Publié le 30 Dec 2020 - 20:39
RELANCE ECONOMIQUE POST-COVID

Le Pr Abdoul Aziz Daba Kébé liste les limites du plan national

 

Le Plan de relance économique et sociale (PRES), élaboré par le gouvernement pour faire face aux impacts de la Covid-19 sur l’économie nationale, contient beaucoup ‘’d’insuffisances’’, notamment par rapport aux dépenses sociales et la mobilisation des ressources, le professeur agrégé de Droit public de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Abdou Aziz Daba Kébé.

 

Pour mieux contrer les effets de la Covid-19 sur l’économie nationale et bien assurer la reprise des activités économiques, le gouvernement a décidé d’élaborer un Plan de relance économique et sociale d’ici 2023. Présentant, hier, l’étude sur l’impact de la Covid-19 sur le budget, commanditée par l’Ong 3D, en partenariat avec Oxfam et CONASUB, le Pr Abdou Aziz Daba Kébé, agrégé de Droit public de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a relevé que le plan contient ‘’beaucoup d’insuffisances’’ en termes techniques. ‘’On peut en citer deux principalement. D’abord, les dépenses sociales sont faibles. Le budget du ministère de la Santé tourne autour de 5% du budget général de l’Etat, celui de la Justice, c’est 1%. En 2020, le budget prévu pour le ministère de la Santé rapporté à la population, donne les résultats suivants : sur un montant global de 192, 714 milliards de francs CFA, pour une population d’environ 16 millions. Ce qui veut 12 000 CFA par an et par personne, 3000 F par mois et 33 francs CFA par jour’’, affirme M. Kébé.

D’après le Pr Kébé, cela montre une idée de la précarité sociale. Ceci, malgré les bonds ‘’très importants’’ du gouvernement en termes de couverture sanitaire, d’accès à l’eau, etc. Il indique qu’il y a une précarité sociale qui est ‘’réelle’’ et le plan de relance proposé permet ‘’d’avoir des réserves’’ sur la situation quotidienne des populations. A cela s’ajoute le déficit de 42 520 salles de classe à combler d’ici 2023, 10 996 enseignants à recruter. ‘’L’autre limite c’est que, pour financer, il faut avoir des ressources et la Direction générale des Impôts et Domaines (DGID) considère que, sur 6 millions de contribuables, il n’y a que 500 mille qui paient l’impôt. Ce qui veut dire qu’on a des difficultés pour la mobilisation des ressources fiscales. On n’a pas assez d’argent, car les exonérations fiscales en 2020 sont estimées à plus de 900 milliards de francs CFA. Le potentiel fiscal n’est pas suffisamment pris’’, dit-il.

Le professeur agrégé de Droit public souligne également que le minimum international de pression fiscale, c’est 30%, alors qu’au Sénégal, elle est de 16%. Or, il relève que si la pression fiscale est faible, c’est difficile de relancer l’économie. ‘’La dette va gonfler. On va atteindre bientôt le plafond communautaire de 70%. Ce n’est pas spécifique à un régime. La dette est une question qu’il faut analyser avec beaucoup prudence. En 2000, on était à 78%. Cela montre qu’il y a des difficultés’’, note le Pr Kébé.

Renforcer les ressources des collectivités territoriales

Dans le plan de relance, le Pr Abdou Aziz Daba Kébé a aussi notifié que les 599 collectivités territoriales, avec leurs 9 domaines de compétences transférés, ‘’ne sont pas véritablement prises en compte’’. Alors qu’elles ont supporté les effets de la Covid-19. ‘’Toutes les ressources des collectivités territoriales tournent autour de 200 milliards de francs CFA. Les revenus fiscaux sont faibles et 50% sont collectés à Dakar. L’Acte 3, c’est des problèmes de finances publiques. On crée des communes qui n’ont pas de dépenses fiscales, etc. C’est un découpage politique, l’empiètement des collectivités territoriales’’, regrette-t-il.

Toutefois, M. Kébé rappelle que le Sénégal est dans une grande réforme des finances publiques, avec la mise en œuvre du Budget-programme. Au total, 229 programmes et 366 actions ont été retenus pour 2020, 149 programmes, 404 actions et 1742 activités en 2021. Mais, d’après lui, il y a une ‘’sorte d’incertitude’’ dans la mise en œuvre du Budget-programme, qui est cette grande réforme des finances publiques, qui s’il est bien appliqué, devrait permettre d’atteindre l’émergence.

‘’En effet, dans un contexte de fonctionnement au ralenti des administrations publiques et de réaffectation d’importantes masses de crédits vers le PRES, il aurait été irréaliste de vouloir mettre en œuvre le principe de large autonomie des acteurs sur lequel repose la déconcentration de l’ordonnancement ; au contraire, l’heure était à la centralisation de la décision publique pour plus de rapidité et d’efficacité’’, souligne-t-il. 

Le professeur de Droit public de l’Ucad signale aussi que la contribution du Secteur privé y compris les Partenariats publics privés (PPP) dans l’économie nationale est très faible. Elle est attendue à 39% dans le cadre de la relance. Il faut donc renforcer le privé. Car, il estime que si le privé est renforcé, l’Etat gagne en impôts directs, l’impôts sur le revenu des personnes morales.

Les finances publiques encore tendues

Au-delà de ces manquements notés avec le plan de relance, le Pr Kébé a fait savoir que l’étude a révélé deux tendances, de façon générale, deux résultats. La première tendance c’est que les finances publiques sont tendues. ‘’En droit des finances publiques, lorsqu’on dit que les finances publiques sont tendues, il y a des éléments qui permettent d’apprécier cette définition. En tenant compte des indicateurs budgétaires et macroéconomiques, le déficit budgétaire est aujourd’hui, de 643 milliards de francs CFA et avant la pandémie, il tournait autour de 400 milliards. En réalité, de 2012 à 2018, 2019, le gouvernement a fait des efforts en terme de réduction du déficit budgétaire qui est passé de 6,7% en 2011 à 3% jusqu’en 2018 et 2019. Avec la pandémie, le déficit est allé à 6%. Et c’est une option de l’Etat du Sénégal, si on se réfère aux Loi de finances initiale 2021 et celle rectificative 2020’’, rapporte-t-il.

Cependant, face à la propagation de la Covid, le gouvernement a pris en charge le financement du fonds Force Covid-19. Dans d’autres pays, les membres du gouvernement sont obligés de renoncer à une partie de leur salaire. ‘’Mais, pour nous, l’Etat du Sénégal a pris l’engagement de supporter le financement de la résilience. La conséquence, c’est que le déficit a augmenté. Un autre indicateur c’est l’inflation qui augmente, mais relativement maitrisée, avec une projection de 1,7% en 2021. Un autre élément d’indicateurs, c’est la pression fiscale qui est encore très faible. Avec les mesures de restriction des libertés, il n’y a pas de consommation. Alors qu’au Sénégal, on a un système fiscal de consommation. Si on a 1000 milliards, 70% nous proviennent des impôts de consommation’’, renchérit-il.

Donc, signale M. Kébé, avec les restrictions, les finances publiques restent tendues, avec la débudgétisation à travers le fonds Force Covid-19, la dégradation des indicateurs budgétaires, macroéconomiques de premier et de second rang. ‘’Et ces indicateurs sont les premiers éléments qui montrent que si les finances publiques sont en bonne santé ou pas, notamment le solde budgétaire global qui ne doit pas dépasser 3%. Ce qui signifie également qu’on a adopté une législation exceptionnelle. L’Etat a pris des ordonnances à travers une loi d’habilitation et la dernière qu’on avait prise au Sénégal en matière financière remontait en 1994’’, précise-t-il.

MARIAMA DIEME

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