Publié le 8 Jul 2021 - 02:23
OPERATION DE SECURISATION

La police ‘’nettoie’’ Grand-Yoff et les Parcelles-Assainies

 

Délinquance et banditisme ont élu domicile dans les communes de Grand-Yoff et des Parcelles-Assainies où la police nationale vient de mener une grande opération de sécurisation des biens et des personnes.

 

Face à la recrudescence de cas d'agression et de vols à l’arraché, entre autres, une opération a été menée par les éléments des commissariats de Grand-Yoff et des Parcelles-Assainies, durant la nuit du 3 au 4 juillet, de 21 h à 6 h, pour assainir leur secteur.  Elle a permis d’interpeler 142 individus dont : 1 pour détention et trafic de chanvre indien portant sur 500 grammes ; 3 pour détention de chanvre indien ; 1 pour flagrant délit de vol ; 3 pour détention d'armes blanches ; 1 pour détention de produits cellulosiques ; 2 pour nécessité d'enquête ; 13 pour non-inscription au fichier sanitaire ; 105 pour vérification d'identité ; 13 pour ivresse publique et manifeste.

Lors de ces opérations, les policiers des deux commissariats ont aussi mis en fourrière 30 motos, 11 véhicules et saisi 98 pièces pour diverses infractions. La police, dit-on, ne compte pas s’en arrêter là et compte multiplier ces opérations pour traquer les délinquants.

Meurtre de Patrick Gomis

Cette action concertée de la police intervient dans un contexte de ras-le-bol général, surtout à Grand-Yoff où le 30 juin dernier, la jeunesse chrétienne a tenu une conférence de presse, après une marche pacifique à la mémoire des victimes de l’insécurité, pour dénoncer les nombreux crimes enregistrés dans la localité.

A travers ces deux activités, le mouvement dénommé Jeune chrétien engagé a voulu attirer l’attention des décideurs sur l’insécurité et les agressions qui, parfois, virent au drame dans la commune où fleurissent les bars et où le chômage gagne du terrain.

Le meurtre du jeune Patrice Gomis, âgé seulement de 21 ans, est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. ‘’On est écœuré de voir des jeunes, adolescents pour la plupart, s’entre-tuer sans raison valable. Ici, les jeunes ont pour référence des bandits, ceux qui gagnent de l’argent sans faire d’efforts. Ce qui est déplorable. Des gens commettent des crimes et recouvrent la liberté peu de temps après’’, avait déploré Paul Timothée Sidibé, leur porte-parole. Avant d’ajouter : ‘’C’est un ensemble de choses qui poussent les jeunes à dévier. C’est à nous de mener le combat pour conscientiser nos pairs.’’

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SITUATION SECURITAIRE

L’œil des spécialistes et chercheurs

Professionnels et chercheurs analysent la situation sécuritaire à Grand-Yoff où les cas de vol avec violence se multiplient. Ils se sont également prononcés sur la politique de réinsertion des détenus et ont parlé de l’importance d’une assistance psychologique pour les victimes d’une quelconque agression. 

Les vols avec violence sont en hausse vertigineuse dans plusieurs localités, notamment dans la commune de Grand-Yoff qui serait le ‘’fief’’ des agresseurs et trafiquants de chanvre indien.

Selly Ba, sociologue, souligne d’emblée que la violence, qui a toujours existé, va ‘’augmenter’’, du fait de la pression démographique et du fait que, de plus en plus, les populations quittent le milieu rural pour venir dans les villes. Elle prévoit un futur sombre, si l’on ne règle pas les questions liées aux inégalités.

‘’Dans les années à venir, il y aura plus de monde dans les villes et moins de monde en milieu rural. Or, souvent, quand les gens qui viennent en ville, les conditions ne sont pas réunies (logement, travail, etc.). Tout ça est corroboré au contexte où les inégalités entre les différentes catégories vont se creuser. Les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Et cela pose des questions de sécurité, d’agressivité’’, indique-t-elle.

‘’Il y aura beaucoup plus de violence, dans les années à venir, si on n’encadre pas les jeunes’’, prévient-elle. ‘’Il y a un problème d’emploi. On est dans une précarité qui va crescendo. Tout cet élément-là rentre en jeu’’, analyse-t-elle. 

Ainsi, la sociologue souligne que c’est un ensemble, un cocktail qui fait qu’on a beaucoup plus d’insolence.

Enseignant à l’Ucad 2, le philosophe Bado Ndiaye renchérit : ‘’C’est tout un faisceau de causes entremêlées qui explique la criminalité dans ce quartier (Grand-Yoff) : un fort taux de chômage, la très grande promiscuité liée à l’absence d’une vraie politique d’aménagement de l’espace, l’échec scolaire de la plupart des jeunes, l’absence de services sociaux de base, la pauvreté endémique, etc.’’

