Publié le 22 May 2018 - 13:31
MOTS CHOISIS

Congo Inc. _ Le Testament de Bismarck de IN KOLY JEAN  BOFANE _ Editions BABEL

 

In Koli Jean Bofane, à travers une fable de haute facture nous présente la République démocratique du Congo, les guerres qui ont miné  cet immense pays qui regorge de minerais très convoités et pourtant devenu presque un « no man’s land », un pays démembré où la guerre a jeté des enfants dans la rue, certains devenus orphelins et où chacun cherche son salut.

Isookanga, un jeune pygmée de la tribu Ekonda décide de ne plus vivre dans la forêt et part à l’assaut de la modernité. Il est un passionné de l’internet et, avec un ordinateur portable volé à une Africaniste, il s’ouvre au monde.  Il quitte son village de la forêt tropicale et va à la conquête de Kinshasa, laissant les traditions derrière lui, son oncle, chef de la tribu et grand conservateur des us et coutumes. Lui, il se dit mondialiste depuis qu’il a découvert un autre monde grâce aux jeux vidéo économico-militaires et, avec son Congo Bololo en guerre contre  American Diggers. Skulls and Bones, Uranium et Sécurité, Goldberg & Girls Atomic Project, tout ceci au travers du jeu en ligne Raging Trade, il évolue dans un environnement virtuel qui l’installe au cœur de la mondialisation.  Il veut être au contact direct du monde réel et même de l’univers. Avec son ordinateur et grâce à la fenêtre devant lui, il est au courant de tout.  Il se dit que c’est ça l’avenir alors que  son oncle Lomama veut le contraindre à rester dans la forêt, lui qui n’arrête pas de geindre et de lui pourrir la vie.

A Kinshasa, il découvre la dure réalité de la vie urbaine nettement en décalage avec celle de sa lointaine forêt tropicale. La ville est bruyante et offre le spectacle ahurissant où chacun cherche à survivre. Des jeunes enfants dans la rue l’accueillent dans ce Grand Marché qui,  le soir est leur territoire.  Il devient un des leurs jusqu’à être leur porte-parole. Très vite il assimile les codes de ce milieu et s’associe à un Chinois, conducteur de travaux, lâché par son patron. Tous deux unissent leur savoir pour commercialiser une eau dite « Eau Pire Suisse », presque une contrefaçon à l’image de ce que les Chinois font avec les grandes marques. D’ailleurs pour lui, les Chinois avaient tout compris : leur population étant trop nombreuse, il fallait trouver de quoi l’occuper surtout que de l’autre côté, sur tous les continents, les gens voulaient des marques pour pouvoir frimer, alors pourquoi ne pas les servir ? Avec deux milliards de bras, on fournissait à qui on voulait, dans les délais qu’on voulait, au coût le plus bas. Ainsi, chacun tirait son épingle du jeu et la paix sociale était préservée dans l’élégance généralisée… Voilà le génie de ce grand peuple !!!

Il découvre que son ami chinois a la carte des ressources minières du Congo et il le convainc de monnayer ladite carte et, avec l’argent récolté, il pourra rejoindre sa famille désemparée restée dans sa Chine lointaine. Il propose l’affaire au Directeur de l’Office de préservation du parc national de la Salonga, le commandant Kiro Bizimungu, ancien rebelle tortionnaire  qui est disposé à leur acheter cette mine d’informations afin de pouvoir faire main basse sur les richesses.

Malheureusement le commandant Kiro Bizimungu est rattrapé par son passé tout comme son ami Chinois. Il essaie de sauver ce dernier  rapatrié dans son pays, en détention pour corruption de fonctionnaires  et détournement de biens sociaux en tentant de lui envoyer par mail une photo justifiant sa présence au Congo au moment des faits incriminés et devant lui servir d’alibi. Isookanga,  sur le pont d’une barge avait dépassé la zone couverte par le réseau et partout ailleurs, aucune antenne de télécommunication alors que le procès de son ami est imminent….

Oncle Lomama,  venu chercher Isookanga, repart avec lui à bord de cette même barge. Autant son neveu est absorbé dans ses pensées par son retour dans ce village encaissé au cœur de la forêt tropicale, autant son oncle est absorbé par le drame de Nkoi Mobali, un léopard qui régnait dans leur forêt et avec qui il avait un accord tacite. Nkoi Mobali fut tué par une meute de phacochères, espèce qui, normalement ne fréquentait jamais cette zone. La construction d’un pylône de communication a déstructuré l’ordre dans la forêt….  Tout un enseignement !!!

Congo Inc. Le testament de Bismarck est l’un des plus grands romans africains de ces dernières années où l’auteur nous décrit une Afrique postcoloniale, livrée à des prédateurs avec des relais locaux,  poursuivant la politique de démembrement initiée depuis la fin du 19ème siècle avec la Conférence de Berlin.  L’auteur, en chapeau de son roman a inscrit cette phrase du Chancelier Bismarck à la clôture de la conférence de Berlin en février 1885 : « Le nouvel Etat du Congo est destiné à être un des plus importants exécutants de l’œuvre que nous entendons accomplir… » A vrai dire, sa vision allait au-delà du Congo et les faits démontrent qu’il n’y a pas que le Congo….

Ce livre puissant marquera les esprits  longtemps encore parce que d’une actualité brulante…

Publié en 2014, ce roman est le deuxième de In Koli Jean Bofane, sorti en librairie 6 ans après son magnifique « Mathématiques congolaises », roman sur lequel nous reviendrons dans une prochaine rubrique.

Congo Inc. Le testament de Bismarck  a obtenu le grand prix du roman métis, le prix des cinq continents de la francophonie et le prix Coup de cœur Transfuge/MEET.

Ameth GUISSE

 

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