La réflexion doit se faire maintenant

Depuis leur arrivée au Sénégal, la population ne cesse de se demander à quand le démarrage des deux machines de radiothérapie. Mais pour les spécialistes, l’heure n’est pas à la précipitation, mais au travail bien accompli. En plus il urge de mener des réflexions sur le coût de séance de ces nouveaux appareils.
Les deux accélérateurs de particules, commandés par l'Etat du Sénégal, sont arrivés le samedi 24 juin 2017 à Dakar. Ces deux appareils de radiothérapie (dernière génération en matière de lutte contre le cancer) seront installés à l'Hôpital Dalal Jamm, à Guédiawaye. Le site qui doit les recevoir est en cours de finition, même si les travaux ont connu quelques jours de retard du fait de problèmes de coupure d’électricité. Tout le matériel est stocké dans des conditions parfaites sous climatiseur, selon une source. Notre interlocuteur révèle en outre qu’il y a de fortes chances que tous les travaux se terminent vers le 28 juillet. Ce qui permettra de démarrer l’installation aussitôt. C’est bien beau, d’avoir des appareils de radiothérapie. Mais il ne faut pas aller vite en besogne. Car beaucoup de choses restent à faire.
Parlons d’abord de l’électricité qui a retardé les travaux. C’est vrai qu’il faut saluer les efforts que les autorités font. Mais la contrainte majeure soulignée par un autre interlocuteur dans cette affaire, est la qualité de l’électricité. ‘’Un accélérateur est un appareil sensible à une variation de courant de 1%. Ce qui veut dire qu’il est hors de question d’approximations dans l’installation électrique de l’hôpital. Elle doit être parfaite. Il faut des contrôles, et des systèmes de sécurité en appoint pour s’assurer que le courant est d’une stabilité parfaite.
Cette contrainte, ne doit pas seulement être prise en compte, mais elle doit être levée’’, a soutenu notre interlocuteur. Selon des spécialistes de la question, le problème n’est pas seulement d’avoir du courant de substitution à l’hôpital, mais que tous les maillons de la chaîne soient articulés et non accumulés : des groupes électrogènes, des cellules et un réseau de qualité, et une surveillance permanente de la qualité du réseau. Six semaines au moins étant, en principe, requises pour l’installation des appareils, toute irrégularité dans la fourniture du courant pourrait rallonger ce délai de manière quasi-incertaine. Des mesures sont certes prises par l’administration pour alerter la Senelec et les différents décideurs pour s’assurer que tout sera au point au moment des tests. De ce point de vue, tout est fait rassure une source, mais il faut que ça soit respecté. Constance dans la fourniture de l’électricité, tel est le credo pour le bon fonctionnement et la préservation de ces appareils.
L’autre point non moins important est le coût. Le prix final risque d’être cher pour le malade. Pour l’entretien de l’ancienne machine de Le Dantec, il fallait 20 à 30 millions annuels. La charge était supportable par un hôpital public. Mais ça, c’était avant, c’était au Cobalt. Avec les deux nouveaux accélérateurs de particules à Dalal Jamm, des sources indiquent qu’il n’est pas envisageable pour l’administration de cet Hôpital de maintenir le tarif forfaitaire de 150 mille francs appliqué antérieurement. On indique que cette technologie beaucoup plus sophistiquée va coûter, en maintenance, au minimum 150 millions par an. Une charge très lourde, impossible même pour l’hôpital, ajoute-t-on.
A en croire les spécialistes, c’est environ 10% du prix des appareils par an. Si l’on sait que l’investissement est de 3 milliards FCFA pour les deux accélérateurs, cela veut dire que c’est entre 150 et 200 millions par an. Ce qui voudrait dire également que, aucune structure hospitalière ne pourrait supporter une radiothérapie de pointe avec des tarifs de 150 mille francs par malade. ‘’Il faut donc soit une subvention spéciale allouée à l’hôpital, soit répercuter une partie du coût sur le malade. La réflexion doit être menée maintenant’’, affirme une source qui s’empresse d’ajouter :’’Si les machines sont opérationnelles et qu’on dise aux malades qu’ils vont payer 600 mille francs pour se faire traiter, ce sera la catastrophe ! Déjà que les 150 000 francs étaient difficiles à supporter pour les patients et leurs parents’’. La question se pose donc de savoir qui va payer les tarifs de la maintenance ?
‘’Ce serait paradoxale de demander plus d’un demi-million à un malade pour son traitement’’
Pour répondre à cette interrogation, il y a lieu de rappeler ici que lorsque l’ancienne et unique machine était tombée en panne, tous les malades ont été envoyés hors du Sénégal pour être traiter gratuitement, grâce à une prise en charge totale de l’Etat. Maintenant que les appareils sont disponibles (enfin presque !), ce serait paradoxale de demander plus d’un demi-million à un malade pour son traitement. Il faudra assurément que l’Etat supporte une partie du coût car l’Hôpital, Dalal Jamm, disent certains interlocuteurs n’est pas assez robuste financièrement pour se permettre la presque gratuité des soins. A moins que l’Etat ne décide d’une gratuité totale.
L’autre contrainte à prendre en compte est celui des ressources humaines. ‘’On a ouvert un diplôme de radiothérapie à Dakar et il y a cinq candidats qui sont déjà sélectionnés et sont en cours de formation. Les trois sont boursiers, les deux autres sont déjà recrutés par la Fonction publique. L’Etat a pris 10 manipulateurs qui, avec la coopération technique belge, sont envoyés en formation. Les deux sont au Maroc, les six repartent cette semaine, et les autres dans quelques jours. Au mois de septembre, le Sénégal devrait donc avoir dix manipulateurs en formation dont les quatre seront déjà opérationnels dans deux mois pour avoir l’insigne honneur d’inaugurer le service. Avec cinq DES en formation. ‘’Mais les radiothérapeutes en formation seront opérationnels dans 4 ans. Pendant tout ce temps, ceux qui sont là vont se débrouiller avec le peu de personnel’’, informent les spécialistes.
C’est au bout des semaines d’installation qu’on va réceptionner les appareils. Autant, il faudra aller vite, autant il faudra ne pas confondre vitesse et précipitation, précise une source. Car la seule véritable difficulté réelle réside dans une erreur de calibrage de l’appareil, qui impliquerait des erreurs en cascade sur tous les patients qu’on va traiter. ‘’Les praticiens, ne doivent pas céder à la pression de la population ou des autorités. S’il faut prendre 10 semaines pour être sûr que toutes les normes de sécurité sont respectées, il faudra le faire. Il est préférable de perdre 4 semaines de plus et être sûr que tous les malades pendant 10 ans seront biens traités que de prendre des risques et maltraiter tous les patients pendant 10 ans’’, précisent nos interlocuteurs. ‘’Les appareils sont déjà là, donnons-nous et donnons-leur le temps d’être sûr qu’on a un outil de qualité. En attendant, il faut que l’Etat continue à prendre en charge les pauvres malades qui attendent depuis des mois qu’on continue à les transférer’’, conseille une source bien au fait de la question.
VIVIANE DIATTA