Publié le 5 Oct 2020 - 14:19
LE PROTOCOLE DE L’ÉLYSÉE : CHAPITRES IV À VIII

Commentaire composé (suite)

 

Le livre de Thierno Alassane Sall n’est nullement une somme de divulgations de secrets d’État ou même de secrets tout court. Pour ceux qui suivent l’actualité politique et économique de notre pays, il n’y a pas fondamentalement de faits nouveaux. Mais l’intérêt principal de ce livre est à notre avis double. Le premier est qu’il compile des informations précieuses qui facilitent au chercheur, au politologue et à l’analyste le travail d’investigation ; et au citoyen l’information qui ne lui est pas toujours donnée correctement. Le second est qu’il s’agit d’informations, pour la plupart, provenant d’un acteur clé, d’une pièce maîtresse dans la gouvernance de notre pays depuis 2012 au moins : on ne pourra pas cette fois-ci arguer de l’ignorance et de l’extériorité de ceux qui parlent des différentes « affaires » qui y sont traitées.

Le chapitre IV « ceux qui dirent non à l’indépendance » est une révision de l’histoire politique du Sénégal de 1960 à 2000. Les hommes politiques sénégalais y sont classés en deux catégories : les nationalistes dont Mamadou Dia est le symbole et les autres trop « amis » avec la France pour incarner une indépendance véritable. C’est cette dichotomie qui permet de comprendre la rivalité au sommet de l’État entre Dia et Senghor : la crise qui les opposa en 1962 était en fin de compte l’expression de l’ambivalence de notre société et de la nature déchirée de nos élites.

L’auteur n’a pas manqué de nous donner des illustrations concrètes de mauvais choix de Senghor (qui a réussi à se débarrasser de Dia de façon machiavélique) qui ont conduit notre pays sur une fausse piste. Les différentes sociétés nationales et les banques (ONCAD, BNDS, SONAGA, SNCFS, SOTRAC, etc.) qui ont fait faillite nous rappellent combien la gestion du Parti socialiste a été calamiteuse pour une indépendance économique. Le chapitre se termine sur le désenchantement qu’a été la gouvernance de Wade au bout de quelques années alors qu’il incarnait, au regard de son parcours et de son panafricanisme affiché, la clé de l’indépendance.

Le chapitre V est un Mémoire sur l’engagement politique de l’auteur ; engagement dont la flamme a été ravivée par l’arrivée en 2008 de l’opposant Macky Sall victime de l’ostracisme du PDS. Le passé politique (surtout dans la périphérie des partis de gauche) de l’auteur y est exposé. Mais ce sont surtout les injustices et la culture de prévarication sous le magistère de Wade qui ont réveillé sa fibre politique. Le partage inique, antirépublicain et rocambolesque des terres de l’aéroport LSS au mépris des règles de sécurité relative aux aéroports ; les fonctionnaires corrompus capables de renoncer à leurs principes pour garder leur poste ; l’apostasie politique incompréhensible des partis de gauche sous Macky Sall ; le maraudage que Macky a fait des Assises, l’ironie du sort de Khalifa Sall, injustement emprisonné par Macky alors qu’il fit partie de ses plus grands défenseurs lorsque Wade le menaça de prison pour des délits plus graves…

Une phrase résume la fragilité de notre État par la nature des rapports que ses serviteurs ont avec le bien public : « J’ai pu observer au fil de mon itinéraire professionnel au Sénégal, comment des hommes de l’art falsifient ou à tout le moins omettent de rappeler les règles de leurs métiers par intérêt ou par peur pour leurs positions de sinécure » p.108.

Le chapitre VI peut être résumé comme étant le témoignage d’un acteur (intrus peut-être ?) d’un système qui a fini d’être un mécanisme de prédation et de mal gouvernance.

La démission des élites

L’auteur montre que la croisade de Macky contre la mal gouvernance a été une énième imposture facilitée par une étonnante docilité de la classe politique et des citoyens qui l’ont laissé faire. Le fameux « du Wade sans Wade » prit enfin forme en s’emparant de toute la société et de la république sans aucune forme de civilité. L’indolence républicaine et la fumisterie politique des élites permirent à Macky de trahir et les assises et le pacte de confiance qu’il avait contracté auprès du peuple.

La presse déménage au Palais :

Les pages 124 et 125 donnent au lecteur une panorama des intrigues qu’il y a entre Macky et les médias « Plusieurs patrons de presse ou journalistes figurent désormais au rang des visiteurs du soir du couple présidentiel… L’entourage proche de Macky Sall grouille d’un nombre de journalistes à faire saliver la rédaction de n’importe quel organe de presse du Sénégal. Tout ce beau monde fait partie du lobby orchestré depuis le palais pour surveiller la presse, l’inonder d’informations favorables ou désamorcer les investigations toxiques ». Après avoir décapité le PDS, principal parti d’opposition, Macky a tout bonnement domestiqué la presse par l’argent du contribuable.

Les intellectuels faussaires

La lutte contre les dérives de Wade a révélé aux Sénégalais des intellectuels jusque-là peu connus du public en plus de ceux qui avaient depuis longtemps fait le voyage qui va de la société civile à la politique. Le propre d’un intellectuel faussaire, comme l’a expliqué Pascal Boniface dans l’Avant-propos de son livre Les intellectuels faussaires, Le triomphe médiatique des experts en mensonge, c’est d’abuser de sa posture intellectuelle pour défendre, selon la météo politique, des idées pseudos scientifiques : « Ce sont donc des « faussaires » qui fabriquent de la fausse monnaie intellectuelle pour assurer leur triomphe sur le marché de la conviction. Pire encore : les « mercenaires ». Ceux-là ne croient en rien, si ce n’est à eux-mêmes. Ils vont adhérer (ou plutôt faire semblant d’adhérer) à des causes, non parce qu’ils sont convaincus de leur bien-fondé, mais parce qu’ils estiment qu’elles sont porteuses, qu’elles vont dans le sens du vent dominant ».

