Publié le 18 Jul 2019 - 00:36
CASCADE DE REPORTS

La malédiction des Locales

 

De 1984 à nos jours, les élections locales n’ont jamais été tenues à date échue, au Sénégal. Celles de 2019 ne font pas exception. Leur report, pour la deuxième fois, a été acté par consensus, hier, dans le cadre du dialogue politique.

 

La catastrophe est évitée de justesse. Pendant longtemps, tous les acteurs savaient qu’il est impossible, comme le disaient des spécialistes dans ‘’EnQuête’’, le 17 mai déjà, de tenir les élections locales à date échue (1er décembre 2019). Mais personne ne voulait prendre sur elle la responsabilité de poser le débat au sein des instances habilitées. Après moult tergiversations, la voie du salut est finalement venue du Pôle des non-alignés.

Par lettre en date du 16 juillet, les camarades de Déthié Faye écrivent à leurs pairs, membres de la Commission politique du dialogue national : ‘’Considérant qu’un tel objectif (l’organisation d’élections crédibles) ne peut être atteint d’ici le 1er décembre 2019, date retenue pour les élections locales, le Pôle des non-alignés estime que la prise en charge des intérêts supérieurs du Sénégal commande le report des élections et invite la commission politique à l’adopter de façon unanime.’’

Pour les non-alignés, organiser des élections avec le Code électoral actuel, ‘’c’est aller sûrement à des consultations électorales qui risquent d’être les plus catastrophiques de l’histoire du Sénégal et les plus dangereuses pour la stabilité de notre pays’’.

Dans leur argumentaire, les camarades de Déthié Faye soulignent, avec regret, les retards dans les travaux de la commission, qui peine encore à définir l’ordre des points à discuter. ‘’Il apparait clairement, disent-ils, qu’à ce rythme, les objectifs spécifiques retenus dans les termes de référence ne pourront pas être étudiés et faire l’objet de conclusions à prendre en compte dans le Code électoral pour l’organisation des élections locales prévues le 1er décembre 2019’’.

Ainsi, pensent les non-alignés, un nouveau code s’impose, vu les multiples récriminations portant sur le processus ayant mené au scrutin présidentiel de février dernier. Parmi ces points devant faire l’objet de discussions avant toute nouvelle élection, la déclaration cite : les dysfonctionnements notés dans le processus électoral, le double filtre aux élections locales qui est une première, l’imprécision dans les modalités de validation et de rejet des listes de candidatures…

Pour toutes ces raisons, le Pôle des non-alignés a estimé que la commission politique était face à un défi historique qui appelle la responsabilité et le  courage politique. Les camarades de Déthié Faye ont ainsi appelé leurs homologues à comprendre que ‘’l’urgence et la priorité, c’est de doter notre pays d’un code électoral consensuel, à l’image de celui de 1992’’.

Déthié Fall : ‘’L’évaluation de la Présidentielle et l’audit du fichier, préalables à toutes élections.’’

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet appel à la raison n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Même l’opposition dite radicale ne s’est pas montrée contre la proposition. Malgré les nuances. Le coordonnateur du Pôle de l’opposition au dialogue politique, Déthié Fall, confirme : ‘’Effectivement, l'opposition a pris acte du consensus qui s'est dégagé pour le report des élections législatives et qui a fait l'objet de la synthèse par le général Niang, Président de la Commission cellulaire.’’

Pour le responsable de Rewmi, l’opposition a rappelé à la plénière qu’elle tient à ce que les deux premiers objectifs spécifiques des termes de référence soient réglés, avant l’organisation de toute nouvelle élection. Il s’agit, en l’espèce, de l'évaluation du processus électoral, de la refonte partielle jusqu'à l'élection présidentielle du 24 février et de l'audit du fichier.

‘’Nous venons de sortir d'une élection présidentielle très contestée et des livres blancs ont même été  produits à cet effet pour revenir sur les dysfonctionnements majeurs notés sur tout le processus. Vouloir organiser une élection dans les mêmes conditions n'obéirait à aucune logique et n'aurait aucune cohérence’’, argue M. Fall.

A l’en croire, voilà la raison pour laquelle l'opposition a tenu à ce que les deux premiers objectifs spécifiques soient définitivement traités. Il ajoute : ‘’Nous avons d'ailleurs proposé la saisine de nos partenaires pour la mise à disposition d'experts indépendants et des Sénégalais experts dans le domaine pour travailler avec les pôles politiques et la société civile pour l'élaboration des termes de référence, pour un éventuel appel d'offres pour un cabinet qui se penchera de façon rigoureuse sur ces points.’’

Aldiouma Sow (Pastef) : ‘’C’est parce que l’Etat n’a pas su mettre en place les conditions pour aller aux élections.’’

Joint par téléphone, le plénipotentiaire de Pastef abonde dans le même sens, en précisant : ‘’Il y avait un accord entre les non-alignés, la société civile et la majorité, pour que les élections soient reportées. L’opposition a pris acte de cet accord. Donc, ce n’est pas que la proposition ne procède pas de l’unanimité, mais d’un consensus. Depuis le début, nous avons compris que tout ce qui était en train de se faire, c’est d’arriver à ce résultat. Le pouvoir a voulu utiliser ce cadre comme officine d’aide à la prise de décision du ministère de l’Intérieur. On l’a très tôt compris et nous nous y sommes opposés.’’

Selon Aldiouma Sow, la position de son parti n’a jamais varié sur la question. ‘’Nous avons toujours plaidé pour un respect du calendrier électoral. Maintenant, dans le cadre de la commission politique, un consensus s’est dégagé et il prône le report. On ne peut qu’en prendre acte’’, clame-t-il, tout en pointant du doigt la responsabilité du gouvernement. ‘’Si nous sommes arrivés à cette décision, souligne-t-il, c’est parce que les conditions ne sont pas réunies pour que les élections se tiennent. Le délai est court, pour faire la révision des listes électorales, et il n’y a pas non plus un consensus sur les règles du jeu. Tout ça, c’est du ressort du gouvernement qui endosse donc entièrement la responsabilité du report’’.

