Publié le 18 Feb 2020 - 00:49
COLLECTIVITES LOCALES

Les freins au développement

 

L’Acte 3 de la décentralisation, qui a consacré la communalisation intégrale et érigé le département en ordre de collectivités territoriales, n’a pas réglé le problème du financement des collectivités locales. Cette question est traitée par l’inspecteur principal du trésor Cheikh Ndiaye, dans son œuvre ‘’Finances et comptabilité des collectivités territoriales au Sénégal’’. La cérémonie de présentation dudit ouvrage a été l’occasion d’un diagnostic en profondeur des limites et avancées du financement du développement local.

 

‘’Le financement du développement local pose, avec acuité, la problématique de l’autonomie financière des collectivités territoriales, celui de leur libre administration, mais également la qualité des dépenses publiques’’. En cause, ‘’la complexité des finances et de la comptabilité publique, notamment dans les interrelations entre l’Etat et les collectivités territoriales. Une machine à produire des alibis pour chacun des antagonistes’’, a déclaré, samedi, l’inspecteur général du trésor, Cheikh Ndiaye, à l’occasion de la cérémonie de présentation et de dédicace de son ouvrage ‘’Finances et comptabilité des collectivités territoriales au Sénégal’’. L’inspecteur, fort d’une expérience bi-décennale qui l’a mené de Matam à Dakar, en passant par Saint-Louis, Fatick, au service de la décentralisation, en tant que comptable public, souligne autant la faiblesse des recettes que leur réaffectation inefficiente au niveau local.

‘’La diversité des recettes n’assure malheureusement pas le rendement et la rentabilité nécessaires pour couvrir les dépenses locales. Et l’examen des dépenses locales démontre la prééminence des dépenses de fonctionnement sur celles d’investissement et des charges de personnel et de prestige sur les autres à vocation sociale, économique, culturelle, etc.’’, constate l’inspecteur principal. Qui est d’avis que, pour qu’une politique de développement soit inclusive et réussisse à ce que tout le Sénégal en ressente les retombées, elle doit être fondée sur une politique locale à la base.

Cette condition est revenue dans les propos des intervenants, notamment de celui du modérateur, le directeur de la Comptabilité publique et du Trésor. Cheikh Tidiane Diop, en l’occurrence, appuie le constat de l’auteur relativement à son ouvrage.

‘’Les collectivités territoriales, dit-il, sont aujourd’hui plus des structures à vocation sociale que de développement. Les budgets de fonctionnement prennent 60 à 70 % des budgets redistribués aux secours, pour les ASC, les mosquées, en plus de certains appuis à connotation politique. Ils sont certes importants. Mais, à la limite, que cela ne dévie de la vocation de base d’une collectivité territoriale qui est l’implémentation et la mise en œuvre d’une politique optimale de développement à l’endroit des populations’’. L’absence de fiscalité propre, pour le cas des départements, ne fait que corser cette préoccupation, conclut sur cette thématique Cheikh Ndiaye.

Face aux mouvements d’humeur réguliers dans les collectivités locales, avec le spectacle des brassards rouges brandis pour réclamer des routes, l’accès à l’eau… l’Etat ne peut, seul, assumer ce rôle de mise en œuvre des services, selon les experts. L’inspecteur du trésor professe : ‘’Un lien Etat central-pouvoir décentralisé doit être affiné, mieux encadré pour faire des collectivités territoriales de véritables acteurs de développement, de véritables opérateurs de politiques publiques. Une plus grande efficacité de la dépense publique qui doit faire l’objet d’un ciblage et une meilleure orientation sont également préconisées.’’

Pistes de solution énoncées par l’auteur

Les collectivités territoriales devraient être dotées d’une fiscalité propre, avec un rendement élevé qui leur permette de pouvoir satisfaire les besoins des concitoyens. A cet effet, il faut rappeler que, sous l’impulsion de plusieurs autorités, la réforme de la fiscalité locale est en cours et reste à être parachevée. Un jalon important a été posé : c’est la réforme de la patente avec, en lieu et place, la contribution économique locale (CEL) sous deux aspects : valeur locative et la valeur ajoutée, avec des guichets de répartition de la CEL qui vont du guichet d’allocation minimale, du guichet d’équité territoriale et du guichet de stabilisation.

‘’Je pense, objectivement, qu’une collectivité territoriale, qui ne doit vivre que du guichet d’allocation minimale, des transferts de l’Etat ou du guichet d’équité territoriale ou des subsides ou de ses quelques donateurs dans le cadre de la coopération décentralisée, doit nous interpeller par rapport à la viabilité’’, déclare l’auteur.

En ce qui concerne les conseils départementaux, une collectivité territoriale de cette dimension institutionnelle, poursuit-il, ne doit pas fonctionner que sur la base de transferts. Il faudrait qu’on la dote d’une fiscalité propre, en plus des transferts que l’Etat fait pour lui permettre, à la base, de mener des politiques publiques, quitte à contractualiser la relation entre l’Etat central et les collectivités territoriales sous le prisme de la gestion axée sur les résultats.