Ce type d’intellectuels dénoncés par Boniface pourraient est incarnés par ceux que TAS cite à la page 126 : « Ismaïla Madior Fall, un de ces intellectuels vedettes de plateaux de télévision ainsi que Mody Gadiaga aux analyses corrosives des arguments des pros Wade furent aux petits soins de Macky Sall puis promis à des positions de sinécure. Ce ne furent pas les seuls universitaires à devenir des satellites du nouvel astre sénégalais ou de la Première dame, réduisant ainsi au silence les voix naguère les plus virulentes du Sénégal ».

Une phrase pourrait résumer ce chapitre : « Les autres acteurs (membres des assises, les coalitions contre Wade, la presse, etc.) furent, me semble-t-il, assez indulgents sur les arrières pensés en filigrane dans l’agenda politique de Macky Sall » p.121

Le chapitre VII met à nu le scandale de l’affaire GVG/MTL à propos des appels entrants. Ce chapitre montre comment des décisions a priori révolutionnaires et patriotiques peuvent être détournées à des fins politiques ou de prévarication. Des pseudos investisseurs viennent proposer une technologie qu’ils n’ont guère, amassent des milliards sans en avoir dépensé un seul. Voilà en résumé comment a été galvaudée une idée dont le fondement était peut-être légitime. Wade a généreusement offert à ces sociétés OVNI des ressources sans qu’elles ne soient capables de justifier leurs prétendues opérations par des installations techniques visibles ! On ne sait d’ailleurs pas pourquoi notre actuel Zorro national, n’a jamais daigné traduire sérieusement MTL en justice ! Le mystère qu’a été l’épilogue des affaires Moustapha Yacine Gueye et Ndongo Diaw montre que la justice dans ce pays est à la fois partiale et borgne. Ce même type de partenariat pourrait expliquer la rente qu’est devenue la SONATEL pour la firme orange (nous y reviendrons).

Le chapitre VIII expose, dans les détails, l’affaire scabreuse des immeubles de l’ARTP. Ce chapitre devrait être lu et commenté à haute voix à l’attention des nouvelles recrues des corps de contrôle, des lanceurs d’alerte et de la presse. Tout est parti d’un décret portant affectation de ressources financières issues de la vente de la fameuse licence 3G par l’État. Ces ressources ont été gracieusement, du moins prétendument tel, affectées à l’achat pour l’ARPT d’un immeuble devant lui servir de siège alors qu’elle en avait un en très bon état. Le montant de 3 Milliards cinq cents millions de francs pour le premier immeuble faisait partie d'un ensemble de trois immeubles dont l’un des prestataires n’est autre que Cheikh Amar.

Il y a deux choses à retenir ici : la première comment, sur la base de contorsions faites à la loi, Wade fabrique souverainement des milliardaires ; la deuxième le concubinage que les hommes d’affaires ont souvent avec les pouvoirs politiques. Avec la complicité du collège de l’ARTP, l’intégralité des factures furent presque soldée avant même le démarrage des travaux ! Ce n’est pas autre chose que de la prestidigitation immobilière. Le chapitre 8 est extrêmement accablant contre Ndongo Diaw, Cheikh Amar et certains cadres de l’ARTP.

Les détails de ce procédé d’enrichissement sans cause montrent également les dangers de la technocratie. Certains technocrates dans les ministères et directions générales sont en réalité les véritables architectes de la dépossession de l’État au profit d’affairistes et de politiciens. Ce qui est présentement dénoncés aux Impôts et Domaines est loin d’être une exception : l’État est une source de rente à vie ! Le plus grave dans cette affaire des immeubles de l’ARTP, c’est le rôle d’occultation joué alors par une certaine presse.

TAS révèle qu’il a fait publier par des sites en ligne des images qui démontaient les dénégations de Cheikh Amar concernant la non-effectivité des travaux pour lesquels il a été rémunéré. Mais à sa grande surprise ces images furent retirées desdits sites, ce qui montre la forte influence du milliardaire dans le milieu de la presse. Alors qu’en temps normal c’est la presse qui doit chercher et dénicher des preuves par ses investigations, dans cette affaire, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit : la presse s’est plutôt employée à dissimuler des preuves. C’est dire si la démocratie sénégalaise est gravement malade. Bref dans l’affaire ARTP telle que développée par TAS, il s’agit d’un crime signé Cheikh Amar cadres de l’ARTP et Ndongo Diaw, parrainé par Wade, le tout entouré dans la spirale du silence indignement orchestrée par une bonne partie de la presse.

Une phrase résume les fortes accointances entre les hommes d’affaires mafieux, le pouvoir et les journalistes : « Or après l’alternance de 2012, Papa Cheikh Amadou Amar l’homme d’affaire « fabriqué » par Wade étrenna de nouveaux galons voyageant assidument avec le nouveau président lors de ses déplacements à l’étranger » Comme une plante parasite, l’affairisme au sommet de l’État finit toujours étouffer la belle et généreuse plante que devrait être la république. Elle meurt à petit feu laissant orphelins les citoyens dans l’attente du minimum qu’un État doit à ses membres. Triste sort est celui d’une république où le Président a tous les droits sur les finances publiques alors que des institutions destinées à cela fonctionnent avec l’argent du contribuable. (à suivre)

Alassane KITANE

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