Les failles de la politique de réinsertion

C'est un secret de polichinelle que, très souvent, les auteurs de vols à l'arraché avec violence et autres actes de ce genre sont des récidivistes.

Selon les chercheurs contactés par ‘’EnQuête’’, cela montre la faille de la politique de réinsertion. Psychologue-conseiller, juriste spécialisé en citoyenneté, Droits de l'homme et action humanitaire, Khalifa Diagne note qu’il y a une difficulté pour les détenus de retrouver une vie normale dans la société, sans être victime de leur passé carcéral.

‘’En vérité, la société leur en tient beaucoup rigueur, après leur sortie de prison et les installe dans une autre prison à ciel ouvert. Ils font l'objet d'une stigmatisation quasi permanente. En définitive, la société ne leur donne presque pas le choix d'avoir une vie qui les éloigne de la tentation de commettre d'autres délits ou crimes’’, a-t-il indiqué. Et pour lui, dans nos prisons, la fonction de resocialisation est négligée. ‘’Les détenus doivent être bien préparés à une fonction essentielle de la condamnation qu'on a tendance à négliger’’, dénonce-t-il. 

Le philosophe Bado Ndiaye estime, lui aussi, qu’’’il n’y a pas une bonne politique de réinsertion sociale’’. Celle-ci suppose, selon M. Ndiaye, que les ex-détenus puissent bénéficier d’une formation à des métiers.

Egalement, il pointe du doigt la pratique de la grâce présidentielle qu’il faudrait, dit-il, revoir. Même si elle se justifie, ne serait-ce que parce que les prisons sont surpeuplées, une attention particulière devrait être accordée au profil des détenus susceptibles d’en bénéficier’’, plaide-t-il.

Pour sa part, même si elle ne fait pas le lien entre les agressions et les cas de récidive, la sociologue Selly Ba soutient qu’avec les incarcérations, ‘’il faut aujourd’hui des mesures souples et beaucoup plus humaines’’. Pour elle, tout le monde n’a pas sa place en prison. ‘’Il faudrait réfléchir à ce qu’il faut faire, quand il y a un délit, une infraction. On ne peut pas mettre tout le monde en prison. Il y a des gens dont la place n’est pas en prison ; c’est dans d’autres centres de correction’’.  

Situation psychologique des victimes d'agression

L'agression est un événement traumatisant. Les victimes peuvent avoir un stress post-traumatique. Ainsi, aux yeux de Khalifa Diagne, toutes les victimes d'agression devraient bénéficier d'un suivi psychologique, parce que le stress post-traumatique peut survenir tout juste à la suite ou bien après l'agression, même parfois tard.

Dans tous les cas, dit-il, il faut une bonne prise en charge psychologique. ‘’Les victimes d'agression gagneraient beaucoup à être accompagnées au plan psychologique, pour éviter surtout que le stress post-traumatique se chronicise. Parce que si c'est le cas, la victime va être sérieusement perturbée au plan psychologique et dans sa vie. C'est important qu'elles soient accompagnées, non pas pour oublier l'agression, puisque c'est impossible, mais pour apprendre à vivre normalement, suite à cet événement traumatisant’’, conseille-t-il.

Malheureusement, le spécialiste relève que les tendances à la consultation après une agression restent encore faibles. Souvent, ce sont les médecins généralistes qui référent les victimes auprès des psychologues, après le traitement des séquelles organiques. ‘’Mais dans certains milieux intellectuels comme l'université où je travaille, le réflexe d'aller voir un psychologue, après une agression, est une réalité’’, fait-il remarqué.

De son côté, Selly Ba note d’abord qu’il n’y a pas beaucoup de psychologues au Sénégal et qu’ils ne sont pas accessibles. ‘’C’est des coûts. Et donc, en tant que citoyen vivant dans des conditions modestes, on n’a pas ce réflexe-là, parce qu’on est toujours dans des contextes de régler les besoins primaires’’.

Elle fait également remarquer que si les Sénégalais n’ont pas la culture de se faire assister par un psychologue, c’est parce que la famille a toujours joué ce rôle dans la société sénégalaise.

‘’On a des familles où l’on peut s'écouter ; on a cette thérapie-là. Nos sociétés ont toujours eu des cadres d’assistance psychologique’’, souligne-t-elle. Avant de regretter que cela tende à disparaitre. ‘’Je dis qu’aujourd’hui, la famille ne joue plus ce rôle… surtout dans les grandes villes. C’est un problème fondamental de réfléchir sur la situation de nos familles. Ces dernières sont éclatées. Il n’y a plus ce centre d’écoute, de protection, d’accompagnement, d’éducation’’, analyse-t-elle.

D’ailleurs, elle estime, à cet effet, que les jeunes sont livrés à eux-mêmes.

BABACAR SY SEYE

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