Publié le 6 May 2020 - 21:03
CHERIF SALIF SY (ECONOMISTE) SUR LE SOUTIEN FINANCIER POUR LA LUTTE CONTRE LA COVID-19

‘’Il est erroné de laisser croire que la Chine ne s’engage pas aux côtés des pays africains’’

 

Il est inexact de dire ou de laisser croire que la Chine ‘’ne fait rien’’, qu’elle ‘’ne s’engage pas’’ aux côtés des pays africains, selon l’économiste Chérif Salif Sy, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’ sur la timidité de l’appui financier de Pékin en Afrique et de la multiplication des appels pour l’annulation ou l’allégement des dettes africaines, en cette période où la pandémie de Covid-19 se propage dans le continent.

 

La Chine reste le gros bailleur de l’Afrique. Ceci, même si elle était, en avril dernier, au cœur d'une vive polémique sur laquelle se sont prononcées les institutions dont l'Union africaine, après le mauvais traitement infligé aux ressortissants africains à Guangzhou.

En effet, Pékin détient environ 40 % de la dette africaine, soit 145 milliards de dollars sur 365. Une dette détenue partiellement par des fonds d’investissement, des banques, des entreprises privées. Et face à la multiplication des appels pour l’annulation de la dette, la Chine affiche son ouverture à la négociation. Cependant, si pour certains chercheurs européens ‘’Pékin n’a donc pas d’intérêt à annuler quoi que ce soit, mais à creuser plus encore son emprise économique et monétaire’’, Tidjane Thiam, ex-Directeur général du Crédit Suisse, et Jamie Drummond, co-fondateur de ONE.org, ont estimé que ‘’les autorités chinoises se doivent de donner l’exemple, en interrompant les paiements sur la dette privée ou publique due à la Chine’’.

Ils s’exprimaient dans une tribune publiée le 14 avril dernier sur ‘’Jeune Afrique’’.

Interpellé sur cette posture de la Chine, l’économiste Chérif Salif Sy affirme qu’il y a ‘’une volonté de décrédibiliser la Chine’’. ‘’Le 18 mars déjà, le Premier ministre chinois a été le premier à réagir pour s’engager sur la révision du traitement de la dette que les pays africains doivent à la Chine. Donc, il est erroné de dire ou de laisser croire que la Chine ne fait rien, qu’elle ne s’engage pas aux côtés des pays africains. Elle était le premier pays à réagir pour voir au-delà du réaménagement de la dette que lui doivent les pays africains, une reprise en main du secteur de la santé. Ceci, à travers la construction d’infrastructures et le développement de la recherche scientifique et technique dans ce domaine’’, soutient-il.

Pour sa part, le directeur du Forum du Tiers-monde (FTM) rappelle que c’est le président Macky Sall qui a demandé, en premier, dans le contexte du coronavirus, l’annulation de la dette, suivi par le président français Emmanuel Macron. Même si celui-ci est revenu sur l’idée d’un moratoire. ‘’Mais Macron avait dit qu’il allait saisir les grands groupes qui traitent de la question de l’endettement. Il s’agit du Club de Paris, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, etc. Il ne revient jamais à l’esprit des gens de vérifier. Si on prend le Club de Paris, c’est un groupe de créanciers publics au sein du duquel on retrouve beaucoup de pays, notamment ceux asiatiques - le Japon, la Chine, Israël - le Royaume-Uni, la Suisse, le Canada, etc. C’est un ensemble de pays d’Amérique, d’Asie et d’Europe qui se retrouve là-bas’’, précise M. Sy.

L’économiste signale que, quand le Club de Paris prend une décision sur une question, les pays asiatiques qui sont membres y sont partie prenante. En plus, ajoute notre interlocuteur, le groupe G20 est également constitué de 19 pays et de l’Union européenne, avec des chefs de banque centrale, des chefs d’Etat, etc. On y trouve également la Corée du Sud, la Chine, le Japon, le Mexique, etc.

