité léboue du Cap-Vert. La question de la paix entre Lébous ne méritait-elle pas d’être traitée dans les instances coutumières compétentes plutôt que d’être résolue à la hussarde entre une très proche parenté dont l’inimitié légendaire est entretenue par des choix politiques toujours divergents.

Cette rivalité est si têtue qu’elle a résisté à l’unification au sein de l’Union progressiste sénégalaise et a persisté dans la Parti socialiste dans des tendances opposées. Elle est aujourd’hui, compte tenu de la position de cette éminente famille dans la collectivité léboue, un facteur dirimant de son évolution en en alimentant les crises en des étapes qui auraient pu être décisives dans son évolution.

La léthargie subséquente de la collectivité léboue de Dakar a altéré son leadership fédérateur sur les villages traditionnels qui s’organisent désormais sans rien en attendre, l’organisation de l’ancienne République léboue étant beaucoup moins centralisateur que le modèle français qui est venu s’y greffer. Or le nœud de la division, par delà les rivalités de familles et au sein des familles, est l’adaptation que certains dignitaires tentent de faire de leurs fonctions respectives à celle d’un gouvernement de la République.

Le modèle qui s’impose sous ce rapport est celui qui habite notre passé colonial, le plus récent étant celui de 1958. Pour cela, le souci des Lébous de Dakar, n’est-il pas de voir actuellement les dignitaires, qui ont occupé des hautes fonctions politico-administratives, faire fonctionner les institutions coutumières selon les rudiments de leur formation dans les écoles d’administration et leur pratique des cabinets ministériels ?

Ainsi, le Ndey ji Rééw a-t-il rétabli sa fonction dans sa plénitude originelle en pesant de sa forte personnalité  sur les institutions coutumières au détriment du Ndeyi Njambur institué par une réforme dont les prérogatives sont d’autant plus «déménagées» que ce poste est vacant depuis le décès de son dernier titulaire de lignée «Sumbar» Mbaye Ndiaye Bineta Paye, bien avant la disparition concomitante des deux grands serigne. 

La seconde caractéristique de ce pli moderniste est l’échappée solitaire du nouveau Serigne Ndakaaru qui crée des commissions à tour de bras et à l‘ombre de qui prolifèrent déjà les lobbies d’inspiration opportunistes ralliés à sa cause. Lesquels sont restés inopérants face au camp adverse qui a déjà produit un document politique sur la troisième centralisation soumis à la plus haute autorité du pays. Mais voilà que les chefs coutumiers de Ouakam donnent le ton : une seule voix pour défendre les intérêts de chaque communauté au moment où les rapports entre toutes sont en passe d’être redéfinis.

 

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