La Centif dévoile les nouveaux foyers de risque

Les tendances de blanchiment de capitaux sont dévoilées dans le dernier rapport de la Centif. Il y a, entre autres, le blanchiment par le biais de l’escroquerie portant sur les deniers publics, le blanchiment dans les secteurs des jeux en ligne, de l’assurance et de l’extractif au Sénégal. Par rapport aux déclarations d’opérations suspectes (Dos), les banques et établissements financiers sont les principaux contributeurs. En ce qui concerne les tendances criminelles, il s’agit surtout de fraude et de corruption.
Rendu public, le rapport d’activités 2024 de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) du Sénégal relève les actions déployées pour combattre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il renseigne, entre autres, sur la nature et la portée du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, ainsi que sur la menace qu’ils représentent. En effet, la Centif réalise régulièrement des études en s’appuyant sur les données issues des déclarations des entités assujetties, les renseignements opérationnels, ainsi que les informations provenant de sources publiques, des services d’enquête et des autorités judiciaires.
Cheikh Mouhamadou Bamba Siby (président de la Centif) et ses collègues ont aussi relevé les tendances de blanchiment de capitaux. Il y a l’escroquerie sur les deniers publics, qui consiste en l’utilisation de manœuvres frauduleuses pour obtenir indûment des fonds publics. « Cette infraction relève des atteintes aux deniers publics, qui constituent la sixième (6ᵉ) catégorie des infractions les plus prégnantes en 2024. Il est essentiel d’étudier les typologies de cas qui mettent en évidence les nombreuses stratégies, les acteurs et les contextes impliqués afin de comprendre la dynamique du blanchiment d’argent issu des atteintes aux deniers publics », détaille le rapport.
Les jeux en ligne sous surveillance
En effet, explique-t-on, la plupart des opérations associées à ces infractions se caractérisent par l’ouverture de plusieurs comptes de sociétés dans plusieurs banques commerciales, aussi bien au Sénégal qu’à l’étranger, la réception de plusieurs virements injustifiés de fonds publics, l’encaissement de chèques sans motif économique, la souscription à plusieurs dépôts à terme auprès des banques commerciales. De même, il y a aussi la souscription à plusieurs bons de caisse, la liquidation de bons de caisse au profit de tiers inconnus sans relation apparente avec les principaux souscripteurs, le rachat de plusieurs créances détenues sur l’État, la perception d’intérêts sur les bons de caisse, le nivellement de plusieurs comptes par des dépôts en espèces et des remises de chèques.
Autre tendance, le blanchiment dans le secteur des jeux en ligne. D’après le rapport, au Sénégal, l’environnement des jeux en ligne est marqué par une recrudescence des affaires de blanchiment de capitaux impliquant des acteurs nationaux et étrangers. Il est également relevé le blanchiment dans le secteur de l’assurance. « Les produits et mécanismes d’assurance peuvent être exploités pour blanchir de l’argent en brouillant la provenance des fonds illicites. Souvent, l’escroquerie consiste à souscrire des polices d’assurance, notamment des assurances-vie ou des rentes viagères, en surpayant par exemple les primes avec des fonds issus d’une activité délictuelle ou criminelle », indique le rapport. « Ensuite, les délinquants récupèrent, sous la forme de règlements légitimes, ces fonds d’origine illicite en anticipant notamment le rachat des produits ou en faisant de fausses déclarations. De la même manière, les délinquants peuvent manipuler des dispositifs de réassurance en créant des sociétés établies dans un paradis fiscal pour surpayer la couverture, l’argent sale injecté vers les réassureurs circulant ensuite au sein des principales compagnies d’assurance », a-t-on ajouté.
Le secteur extractif exposé
Le secteur extractif au Sénégal est aussi concerné. Il est l’un des piliers de l’économie du Sénégal, comme c’est le cas dans tous les pays africains qui regorgent de ressources naturelles exploitables. Cependant, selon le rapport, les ressources générées sont souvent favorables à l’apparition de flux illicites issus de la fraude fiscale ou de la corruption. Parmi ces facteurs, « la corruption constitue une des infractions sous-jacentes les plus usitées du secteur extractif, par laquelle d’importantes quantités de produits illicites font l’objet de blanchiment ». En cinquième lieu, il y a le secteur des actifs virtuels. D’après le rapport, nonobstant les nombreux avantages qu’ils offrent, car ils ont la possibilité de rendre les paiements plus faciles, plus rapides et moins chers, et de fournir des méthodes alternatives à ceux qui n’ont pas accès aux produits financiers habituels, les actifs virtuels peuvent constituer un danger. « Ils sont vulnérables aux cyberdélinquants et constituent un refuge pour les transactions financières des criminels », dit-on.
La mission de la Centif consiste à recevoir les déclarations d’opérations suspectes (DOS) émanant des personnes assujetties en vertu de la loi n° 2024-08 du 14 février 2024 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive (LBC/FT/PADM). Sur les 928 déclarations d’opérations suspectes (Dos), les banques et établissements financiers demeurent les principaux contributeurs avec 82,87 % des déclarations (769 Dos). « Cette tendance est confirmée par les déclarations de transactions en espèces (DTE), qui ont connu une hausse de 151 %, passant de 16 993 410 à 42 735 186 », a expliqué la Centif. « Ces chiffres témoignent d’une appropriation continue du dispositif par les assujettis, notamment les banques, les établissements financiers et les émetteurs de monnaie électronique. Cependant, pour le secteur non financier, où des marges d’amélioration sont notées, des efforts importants doivent être menés, eu égard aux risques de BC/FT/PADM », a expliqué la Centif.
Ils sont suivis par les systèmes financiers décentralisés, qui représentent 6,36 % (59 Dos), puis par les établissements de monnaie électronique avec 4,74 % (44 Dos). Selon le rapport, les contributions des autres secteurs restent faibles, notamment : les systèmes de transfert d’argent (0,97 %, 9 Dos), les sociétés de courtage en assurance et réassurance (0,43 %, 4 DOS), les agents immobiliers (0,54 %, 5 DOS), les négociants en métaux précieux (0,32 %, 3 DOS) et les notaires (0,32 %, 3 DOS).
Les tendances criminelles : fraude, corruption…
Par rapport aux tendances criminelles, la fraude, la corruption et les violations relatives à la réglementation des changes ont été les infractions présumées les plus commises au cours de la période sous revue. En effet, en ce qui concerne les catégories d’infractions, en 2024, la fraude reste l’une des catégories les plus signalées avec 554 cas, contre 473 en 2023 (+17 %). La Centif note aussi que les infractions à la réglementation des changes ont augmenté de manière significative, doublant en un an : de 33 en 2023 à 66 DOS en 2024 (+100 %). De même, selon le rapport, les infractions fiscales pénales ont progressé de 78 % (de 41 à 73 cas). En matière de corruption, la hausse est de 5 % (de 131 à 138 DOS).
Cependant, certaines infractions comme la contrebande (-67 %, de 9 à 3 cas) ainsi que le faux et l’usage de faux (-24 %, de 21 à 16 cas) ont enregistré une baisse. L’on précise que des progrès plus modestes sont notés dans la déclaration des infractions spécifiques comme le faux monnayage, en légère hausse de 17 % (de 6 à 7 cas), ou les cas de contrefaçon et de piratage de produits, en baisse de 33 % (de 6 à 4 cas). « Les catégories d’infractions déclarées les plus importantes au cours de la période sous revue sont la fraude (554), les infractions fiscales pénales (73) et les infractions à la réglementation des changes (66) », a-t-on indiqué.
BABACAR SY SEYE