La question de la nomenclature budgétaire

En sus des questions relatives à l’affectation des recettes publiques, la nomenclature budgétaire des collectivités territoriales, référentiel à partir duquel sont traduites les opérations d’exécution des recettes et des dépenses, souffre de vieillesse et d’archaïsme. De ce fait, ce cadre est décrié par les acteurs territoriaux. ‘’Il urge de l’adapter aux exigences de la nouvelle gestion publique. Ce qui devrait certainement se faire avec les perspectives d’internalisation de la directive 01-2011 du 24 novembre 2011 portant régime financier des collectivités locales de l’UEMOA’’, souligne l’auteur.

En effet, l’Etat central a basculé, depuis le 2 janvier 2020, dans le budget programme, avec comme corollaire la déconcentration de l’ordonnancement. Aujourd’hui, tous les ministres sectoriels, les présidents d’institution constitutionnelle sont ordonnateurs de leur budget et concourent à la réalisation et à la mise en œuvre des politiques publiques définies par le chef de l’Etat.

Donc, les collectivités territoriales, dans le cadre des 9 domaines de compétences transférées, doivent être des acteurs de terrain pour parachever cela au niveau local. Dans cette perspective, ‘’l’Etat, qui transfère les moyens aux ordres de collectivités territoriales, attend que ceux-ci soient judicieusement, efficacement et exclusivement utilisés au service de nos concitoyens’’, fait remarquer le modérateur de la cérémonie.

Dans son propos, est ressortie la mise en marche de cette action par le ministre des Finances et du Budget, de concert avec celui de la Gouvernance locale. ‘’Nous en sommes à la finalisation des travaux d’internalisation de la directive de l’UEMOA de 2011 portant régime financier et comptable des collectivités territoriales. Celle-ci devrait nous permettre d’arriver aux nouveaux paradigmes de la gestion publique, à savoir : la redevabilité, l’imputabilité, la reddition des comptes et la transparence. Au Sénégal, c’est des éléments pris en compte, mais qu’il faut opérationnaliser dans la gestion des finances publiques, en particulier dans celle locale’’, déclare Cheikh Tidiane Diop.

Le débat sur la trésorerie commune des entités publiques

L’inspecteur général Cheikh Ndiaye suscite le débat sur la trésorerie commune : ‘’Le principe de l’unicité de caisse qui prescrit la mise en commun de la trésorerie des entités publiques. Ce concept d’appréciation variable, selon que l’on est du pouvoir central ou du niveau décentralisé, a besoin d’être repensée pour une amélioration de la gestion financière locale, dans un contexte de profondes mutations et d’exigence de transparence, de reddition des comptes et de bonne gouvernance.’’

La prudence doit être de mise sur cette question, dit le directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor. Parce que la plupart des collectivités territoriales, à elles seules, ne sont pas viables financièrement. Et aujourd’hui, l’Etat consent des subventions, des avances de trésorerie, énormément de transferts d’avance de trésorerie. Cela permet à la plupart des collectivités de faire face à leurs charges obligatoires de personnel.

Par conséquent, rompre ce lien reviendrait à hypothéquer la continuité du service public à la base et le bon fonctionnement de ces collectivités.

Dans cette même veine, le directeur se dit prêt à engager la discussion avec l’Association des maires du Sénégal, pour que les textes de la décentralisation soient revus pour coller à l’ère du temps, à une ère de gestion axée sur les résultats. Déjà, la Direction générale de la comptabilité publique et du trésor est engagée dans cette voie. Chose dont se félicite Cheikh Ndiaye : ‘’Une charte de partenariat avec les associations faîtières des collectivités territoriales doit être conclue, ajoutée à la mise en place d’une nouvelle application intégrée de gestion de la comptabilité et des finances des entités locales. Ce qui devrait permettre d’améliorer sensiblement cette gouvernance financière.’’

Les avancées de la politique mise en œuvre par l’Etat sénégalais

Le conseiller technique du ministre des Finances et du Budget, qui a présidé la cérémonie, a lui loué l’objectivé de l’auteur qui, dit-il, a établi un diagnostic sans complaisance sur les relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales. Il a fait état d’avancées notables, avec des références annuelles et des chiffres détaillés. Même si les ressources allouées aux collectivités territoriales restent encore faibles, force est de reconnaitre que des efforts sont faits, a-t-il dit.

En effet, entre 2012 et 2016, le fonds de dotation est passé de 16 822 000 000 à 22 408 000 000 F CFA. Sur la même période, le Fonds d’équipement des collectivités territoriales a évolué de 12 500 000 000 à 20 000 000 000 F CFA. Pour ce qui concerne le budget consolidé d’investissement, les collectivités territoriales ont reçu 8 200 000 000 F CFA, entre 2013 et 2015. ‘’Nous poursuivons nos efforts avec les possibilités offertes aux collectivités territoriales de fixer les taxes locales’’.

En outre, grâce aux tarifs sur les services publics locaux et les prélèvements opérés sur le domaine, les communes peuvent tirer 25 % de leurs recettes des revenus non fiscales. Par ailleurs, les mécanismes de financement prévus dans le Code général des collectivités territoriales permettent d’augmenter considérablement les ressources des communes. Il s’agit principalement des contrats blancs, du PPP, de l’accès au marché financier de l’emprunt bancaire.

MAMADOU DIALLO (STAGIAIRE)

 

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