Publié le 1 Dec 2022 - 21:30
RAPPORT ARMP 2020 - MARCHES SUR LA PANDEMIE COVID-19

La PNA et le ministère de l’Éducation nationale épinglés 

 

Grâce au décret n°2020-781 du 18 mars 2020, la majorité des dépenses relatives à la lutte contre la Covid-19 ont été exclues du Code des marchés publics. Mais, beaucoup qui ont été audités par l’Autorité de régulation des marchés publics ont révélé beaucoup d’irrégularités.

 

L’année 2020, caractérisée par la propagation de la pandémie à Covid-19, a été marquée par la multiplication de situations d'urgence dans les achats publics. Pour faire face à la maladie, l'État du Sénégal a adopté des dispositions particulières dérogatoires au Code des marchés publics.

Ainsi, le décret n°2020-781 du 18 mars 2020 a été pris pour exclure du Code des marchés publics les dépenses relatives à la lutte contre la Covid-19. Toutefois, le volume total des marchés immatriculés n'a pas subi une baisse significative.

En effet, informe le rapport annuel de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) 2020, 3 277 marchés ont été immatriculés au cours de l’année. Ils ont mobilisé 1 175 milliards de francs CFA, compte non tenu des marchés exécutés dans le cadre de la lutte contre la propagation de la maladie, passés par dérogation au Code des marchés publics, de mars à octobre 2020.

L’appel d’offres est le mode de passation le plus utilisé représentant 67 % en nombre et 61 % en valeur. Le taux  de marchés passés par entente directe est de 6 %. Cinq autorités contractantes ont fait immatriculer des marchés dont les montants atteignent 714 milliards de francs CFA, soit 62 % du montant total des marchés. L'Agence des travaux et de gestion des routes (Ageroute Sénégal) a été le plus gros acheteur en montant pour l'année 2020, avec un montant de marchés de 214 milliards F CFA représentant à elle seule 19 % du montant total des marchés immatriculés. Elle est suivie de la Sogip avec 158 milliards F CFA, soit 14 % du total des marchés en montant ; du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour 146 milliards ; de la Senelec avec 104 milliards F CFA et la Sones pour 90 milliards F CFA.

L’Ageroute, plus gros acheteur en montant pour l'année 2020

Même avec la pandémie, ce top 5 montre une forte volonté d'investissements dans les infrastructures socioéconomiques (enseignement supérieur, routes, énergie, eau, infrastructures sportives). Le budget d'investissement et de fonctionnement au titre de l'année 2020 se chiffre à 2 259 milliards F CFA environ. Ce montant a été absorbé à hauteur de 92 %. Ce qui dénote d'une grande capacité d'absorption de l'Administration.

Malgré  cela, la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA) qui se place à la 6e place, démontre l'importance des acquisitions en médicaments et produits pharmaceutiques dans les dépenses publiques, et ce, malgré le décret pris en mars 2020 pour déroger du Code des marchés publics, les dépenses qui entrent dans la lutte contre la propagation de la pandémie. Les marchés passés sous le régime du décret 2020-781 du 18 mars 2020 portant dérogation au Code des marchés, pour les dépenses effectuées dans le cadre de la lutte contre la pandémie, ne sont pas couverts par les statistiques.

Toutefois, d’autres l’ont été. Le rapport souligne que ‘’plusieurs liasses de pièces justificatives des dépenses effectuées au titre de la lutte contre la Covid-19 n'ont pas été mises à la disposition de l'auditeur par la PNA qui a passé des marchés dans ce contexte pour un montant global de 4 233 971 896 F CFA’’.

D’ailleurs, les dépenses pour la lutte contre la Covid-19 ont fait l’objet de plusieurs irrégularités. Sur 202 marchés examinés par l’ARMP, il a été noté que des ‘’prix non raisonnables au regard du prix du marché’’ ont été appliqués par des autorités contractantes. D’autres situations de non-conformité ont été relevées : ‘’Insuffisance dans la description des besoins ; exécution de dépenses non éligibles au regard de leur objet et de la période ; carence documentation ; objectif social de prestation non conforme à celui du marché’’.