Selon Moundiaye Cissé, ce report est loin d’être une première dans l’histoire des élections locales au Sénégal. Il remonte au minimum à 1984. En effet, indique M. Cissé, après les élections de 1984, les Locales devaient être organisées en 1989. Elles n’ont pu être tenues qu’en 1990. Par la suite, en 1996 au lieu de 1995, en 2002 au lieu de 2001, en 2009 au lieu de 2007… Enfin, la meilleure note a été acquise en 2014, avec un report de 3 mois. Pour ce qui est des Locales de 2009 et de 2019, elles ont été reportées à deux reprises.  

MATAR SOURANG, COORDONNATEUR FRN

‘’On ne peut pas vouloir une chose et son contraire’’

‘’Au sortir de l’élection présidentielle, le front s’est dit qu’il fallait nécessairement faire l’audit du processus électoral, avant d’aller à de nouvelles élections. Pour nous, il était hors de question d’aller à des élections dans les mêmes conditions que la Présidentielle. C’est pourquoi nous avons demandé, au niveau de la commission politique, l’évaluation de l’élection présidentielle et l’audit de tout le processus. Et nous avons dit qu’il faut désigner un cabinet indépendant pour le faire.

‘’Comme le disait le président Wade lui-même, les conditions ne sont pas réunies pour aller aux élections. C’est d’ailleurs pourquoi il prônait le boycott. Nous avons saisi cette occasion pour poser ce débat. Et à la suite de la prise en compte de cette demande, le Pôle des non-alignés a estimé que cela va demander du temps. Tout comme la société civile, ils ont milité pour un report et nous y avons souscrit. C’est donc le fruit d’un consensus.

‘’Dans l’opposition, tout le monde est d’accord sur les deux préalables que nous avons posés. Et on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Le Pds a toujours défendu la position selon laquelle les conditions actuelles ne permettent pas d’avoir des élections crédibles. C’est pourquoi on peine à comprendre sa position actuelle.’’



TROIS QUESTIONS A MOUNDIAYE CISSE

‘’Aucune partie n’était prête pour aller aux élections en décembre’’

Représentant de la société civile dans le cadre du dialogue politique, le coordonnateur de l’Ong 3D, Moundiaye Cissé, apporte ses éclairages.

Comment, du côté de la société civile, vous avez accueilli la décision de reporter les élections locales ?

C’est sans surprise que nous l’avons accueillie. Le report fait l’affaire de tout le monde. Personne n’était prêt à aller aux élections dans les conditions actuelles. L’opposition réclamait non seulement l’évaluation de la Présidentielle, la revue du parrainage, mais aussi l’audit du fichier. Ce qui n’était pas faisable, d’ici à décembre. L’Etat, non plus, n’est pas prêt. On ne parle jusqu’à présent pas de la révision des listes.

Donc, pour nous, le report s’imposait. Aussi, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je pense qu’on ne pouvait pas se permettre d’aller à de nouvelles élections dans les mêmes conditions qu’à la Présidentielle. Cela allait produire les mêmes effets, c’est-à-dire des contestations à n’en plus finir.

Pensez-vous, avec ce report, que des correctifs vont être apportés au système électoral décrié ?

Le report n’a de sens que quand ça permet d’aboutir aux réformes escomptées, de consolider le processus électoral. Pour moi, cela ne doit pas être un report de plus, mais un qui apporte un plus… Il faut savoir que de 1984 à maintenant, on n’a jamais organisé les élections locales à date échue. Mais, à chaque fois, cela a permis de consolider notre démocratie. Je pense que c’est à ce niveau que le débat doit se situer. Nous avons reporté ces élections pour des raisons à la fois administratives, politiques et techniques.

Aujourd’hui, en l’état actuel des choses, si on va aux élections en décembre, on court le risque de priver environ 500 mille personnes de leur droit de vote et d’être candidat. Sur le plan politique, le risque est de voir les résultats contestés. Sur le plan technique, il est impossible de mettre en place, en plein hivernage, des commissions de révision…

Le report s’imposait donc, mais le consensus était indispensable. Maintenant, comme je l’ai dit, il faut que le report serve à corriger les failles du système. Et cela doit procéder d’un consensus, comme c’est le cas maintenant.  

Dans son adresse à la commission pour demander le report, le Pôle des non-alignés évoque des lenteurs dans le déroulement des discussions. Qu’est-ce qui bloquait vos travaux ?

D’abord, permettez-moi de me réjouir que, par ce report, nous avons abouti aux premiers résultats du dialogue. Ce sont, en fait, les premiers fruits du dialogue politique. Nous souhaitons, de la même manière, qu’il y ait un consensus sur des questions comme la durée du report et sur toutes les autres questions. Notamment l’architecture territoriale du Sénégal. Est-ce qu’on a besoin de 557 collectivités territoriales ? Ne faudrait-il pas rattacher certaines collectivités territoriales qui ne sont pas viables à d’autres, le cumul des mandats des maires, leur mode d’élection, le financement des partis politiques. Ainsi que sur toutes ces questions prévues dans les termes de référence. Que ça ne soit pas la majorité ou l’Etat qui décide unilatéralement.

Maintenant, il faut comprendre que des dialogues de ce genre ne sont jamais faciles. L’opposition demandait l’évaluation de la Présidentielle et l’audit du fichier avant de parler des Locales. Finalement, on a su dépasser cette étape. Et on est sur la bonne voie, à mon avis.

Par Mor Amar

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