Au fait, l’ancien ministre conseiller de Macky Sall chargé des questions économiques note qu’une fois que les groupes prennent la décision sur la dette, c’est aux Etats, à travers leur Parlement, de décider quelle attitude prendre. ‘’La dette africaine n’est pas quelque chose que les pays doivent en bloc à un club ou un groupe. Chacun doit de l’argent à un tel ou tel pays. De ce point de vue, une annulation peut prendre du temps. Mais compte tenu de l’urgence, une partie prenante a perçu la nécessité d’aller très vite pour prendre une décision dans un sens ou dans l’autre. On continue de parler de l’annulation et le G20 parle d’un moratoire. C’est aux pays concernés d’accepter telle ou telle décision’’, renchérit-il.

Pour le secrétaire général de l'Association des chercheurs sénégalais (ACS), la Chine investit ‘’tout doucement’’. Et sur une vingtaine d’années, elle est devenue le plus grand partenaire de l’Afrique dans tous les domaines. ‘’Personne ne l’entend parler. Et les Européens sont ce qu’ils sont. Ils aiment les tapages dans les médias, à la télé et tout. La Chine est résolue dans la direction qu’elle a prise. Et c’est une question culturelle, les pays asiatiques sont comme ça. L’essentiel, c’est d’avoir perçu qu’il fallait faire quelque chose et que la situation était grave, dès le début de la crise, et de s’engager à travers les meilleures solutions avec chaque Etat’’, dit-il.

L’Afrique étant constitué de 54 Etats, M. Sy affirme que la Chine doit étudier les dossiers au cas par cas et prendre la décision qui s’impose. ‘’Elle s’est engagée à aider les pays africains, en termes de remise d’annulation de dette, mais également de développement d’infrastructures sanitaires’’, indique-t-il.

Réfléchir sur comment financer le développement du continent

Aujourd’hui, face à la polémique sur l’annulation ou l’allégement des dettes des pays africains, le SG de l'Association sénégalaise des économistes (ASE) fait savoir que le continent peut pourtant arriver seul à assurer son émergence, ‘’s’il y a la volonté politique de le faire’’. Chérif Salif Sy souligne que compter sur soi est ‘’fondamental’’ en cette période. Toutefois, il avertit que cela ‘’ne veut pas dire rompre avec le reste du monde’’. Et dans le contexte actuel, pour lui, compter sur soi c’est ‘’développer véritablement’’ une stratégie nationale de mobilisation des ressources. Et à partir de là, des ressources externes viendront en appoint. ‘’Malheureusement, c’est ce qui nous manque et cela demande énormément de réflexions. Au lieu de nous focaliser sur faut-il annuler ou faut-il un moratoire pour la dette, il faut réfléchir fondamentalement sur comment financer le développement du continent. Ce qui est une question technique et dont les incidents relèvent et des individus et de ceux qui gouvernent, et de l’efficacité des institutions et des valeurs auxquelles un pays est adossé’’, préconise l’économiste.

A propos de ceux qui gouvernent, il convient de noter qu’il y a ‘’une querelle’’ entre le ministre sénégalais des Finances et du Budget Abdoulaye Diallo et son homologue béninois Romuald Wadagni. Pour ce dernier, une annulation des dettes rend forcément ‘’insoutenables ou difficiles’’ les emprunts futurs. Et pour Douada Diallo, ‘’annuler la dette des pays africains est vertueux et bien-fondé’’.

‘’En outre, refuser le moratoire ou l’annulation ne garantit nullement une meilleure gestion de la contrainte budgétaire. Tout est dans l’histoire et dans le temps, et aussi dans la responsabilité et la discipline des Etats. Chaque pays est pris par ses problèmes internes. Mais je regrette de ne pas entendre beaucoup l’Union africaine à ce propos’’, estime pour sa part M. Sy.

Donc, selon lui, il urge d’avoir une ‘’réflexion de fond pour changer radicalement’’ de démarche. Ceci en empruntant ‘’moins et mieux’’. Etant entendu que les pays emprunteront toujours. ‘’Aucun pays au monde ne détient dans ses frontières les ressources nécessaires à son développement. Autrement, les Etats-Unis ne seraient pas le pays le plus endetté au monde. Mais certes, il a une capacité de remboursement et une solvabilité qui lui permet de s’endetter à des montants extrêmement élevés relativement à son produit intérieur brut (PIB)’’, conclut-il.

MARIAMA DIEME 

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