Publié le 25 Jun 2014 - 23:11
LIVRÉE À L'ANARCHIE

La Libye s'offre un ravalement de façade électorale

 

À Tripoli, on doit faire plusieurs heures la queue pour trouver de l'essence. Des stations-service ont été fermées, parce qu'elles avaient été attaquées, et celles qui restent ouvertes sont désormais gardées. Regorgeant de pétrole, la Libye importe son essence. Cela lui en coûtait 700 millions de dinars en 2010, avant la révolution. La facture est estimée aujourd'hui à 3 milliards.

Il va de soi qu'on ne consomme guère plus d'essence aujourd'hui qu'hier et que le précieux carburant ne manque pas. Mais de fausses importations permettent aux uns de s'enrichir, tandis que les autres organisent les trafics, préférant détourner une cargaison plutôt que d'approvisionner Tripoli.

À Benghazi, la grande ville de l'Est, les troupes du général Khalifa Haftar et les islamistes armés d'Ansar al-Charia, qui se combattent depuis le 16 mai dernier, ont promis de respecter une nouvelle trêve le jour du scrutin. Mais, outre que la sécurité ne sera jamais totalement assurée (mardi un candidat s'est fait tuer dans le sud du pays), l'enjeu de cette élection n'est pas de nature à mobiliser les foules. L'Assemblée élue mercredi sera dissoute dès que le projet de Constitution élaboré par le comité déjà désigné aura été approuvé, par elle, puis par un référendum populaire. A priori, l'ensemble du processus ne devrait pas durer un an. La grande bataille législative est donc programmée pour 2015.

 C'est alors que devraient se confronter ouvertement, devant les électeurs, les islamistes et ceux qui ne le sont pas. Parce que les Libyens leur reprochent leur impéritie et leurs combines, les partis ont été écartés du scrutin du 25 juin, où seules les candidatures individuelles ont été autorisées. Évidemment, en sous-main, ils soutiennent ou téléguident certains des leurs. Et demain, une fois élus les 168 hommes et les 32 femmes auxquelles ont été réservées des sièges dans cette Assemblée de 200 membres, le bras de fer reprendra.

«Libéraux» contre islamistes

Depuis deux ans, cette lutte sans merci entre «libéraux» et «islamistes» structure la bataille pour le pouvoir en Libye. Elle a commencé, comme en Tunisie ou en Égypte, dès le lendemain de la révolution. «Mais aujourd'hui, partout les Frères musulmans ont perdu le pouvoir ou reculent, et il leur faudra vingt ans pour revenir», pronostique Guma al-Gamaty. Cet ancien opposant réfugié naguère en Grande-Bretagne se garde bien de participer aux élections. Il construit actuellement son parti, Taghyeer (le «changement»), pour livrer la bataille de 2015. «Il faudra bien que les partis politiques reviennent pour structurer la démocratie libyenne», assure Guma al-Gamaty. Sur ce point, aucun leader à Tripoli ne le contredira.

La défaite des islamistes est, en revanche, plus hypothétique. Si l'on revient sur l'histoire de ces deux dernières années, les Frères musulmans et leurs alliés salafistes ont démontré leur organisation et leur sens de la manœuvre.

L'argent des milices

Les élections de juillet 2012 sont remportées par les «libéraux». Par «l'Alliance» de Mahmoud Jibril, lequel, par calcul personnel, ne se met cependant pas dans les conditions de devenir premier ministre. Son alliance de «libéraux», chefs locaux ou tribaux et ex-kadhafistes se lézarde rapidement. Le tournant se produit le 5 mai 2013.

Depuis six mois, les travaux de l'Assemblée sont bloqués par ce qui devient la «loi d'exclusion»: toute personne ayant servi à des postes de responsabilité sous Kadhafi est écartée de la vie publique. Exit Mahmoud Jibril, revenu en 2007 pour participer à l'ouverture économique pratiquée par Seïf Kadhafi, le fils du dictateur ; exit Achour Chwail, le ministre de l'Intérieur, qui avait servi sous Kadhafi à Benghazi, et qui ne sera pas remplacé ; et adieu au président du Parlement, Mohammed Megaryef.

Ce sont les islamistes qui ont multiplié les manifestations, avant que leurs brigades bloquent les ministères, jusqu'à ce que les députés plient sous la pression et votent unanimement cette loi. Les islamistes, qui avaient été pourchassés sous Kadhafi, ont été les grands gagnants de cette opération d'exclusion de leurs adversaires politiques…

«Les députés ont alors vu d'où venait le vent», commente Othman Bensassi, l'ancien responsable de l'administration gouvernementale. Contrôlant le Parlement, les islamistes ont aisément bloqué le gouvernement dirigé par le faible Ali Zeidan. Leurs milices ont accaparé l'argent et l'armement qui auraient dû participer à l'édification d'une armée, encore aujourd'hui inexistante.

«Il faut construire une armée, mais on ne peut pas le faire comme les milices de Zintan, qui ont récupéré les troupes d'élite de Kadhafi», s'insurge Abdehaman Dibani, un député du parti des Frères musulmans, membre du comité de la sécurité nationale du Parlement. «Les Frères musulmans veulent construire une armée nationale, mais selon leurs vues», précise un observateur avisé de la scène libyenne. Et dans l'Égypte voisine, le coup d'État du maréchal al-Sissi contre le Frère musulman Morsi a renforcé la détermination des islamistes libyens à ne pas déposer leurs armes.

Lefigaro.fr

 

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