Publié le 15 May 2020 - 02:08
PROFESSEUR MASSAMBA DIOUF (ÉPIDÉMIOLOGISTE)

“Il n’y a pas de mesures sanitaires fortes prises par le président’’

 

Les mesures prises, lundi dernier, par le chef de l’Etat, ne sont pas d’ordre sanitaire. Elles ne sont qu’économiques et sociales, de l’avis de l’épidémiologiste, le professeur Massamba Diouf. Interrogé par ‘’EnQuête’’, il soutient que quand on assouplit sans pour autant prendre en amont des mesures sanitaires fortes, les résultats peuvent ne pas suivre. Avant de conseiller au gouvernement d’anticiper sur la mise en place de sites d’accueil et de prise en charge en milieu communautaire.
 
 
Dans son discours à la Nation du lundi 11 avril, le président Macky Sall a décidé d’assouplir certaines mesures prises dans la lutte contre le coronavirus. Cela commence par la réouverture des lieux de prière, les marchés et les écoles. Il demande à la population de vivre avec la maladie, au moment où le pays enregistre de plus en plus de cas et où les décès se multiplient. D’où certaines interrogations qui fleurissent, depuis lors. 
 
Le professeur Massamba Diouf, Epidémiologiste, souligne qu’il attendait le Chef de l’Etat sur de nombreux points qu’il n’a pas abordés. Interrogé par ‘’EnQuête’’, le Pr. Diouf juge que les mesures prises par le président de la République sont d’ordre économique et social. A son avis, il n’y a pas de mesures sanitaires fortes. ‘’On s’attendait à avoir des mesures sanitaires fortes, du genre renforcement du plateau dans les unités de réanimation ou les unités de soins intensifs. On souhaiterait qu’il annonce publiquement la date du démarrage des tests massifs, surtout en milieu communautaire, à l’échelle du territoire national. On s’attendait à ce qu’il nous dise aussi qu’il va doter tout le personnel médical de moyens de protection suffisants. Malheureusement, sur ces derniers points, nous n’avons eu aucune réponse, sinon que des mesures d’assouplissement’’, se désole-t-il. 
 
A ses yeux, même s’il y a assouplissement, cela ‘’ne veut pas dire laisser le personnel de santé à lui-même. Ne rien faire en termes d’accompagnement concernant les mesures à prendre sur le plan sanitaire, pour aider la communauté à endiguer l’épidémie’’. D’ailleurs, l’infectiologue est d’avis qu’il y a eu une précipitation. Parce que, dit-il, si on donne des mesures de cette nature, sans pour autant prendre les précautions nécessaires pour préparer la communauté à vivre en présence du virus, ce n’est pas bon. ‘’Il faudra une préparation au préalable pour que les populations comprennent dorénavant comment vivre avec ce virus. Malheureusement, sur ce plan, rien n’a été fait’’, fustige le spécialiste. 
 
Toutefois, il souligne avoir appris avec beaucoup de satisfaction que le ministère de la Santé a décidé d’orienter ses stratégies à Dakar, en fonction de l’ampleur de la maladie. Une approche qu’il juge bonne. Mais il conseille de ne pas se limiter à Dakar. Parce que, soutient-il, la cartographie de la maladie a montré qu’il y a non seulement plus de 60 % des cas à Dakar, mais dans le peloton de tête, la région de Diourbel et celle de Thiès sont très bien placées. D’où la nécessité de prendre en compte également l’évolution de la pandémie au niveau de ces zones. 
 
‘’Je suis d’accord pour les stratégies spécifiques et ciblées. Mais il ne faudrait que l’on concentre tous nos efforts sur Dakar, en laissant les autres zones comme Thiès et Diourbel. On sait que la maladie peut continuer à se propager dans ces zones et les emballer rapidement’’, avertit le Pr. Diouf.
 
‘’Assouplissement ne veut pas dire laisser le personnel de santé à lui-même’’
 
Toutefois, le professeur Massamba Diouf pense qu’il est nécessaire de prendre des mesures d’assouplissement, d’allégement pour au moins oxygéner certains secteurs. Ce, compte tenu du contexte (économique, sociale, socio-culturel et religieux) dans lequel vit la population. Mais ces décisions devraient être soutenues par des mesures sanitaires fortes pour équilibrer. ‘’C’est normal de revoir les stratégies. Après avoir évalué, il faut nécessairement réajuster et réadapter en fonction du contexte. Dans ce réajustement, il faudra y inclure du dépistage massif, l’acquisition d’équipements en soins intensifs, la dotation en équipements de protection pour le personnel de santé. Il y a autant de mesures qui pouvaient accompagner l’assouplissement annoncé par le président Macky Sall. Si on assouplit sans pour autant prendre en amont des mesures sanitaires fortes, il est évident que les résultats peuvent ne pas suivre automatiquement’’, prévient l’épidémiologiste.
 
Risques d’’engorgement des hôpitaux
 
S’agissant ‘’de vivre avec le virus’’ dont parle le chef de l’Etat, le Pr. Diouf se veut prudent. Il soutient qu’on peut vivre avec le virus en adaptant les comportements, les gestes, la manière de vivre. ‘’Nous vivons avec des pathologies. Il y a des pathologies beaucoup plus graves, en termes de létalité et de conséquences socio-économiques, mais nous les avons parmi nous et continuons à vivre avec. Cela suppose avoir de bons comportements.
 
Pour cette pandémie, il faudra porter tout le temps le masque. Il y a le respect de la distanciation sociale, même à la maison. Tout ce qui est geste barrière peut aider à vivre avec le virus’’, fait-il savoir. A l’en croire, tous les bons comportements que nous devons avoir en interne comme en externe restent valables dans les mosquées et les écoles. ‘’On a ouvert, certes. Mais si on ne communique pas à suffisance avec les populations pour leur permettre d’épouser ces bons comportements, cela peut nous mener vers l’engorgement des hôpitaux et des difficultés pour le personnel de santé à prendre en charge les malades’’, avise le spécialiste. 
 
Par ailleurs, de l’avis de l’épidémiologiste, il faudra nécessairement, avec le contexte actuel, ériger les sites sentinelles en milieu communautaire. Ce, en y impliquant la communauté et les champions de la maladie. C’est-à-dire les guéris de la Covid-19. ‘’Si on a des stratégies communautaires aujourd’hui, il faudra aussi préparer ces zones avec des sites d’accueil et de prise en charge. Parce que lorsque les cas vont augmenter, les structures vont davantage être débordées. On ne pourra pas les prendre en charge tous là-bas. Tout ce qui est cas asymptomatique, simple, peut être géré dans ces zones périphériques. Le gouvernement doit anticiper sur la mise en place de sites d’accueil et de prise en charge pour les cas simples et les asymptomatiques’’.
 
VIVIANE DIATTA

 

 

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