Publié le 30 May 2020 - 18:13
CONDAMNATION DE HISSENE HABRE

Les victimes déçues par l’Union africaine et l’Etat tchadien 

 

Les victimes de l’ex-président tchadien condamné pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, attendent toujours de recevoir leurs réparations accordées par la justice, malgré un procès et une condamnation en grande pompe de leur bourreau.    

Quatre-vingt-deux milliards de francs CFA ! C’est la somme que la cour d’appel qui avait confirmé la condamnation de Hissène Habré en avril 2017, a alloué comme réparation à 7 396 victimes de l’ancien président tchadien (au pouvoir entre 1982 et 1990). Trois ans plus tard, ces derniers n’ont toujours pas reçu un centime d’indemnisation, ni du coupable ni de l’Union africaine ou encore de l’Etat tchadien. ‘’Les victimes de Habré se sont battues sans relâche pendant 25 ans, pour traduire en justice leur dictateur et ses sbires, et se sont vu accorder des millions d’euros d’indemnisations. Mais, à ce jour, elles n’ont pas reçu un seul centime de ces réparations. Beaucoup de victimes qui ont remporté ces victoires historiques sont dans une situation désespérée et dans le plus grand besoin’’, a déclaré dans un communiqué le conseiller juridique de Human Rights Watch, Reed Brody, qui travaille avec les victimes de Habré depuis 1999.

Après la confirmation de la condamnation, la cour avait mandaté un fonds fiduciaire de l’Union africaine pour lever de l’argent en recherchant les avoirs de Habré et en sollicitant des contributions volontaires. Seulement, ce fonds n’est toujours pas opérationnel, bien que l’UA lui ait alloué 5 millions de dollars. Avant le début de la pandémie de coronavirus, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, promettait même ‘’la tenue très bientôt [d’une] conférence de mobilisation des ressources pour alimenter ce fonds’’.

En plus, 75 milliards de francs CFA avait été octroyés par la Cour criminelle de N’Djaména, lors du procès tchadien des sbires de Habré, comme indemnisation à 7 000 victimes. A charge pour l’Etat tchadien d’en payer la moitié et aux condamnés l’autre moitié. Que ce soit au niveau de l’UA qu’à celui du gouvernement tchadien, aucun franc n’a, à ce jour, été payé, indique-t-on dans le communiqué. Même le monument ‘’dans un délai n'excédant pas un an’’ en hommage aux personnes tuées sous le régime Habré, de même que le musée au sein du quartier général de l’ancienne police politique (Direction de la documentation et de la sécurité - DDS) où les détenus étaient torturés, enjoint par cette cour, n’ont pas été construits. Ce qui fait dire à Clément Abaifouta, Président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH), que ‘’l’Union africaine et le gouvernement tchadien doivent mettre en œuvre ces décisions de justice afin que les victimes puissent enfin recevoir des réparations pour ce que nous avons souffert’’.

Hissène Habré avait été reconnu coupable de torture, crime de guerre et crime contre l’humanité, et notamment d’avoir lui-même violé une femme, par les Chambres africaines extraordinaires et condamné à la réclusion à perpétuité, le 30 mai 2016, avant que sa condamnation ne soit confirmée en appel en avril 2017. Mais à cause de la crise de la Covid-19, une permission de sortie pour regagner son domicile pendant 60 jours, lui a été accordée alors qu’il purgeait sa peine de prison au Sénégal. Selon le ministre sénégalais de la Justice, Malick Sall, cette permission (accordée le 6 avril) pourrait être prolongée, si la situation ne s’améliore pas, une fois les deux mois épuisés.

Bien que les avocats et les partisans de l’ex-président tchadien fassent campagne pour sa libération, les victimes préviennent le gouvernement sénégalais qu’elles surveillent la situation de très près. ‘’Nous serons prêts à rappeler au gouvernement sénégalais ses engagements quant au fait que la détention de Habré à domicile est une mesure sanitaire temporaire et non pas un pardon déguisé pour des crimes d’homicide de masse, de torture et de viol’’, a déclaré la coordinatrice du collectif des avocats des victimes et présidente de l’Association tchadienne pour la défense et la protection des Droits de l’homme (ATPDH), Jacqueline Moudeïna. 

 
Lamine Diouf

 

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