Publié le 7 May 2020 - 21:02
CRISE DU CORONAVIRUS

Les hôpitaux malades du coronavirus

 

L’horloge sanitaire nationale est, depuis plus de deux mois maintenant, réglée à l’heure du coronavirus. Diabétiques, hypertendus, insuffisants rénaux rechignent à fréquenter les hôpitaux, sauf en cas d’obligation. Des services comme la radio, la pédiatrie… sont désertés par les populations effrayées. Entrainant ainsi des baisses drastiques de recettes pour les établissements de santé, menaçant les salaires de certaines catégories de travailleurs.

 

D’habitude, quand on a mal, on pense à l’hôpital. Mais depuis le début de l’épidémie du coronavirus, les Sénégalais fréquentent de moins en moins les structures de santé. Hôpital Youssou Mbargane Diop de Rufisque. Les patients se font désirer. Masqués, quelques visiteurs devisent tranquillement devant le service des urgences. A en croire les travailleurs, la baisse est réelle et elle impacte sérieusement les recettes de la structure. Le service radio, où officie le représentant du personnel, Mandioba Seck, par ailleurs Secrétaire général des travailleurs des collectivités locales, en est une parfaite illustration. Les pertes peuvent aller jusqu’à environ 100 000 F par jour. ‘’Avant, souligne le syndicaliste, je faisais une trentaine de malades par jour. Maintenant, je peine à faire 5 malades par jour. Ce sont des pertes énormes de recettes. Si on faisait 150 000 ou 200 000 F, maintenant, ça tourne autour de 30 000 F’’.

A la pédiatrie, le constat est presque identique. La devanture qui, habituellement, était prise d’assaut par les femmes, est quasiment déserte. Le syndicaliste confirme : ‘’C’est vrai que les femmes n’emmènent plus leurs enfants à l’hôpital. On peut en dire autant de ceux qui souffrent des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension, l’insuffisance rénale… Sans doute, ils craignent d’y être contaminés, d’autant plus que ces malades sont beaucoup plus vulnérables au coronavirus.’’

A l’Hôpital général de Grand-Yoff (Hoggy), le constat est le même. Selon le directeur général de la structure, qui s’exprimait récemment sur la Télévision futurs médias, les pertes se situeraient entre 50 et plus de 60 %. Selon le chargé de communication de ladite structure, Tom Guèye, cela se justifierait, principalement, par deux facteurs. D’une part, l’hôpital ayant une vocation nationale, voire régionale, ses patients qui venaient de partout sont confrontés aux restrictions sur les déplacements entre régions. De plus, indique M. Guèye, il y a la désertion des ‘’malades ambulatoires’’. ‘’Ces derniers avaient l’habitude de venir pour des consultations ou d’autres motifs. Maintenant, ils fuient à cause du coronavirus. Seuls ceux qui ne peuvent pas ne pas venir continuent de fréquenter l’hôpital. Les autres attendent chez eux que les temps soient plus propices’’.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation inquiète de plus en plus les acteurs qui attendent une subvention de l’Etat pour ne pas succomber au coronavirus. Les conséquences, selon nos interlocuteurs, sont immédiates, du point de vue des recettes des établissements de santé déjà essoufflés par la Couverture maladie universelle.

Tom Guèye explique : ‘’Il faut savoir que les recettes des hôpitaux viennent essentiellement des subventions de l’Etat, mais aussi des ressources propres. La baisse de fréquentation va donc forcément entrainer des tensions de trésorerie. Il est illusoire de penser que cette crise va épargner les hôpitaux. Mais ces derniers peuvent compter sur l’Etat.’’

En fait, sur ressources propres, les établissements de santé ont, à leurs charges, les salaires de certains personnels contractuels ; ils paient certaines primes de motivation… Sans compter les besoins colossaux en investissements, équipements, consommables, réactifs… ‘’Avant même cette crise, précise Mandioba Seck, les hôpitaux étaient presque à terre, à cause de la CMU. Certains croulent sous le poids des dettes dues aux fournisseurs. Les choses ont empiré. Face à la baisse des recettes, les gens préfèrent payer des salaires plutôt que d’éponger des dettes aux fournisseurs. Telle est la dure réalité des structures de santé actuellement’’.

A en croire le syndicaliste, à Youssou Mbargane, la moitié du personnel est constituée d’agents de l’hôpital. Celui-ci leur paie leurs salaires ainsi que des motivations. ‘’S’il n’y a pas de recette, les hôpitaux vont avoir des problèmes à payer ces salaires et motivations. L’autre préoccupation est que l’hôpital travaille avec des fournisseurs qui lui livrent du matériel, des intrants… Là, on peine à les payer. Les gens préfèrent payer les salaires et c’est compréhensible’’. Interpellé, le directeur de la structure, M. Seck, affirme que la situation est sous contrôle, malgré une baisse drastique des recettes. Invoquant son obligation de réserve, il se refuse néanmoins à tout commentaire.

Pire au niveau des postes et centres de santé

Mais aussi difficile qu’elle soit au niveau des hôpitaux, la situation l’est encore plus pour les postes et centres de santé qui ne voient presque plus de malades. Déjà, les difficultés se font ressentir au niveau du personnel, qui peine même à se faire payer, à acheter le matériel le plus rudimentaire. Le secrétaire général des travailleurs des collectivités locales assure : ‘’C’est encore pire au niveau des postes de santé. Il faut savoir que leurs agents sont payés avec 25 % des recettes. S’il n’y a pas de recette, ils ne vont donc pas avoir de salaires et ça risque d’être très compliqué.’’

Et comme pour ne rien arranger, fait-il remarquer, ces agents ont également été laissés en rade dans la distribution de la motivation Covid allouée par le chef de l’Etat. ‘’Le président de la République, rappelle le syndicaliste, pour motiver les travailleurs de la santé, avait décidé de donner 50 000 F à tout le monde. Aujourd’hui, c’est dommage qu’on n’ait pas pris en compte les ASC (agents de santé communautaire) dans la distribution de cette prime. On a donné aux infirmiers-chefs de poste qui ont leurs salaires, en oubliant ces agents qui sont en première ligne et qui n’ont plus rien. C’est une injustice qu’il faut corriger’’.

Ces périls qui pèsent sur certains programmes vitaux

Dans la capitale du Baol, Diourbel, la situation n’est guère meilleure. Certains préfèrent souffrir en silence, plutôt que de se rendre dans les structures sanitaires, par crainte d’y choper le coronavirus. Et presque tous les programmes en souffrent. Et des acquis indéniables risquent d’être perdus, si rien n’est fait. Cet infirmier-chef de poste, sous l’anonymat, constate : ‘’Depuis que cette pandémie est apparue, les patients rechignent à fréquenter nos structures. La plupart de ceux-là qui souffrent de certaines pathologies comme le diabète, l’hypertension artérielle, etc., en un mot les maladies négligées, ne viennent plus. Même les relances par téléphone ne les font pas revenir sur leur décision.’’

Parmi les programmes qui souffrent le plus de la crise actuelle, il y a la Planification familiale, le Programme élargi de vaccination... Au centre de santé de Diourbel, plus connu sous le nom de dispensaire Sidy Guissé, les recettes ont radicalement baissé, depuis le début de la pandémie. Il en est ainsi des recettes générées par l’échographie, la maternité, le PEV… ‘’Elles ont drastiquement baissé. Comparée au dernier semestre de l’an 2019, la baisse se chiffre à environ 30 %’’, affirme le secrétaire exécutif, adjoint du comité de développement sanitaire dudit centre de santé.

Pour faire face à cette situation difficile, Mamadou Dioum réclame l’apurement des créances que leur doivent certains programmes comme la CMU. ‘’Si la CMU, qui nous doit 122 278 900 F pour les exercices 2017, 2018 et 2019, nous payait les 30 %, cela nous permettrait de souffler et de faire face à certaines dépenses. Si cela n’est pas fait, nous risquons de ne plus payer les salaires des agents contractuels qui sont au nombre de 56’’, plaide-t-il.

Selon lui, le centre n’a plus de réserves. ‘’Toutes nos réserves ont été utilisées. Nous n’avons plus de marges de sécurité. L’Etat doit, dans le cadre du financement de la Covid-19, penser à ces structures de santé’’, insiste-t-il.

A en croire cette sage-femme en service dans un poste de santé de brousse, les autorités sanitaires doivent tout faire pour que les programmes se poursuivent. Pour elle, il y a une vie après la Covid-19 et si rien n’est fait, certains acquis, en matière notamment de planification familiale où la région de Diourbel était classée parmi les dernières de la classe, pourraient s’écrouler comme un château de cartes. Il faut booster certains programmes avant qu’il ne soit trop tard’’, plaide la sage-femme d’Etat.

Boucar Aliou Diallo et Mor Amar

 

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