La relance du chemin de fer et l’insécurité remises au goût du jour

Une femme a été récemment tuée, alors qu'elle traversait l’ancienne gare ferroviaire de Guinguinéo. Un prétexte pour évoquer, en plus de la question de l’insécurité dans le département de Guinguinéo, la question de la relance du chemin de fer au Sénégal. Des conseillers municipaux, un ancien cheminot, les populations et l’exécutif ont plaidé pour le renforcement de la sécurité pour un département ‘’dépourvu d'infrastructures dont un commissariat de police’’.
Il y a quelques jours, une femme a perdu la vie à l’ancienne gare ferroviaire de Guinguinéo. Elle était vendeuse. Sa mort a suscité l'ire des populations qui avaient initié une marche pour exiger la lumière sur ce meurtre et interpeller les autorités sur la nécessité de renforcer la sécurité à Guinguinéo, notamment au sein et aux alentours de l’ancienne gare ferroviaire. Elles ont ainsi fustigé l’insécurité dans leur localité et réclamé justice pour Coumba Dali, la victime.
C’est dans cet élan que le préfet de Guinguinéo a organisé, ce dimanche, en collaboration avec les populations locales, une opération d'assainissement d'envergure qui vise à désherber la gare ferroviaire qui est dans un état de délabrement avancé.
Selon Marième Hanne, il est crucial d’enlever la saleté, les herbes et les éléments qui contribuent à accentuer l’insécurité dans cette zone. Car la gare ressemble à tout sauf à une ancienne gare ferroviaire, au regard du niveau de délabrement et de l’obscurité dans laquelle elle est plongée depuis plusieurs années. C’est pourquoi des installations électriques provisoires y sont prévues, d’après le préfet, dans le cadre de cette opération ‘’set setal’’, en attendant des solutions durables, notamment une électrification de ce lieu qui à lui seul faisait tourner à plein régime l’économie du département.
Hélas ! Cette période faste où des milliers de personnes tiraient leurs principales ressources de cette économie ferroviaire est loin.
Contacté pour recueillir son avis par rapport à cette insécurité et une problématique de relance du réseau ferroviaire, Habib Ndiaye, conseiller municipal de Gagnik, une commune du Guinguinéo, explose de colère : ‘’Il faut que la sécurité soit renforcée. L’ancienne gare ferroviaire n’a pas d’électricité. Cela ressemble à des cimetières ; il n’est pas entretenu.’’ Il se souvient du train qui traversait de Diourbel à Tambacounda, en passant par Gossas et Guinguinéo. Ceci pour inviter les autorités à réhabiliter la gare ferroviaire de Guinguinéo et par la même occasion accélérer le processus de relance des activités ferroviaires.
La relance du chemin de fer plaidée
Il juge paradoxale qu’au moment où cette politique est chantée par les autorités, que la gare ferroviaire de Guinguinéo soit dans cet état. ‘’Avec la reprise des activités du train, le Sine-Saloum, qui avait connu une chute économique, renaîtra. Des cheminots, pères de famille, vivent dans le calvaire depuis 20 ans. Les marchandises que ces trains convoyaient alimentaient toute l’économie de la région du Sine-Saloum. Maintenant tout a chuté’’, explique M. Ndiaye qui, en évoquant le cas particulier de Guinguinéo, indique que dans cette zone, depuis belle lurette, les populations, bien qu’agricultrices à la base, ne connaissent pas l’agriculture du fait des activités qu’elles ont pendant plusieurs décennies tirées de l’économie du train.
Dès lors, elles n'ont plus de terres, et même si elles en possèdent ont perdu la main. Ce qui a aggravé, selon Habib Ndiaye, la situation financière des autochtones qui ne dépendaient que du réseau ferroviaire pour vivre dignement. D'après Habib Ndiaye, c’est l’une des raisons de l’émigration irrégulière des jeunes dans la zone. D’ailleurs, des convoyeurs ont été arrêtés dans la région et croupissent en prison depuis environ six mois, selon lui. Des jeunes ne donnent plus de nouvelles après leur départ, ce qui pourrait, selon lui, dire qu’ils auraient péri en mer.
Conscient de l’ampleur du phénomène à Guinguinéo, le Comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière a installé dans la localité une antenne locale afin de lutter contre cette migration clandestine.
À défaut du train, la migration irrégulière s'installe
Une réalité confirmée par le premier adjoint au maire de Guinguinéo. Aziz Diop affirme avec regret qu’au regard du manque d'emploi, les jeunes ont choisi la route de la migration à leurs risques et périls. Pourtant, dit-il, c'est avec le chemin de fer que tout Guinguinéo vivait. Personne ne se plaignait de l’oisiveté en ce sens que Guinguinéo occupait une place de choix dans le transport ferroviaire sénégalais.