La PNA et le ministère de l'Éducation nationale épinglés pour les marchés sur la Covid

La PNA n’est pas la seule structure à manquer de justificatifs dans les dépenses liées à la lutte contre la Covid-19. Le ministère de l'Éducation nationale, dont le volume de marchés passés dans le cadre de la lutte contre la pandémie s'élève à 663 947 370 F CFA, a manqué aux obligations susnommées, concernant les marchés suivants : ‘’Acquisition et mise à la disposition des acteurs de l'éducation des produits antiseptiques, dans le cadre du plan de riposte contre la Covid-19, pour un montant de 14 911 070 F CFA ; acquisition de matériels et outillages techniques pour accélérer la production de ressources dans toutes les disciplines, dans le cadre de la Covid, pour un montant de 59 041 300 F CFA ; acquisition d'outils de sensibilisation au profit des élèves sur les mesures de protection contre les coronavirus, pour un montant de 589 995 000 F CFA.’’

D’autres structures ont utilisé le décret de dérogation au Code des marchés publics accordé par le président de la République, dans le cadre de la lutte contre la pandémie, pour exécuter des marchés en dehors des périodes concernées. L’ARMP révèle que ‘’des marchés ont été conclus par deux autorités contractantes (Senelec et Crous de Thiès), sous le régime du décret n°2020-781 du 18 mars 2020 abrogé par le décret n°2020-1774 du 16 septembre 2020, alors que leur dévolution a eu lieu en dehors de la période de référence circonscrite entre ces deux dates. Le montant cumulé des marchés concernés se chiffre à 112 996 990 F CFA’’.

En dehors de la Covid-19, note le rapport de l’ARMP, les autorités contractantes ne se conforment pas à leur obligation de transmettre à la Direction centrale des marchés publics les informations prévues à l'arrêté n°00107 du 7 janvier 2015 aux fins de publication d'un avis d'attribution sur le site des marchés publics. Il également été noté des manquements sur la capacité juridique des soumissionnaires, en violation de l'article 44 du Code des marchés publics (CMP) ; l'absence de simultanéité dans la transmission des lettres d'invitation, en violation de l'article 3 de l'arrêté n°00107 du 7 janvier 2015 relatif aux modalités de mise en œuvre des procédures de DRP en application de l'article 78 du CMP ; le défaut d'identification de fournisseurs invités dans une liste restreinte, en violation des articles 11 alinéa 2 et 44.ii du CMP.

À titre d’exemple, les dossiers de marchés passés par la commune de Pékesse, portant sur 129 431 770 de F CFA, n'ont pas été transmis à l’ARMP. Le maire a refusé de transmettre le compte administratif dont la demande de mise à la disposition de l'auditeur a été le point de rupture entre ce dernier et le maire de la commune, informe le rapport.

L’ARMP, c’est aussi des enquêtes sur la base de dénonciations. C’est ainsi qu’à la suite de l'exploitation des rapports d'audits de l'exercice 2017 et des dénonciations anonymes ou issues de lettres en bonne et due forme, la Cellule d'enquêtes et d'inspections de l'ARMP a mené les investigations sur beaucoup d’opérations dont l’enquête sur la dénonciation du Forum social et de l'Association sénégalaise de défense des droits des consommateurs portant sur la procédure lancée par le ministère de l'Eau pour la sélection d'un opérateur chargé de la gestion de l'eau en milieu urbain et périurbain.

Conflit d'intérêts entre Suez Groupe et Suez International : l’ARMP valide

Cette affaire est relative à l'existence, en cas d'attribution au profit de Suez Groupe, d'un conflit d'intérêts entre Suez Groupe, attributaire provisoire dudit marché, et sa filiale Suez International, en groupement avec l'entreprise CDE, titulaire du marché avec le Sones pour les travaux de conception-réalisation d'une usine de traitement et de pompage d'eau à Keur Momar Sarr.

L’enquête ordonnée par le Comité de règlement des différends (CRD) de l’ARMP, à la date du 22 mai 2019, n’a pas révélé de problèmes. C’est ainsi que le CRD a apprécié et validé le rapport issu de la procédure. Si les choses ne se sont pas passées de la même manière concernant l’enquête sur la dénonciation par le Syndicat des Cadres de la Senelec (Sycas) du contrat conclu entre la Senelec et la société anonyme Akilee portant sur l'opportunité, la régularité et les différents engagements des parties, le CRD a préconisé une conciliation dans l'intérêt des deux parties.

À l'issue de ses différentes sessions de l'année 2020, le CRD, siégeant en formation disciplinaire, n'a pas pris de sanctions d'exclusion de candidats aux marchés publics sur le fondement des dispositions de l'article 149.b du Code des marchés publics.

Lamine Diouf

Section: