Publié le 19 Jun 2021 - 05:54
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

La Covid oubliée

Désormais, il semble que l’on ne parle plus du coronavirus que comme le signifiant d’un mal oublié ; à l’instar d’un de ces fléaux qui, au fil du temps, ont fini par devenir des légendes, tant est saisissante leur fulgurance, stupéfiants leurs ravages, vertigineuse leur disparition. Il est vrai que depuis la fin du  couvre-feu, aucun des pouvoirs publics concernés ne s’est plus vraiment appesanti, en termes de communication, sur la nécessité de la prudence et sur le maintien salutaire du principe de précaution dont l’expression la plus basique et la moins contraignante est l’observance permanente des gestes barrières qui, en dehors même de la question de la vaccination, ont la vertu de contenir la propagation du mal.

Alors oui, l’on s’est mis à croire que 2020, avec son cortège funeste de malades agonisants, de morts subites, de détresses sanitaires en tous genres, d’affolements publics, n’était qu’une parenthèse chimérique dans la vie nationale dont l’on a eu bien fait de s’extraire coûte que coûte, pour reprendre le cours normal d’une vie qui crée, de toute façon, chaque jour et pour chacun, des périls réels ou potentiels.

Cette posture outrancière de l’autruche, a arrangé nos commodités : activités économiques, impératifs professionnels, divertissements à l’en veux-tu en voilà, activités ludiques débridées, rassemblements familiaux festifs dans l’excès, ont repris de plus belle, voire à un rythme et dans un style inédits dans la démesure, comme si la menace de nouveaux impondérables pointait encore, qui renfermerait soudain  nos vies,  dans la boite du silence sur laquelle planerait derechef, sinistre et menaçante, l’ombre redoutable de la mort.

Alors aussi, nous n’avons plus voulu de rien qui pourrait restreindre cette liberté précaire ou donner l’impression que dans le réel, la menace était encore là, que le cauchemar n’était pas que chimérique, mais qu’il se prolongeait dans la vraie vie des hommes vrais… Et du coup, même du vaccin, nous n’avons plus voulu. Aujourd’hui, l’on est bien loin des objectifs, en termes de couverture vaccinale : les populations caparaçonnées dans le déni et dans les légendes qui discréditent la vaccination, ont boudé les centres érigés pour. Une région comme Diourbel, depuis le début de la campagne vaccinale en février dernier, n’est qu’à 37 % de couverture, alors même que les vaccins sont disponibles. Diourbel est un baromètre de l’adhésion des populations au plan national ; à ce jour, seules 482 541 personnes ont été vaccinées sur un objectif de 3 millions de personnes fixé d’ici la fin de l’année 2021. Même s’il est prouvé par maintes études scientifiques que la vaccination réduit la morbidité et la mortalité liées à la Covid-19, et comporte plus de bénéfices que de risques, autorités sanitaires et partenaires impliqués n’arrivent pas encore à gérer les rumeurs qui ankylosent l’adhésion des populations.

 Et le constat est là, d’un virus qui recule timidement, qui révèle au quotidien son lot de contaminations nouvelles et qui nous sert sans désemparer le décompte morbide de ceux qui, de son fait, passent chaque jour de vie à trépas. 

Rien n’a donc changé depuis février dernier, sinon que les chiffres, moins saisissants, certes, mais exprimant toujours à ceux qui veulent bien les voir, la réalité d’un péril permanent, juste mis à l’ombre d’une communication qui a du plomb dans l’aile, engluée qu’elle est, elle-même, par une opinion publique réfractaire, voire hostile à l’idée même d’un péril sanitaire qui aurait vocation à restreindre et libertés et activités économiques. Plus de 40 000 cas ont été enregistrés au Sénégal depuis le début de la pandémie, avec près de 1 500 décès. Et le décompte ne prendra pas fin demain. Parce que le déni est presque national, d’un mal mortifère qui ne pourrait être contré que par un taux optimal de couverture vaccinale.

Mais le vaccin aussi nourrit tous les doutes et ressuscite ou invente toutes les fausses croyances dans l’effusion périlleuse d’une pensée moyenâgeuse, contre laquelle n’osent plus s’ériger les digues de la puissance publique qui semble avoir opté pour le laisser faire dans un contexte politique pré-électoral s’interdisant la confrontation à toute hostilité. 

La politique a ses raisons. Les virus ont les leurs aussi. Tapi dans l’ombre, en ne s’autorisant pour l’heure que quelques timides escarmouches, celui de la Covid-19 guette, cynique et narquois, nos relâchements et les failles de la bêtise publique.

Dans ce jeu du chat et de la souris, les hommes sortent rarement vainqueurs. Et comme dirait très cyniquement l’inénarrable Staline : ‘’A la fin, c’est toujours la mort qui gagne.’’

 

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