En effet, il confie qu’il y avait un centre de groupage à Guinguinéo où les arachides des coopératives, et d'autres spéculations étaient convoyées par train à Dakar et vers d’autres destinations. Il explique que le train qui quittait Dakar vers Bamako marquait une escale à Guinguinéo pour les besoins de maintenance. C’est ce qui a donné à la ville sa réputation de deuxième gare ferroviaire du Sénégal.
Mame Moussé Diop, contrôleur et ancien chef de train, 35 ans d’expérience : ‘’Il est bien possible de relancer le train, mais il manque de volonté politique.’’
Avec ses 35 ans d'expérience en tant que chef de train Dakar - Kidira, Tambacounda - Bamako, Dakar - Tambacounda, Guinguinéo -Tamba et contrôleur de l’express Dakar - Bamako, Mame Moussé Diop parle d’un sujet qu’il maîtrise. Il se rappelle l’âge d’or du transport ferroviaire avec une rame qui quittait Dakar pour Kaolack, convoyant des légumes et autres marchandises. À Guinguinéo, narre-t-il, les populations des 30 villages autour de cette ville venaient s’approvisionner en vendant parallèlement des produits locaux tels que les céréales acheminés par train vers d'autres destinations. À travers ce train régulier qui partait de Thiaroye à Guinguinéo chaque jour, l’économie tournait. Grâce aux trains 21 partant de Touba à Kaolack, du 26 de Kaolack à Touba, le 20 et le 23 desservant d’autres localités et le train 72 Tamba - Guinguinéo, un train mixte marchandises-voyageurs, les déplacements étaient faciles. Le cheminot à la retraite explique l’apport économique des rails et regrette que les autorités n’aient pas mis les moyens pour que le réseau ferroviaire reste ce qu’il a toujours été. ‘’Sans chemin de fer, on ne peut pas se développer’’, a assumé Mame Moussé Diop qui condamne dans la foulée le fait que le régime de Me Abdoulaye Wade ait bradé la vingtaine de machines dont disposait la société ferroviaire à 15 milliards F CFA aux Canadiens qui, après deux ans d'exploitation les ont cédées à un autre repreneur, à 45 milliards qui, à son tour, les a remis sur le marché moyennant 63 milliards F CFA. Un rappel pour justifier le manque de volonté des autorités d’alors et le mépris qu’elles avaient du chemin de fer qui, rien que pour le train Dakar - Bamako, avant sa cession aux Canadiens, convoyait chaque mois 45 000 t de marchandises renflouant ainsi les caisses de l’État. Tout est parti en fumée, selon lui.
La relance du chemin de fer relève d’une volonté politique. Ce que nos autorités n’ont pas, car ‘’avec les machines fonctionnelles au niveau de certaines gares, la reprise ne prendra pas plus de quelques mois en ce sens que le train pourra de nouveau siffler dans certaines gares en attendant de trouver des partenaires financiers pour qu’il retrouve son dynamisme économique.
Guinguinéo, un département sans commissariat de police
Avec la mort de la dame au niveau de l’ancienne gare ferroviaire pour cause d’insécurité publique, la question de l’érection d'un commissariat de police à Guinguinéo a refait surface.
En effet, le premier adjoint au maire, interpellé, a plaidé pour l’implantation d'un commissariat de police, une vieille doléance remise au goût du jour. Aziz Diop dit ne rien comprendre de la lenteur notée pour qu’enfin les populations soient en sécurité, car, selon lui, les efforts de la gendarmerie, bien que considérables, ne sauraient suffire pour gérer une sécurité urbaine qui n’est pas de leur compétence. D’ailleurs, après la mort de la femme, une patrouille dissuasive de la gendarmerie est opérationnelle aux alentours de l’ancienne gare ferroviaire, mais ‘’cela ne suffit pas’’. L’autorité municipale renseigne que la mairie avait proposé aux autorités un local avec les commodités nécessaires, pour y ériger provisoirement un commissariat, sans suite. Il est d'autant plus désespéré qu’il souligne que depuis l’érection de Guinguinéo en chef-lieu de département, ‘’aucune infrastructure n’y a été bâtie. Pas de tribunal départemental, pas de trésor ; nous dépendons de Kaolack, même pour un casier judiciaire’’, regrette M. Diop qui dit l’urgence de tout mettre en œuvre pour accompagner l’érection en chef-lieu de département de Guinguinéo.
Alioune Badara Diallo Kane