Publié le 5 Dec 2023 - 15:37
CRISE INSTITUTIONNELLE, TENTATIVE DE COUP D’ÉTAT

La Guinée-Bissau retombe dans ses travers 

 

Habituée à une instabilité chronique depuis son accession à l’indépendance en 1974, la Guinée-Bissau s’offre une nouvelle crise, après une tentative de coup d’État et la dissolution de l’Assemblée nationale par décret, hier.

 

Exactement deux jours se sont déroulés entre la fermeture du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique (27 et 28 novembre 2023) où le président Umaro Sissoco Embaló  avait envoyé son représentant et le moment où une ‘’tentative de coup d’État’’ a été dénoncée en Guinée-Bissau. Pendant plusieurs tours d’horloge, Geraldo Martins, Premier ministre de Guinée-Bissau, a écouté les présidents Macky Sall du Sénégal, Mohammed Ould Ghazouani de la Mauritanie et leurs invités discuter autour de ‘’L’Afrique des potentiels et des solutions face aux défis sécuritaires et à l’instabilité institutionnelle’’, et s’entendre sur l’impératif pour le continent de ‘’faire taire les armes et privilégier le dialogue’’.

Les suggestions des participants sont entrées dans l’oreille de sourds officiers bissau-guinéens qui ont tenté de renverser le pouvoir dans la nuit du jeudi au vendredi 1er décembre. Résultat : une crise institutionnelle est en cours avec la décision du président de la République  de dissoudre l'Assemblée nationale, trois mois seulement après son installation. Une décision prise à l'issue d’une réunion du Conseil d'État convoquée au palais présidentiel.

Complicité entre la  garde nationale et des politiques de l’opposition

"Après cette tentative de coup d'État menée par la garde nationale et devant les preuves fortes de l'existence de complicités politiques, le fonctionnement normal des institutions de la République est devenu impossible. Ces faits confirment l'existence d'une grave crise politique", s’est expliqué le président Embaló, dans un communiqué rendu public.

Alors que le président bissau-guinéen était à la 28e Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 28) à Dubaï, des tirs, nourris par intermittence, ont retenti une partie de la nuit et vendredi matin dans la capitale Bissau, entre les éléments de la garde nationale et les forces spéciales de la garde présidentielle, après l'extraction de deux membres du gouvernement des mains de la police, le ministre de l'Économie et des Finances, Souleiman Seidi, et le secrétaire d'État au Trésor public, Antonio Monteiro.

Selon des responsables de l'armée et du renseignement, les deux hommes avaient été convoqués jeudi matin par la justice, puis placés en garde à vue. Ils ont été interrogés pendant plusieurs heures par la police judiciaire à propos du retrait de dix millions de dollars des caisses de l'État.

Dans cette histoire, le président Embalo accuse le Parlement d'avoir "préféré défendre des membres de l'Exécutif soupçonnés d'actes de corruption portant gravement atteinte aux intérêts supérieurs de l'État" plutôt que de "lutter pour l'application rigoureuse de la loi (...) et d'exercer son rôle de contrôle des actes du gouvernement". Aussi, invoque-t-il une "complicité" entre la garde nationale et "certains intérêts politiques au sein même de l'appareil d'État".

Un système politique complexe

En juin dernier, les élections législatives ont été dominées par l’opposition bissau-guinéenne, grâce à la majorité absolue de la coalition constituée autour de l'historique Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Le président Embaló s’est retrouvé dans l’obligation de cohabiter avec le gouvernement.

La Guinée-Bissau fonctionne avec un système politique semi-présidentiel particulier. Le président de la République est le chef de l’État, le Premier ministre est le chef du gouvernement. Le pouvoir Exécutif est exercé par le gouvernement, tandis que le pouvoir Législatif est partagé entre le gouvernement et l’Assemblée nationale populaire.

La garde nationale relève essentiellement du ministère de l'Intérieur, donc du gouvernement, lui-même émanation du Parlement dominé par l'opposition. Le parquet, qui a ordonné l'interpellation des deux membres du gouvernement, dépend de la présidence.

L’opposition accuse le président Embaló

Dans son décret de dissolution de l'Assemblée nationale, le président dénonce également la "passivité du gouvernement" face aux événements, en assurant que le but de la garde nationale, en cherchant à libérer les deux membres du gouvernement, était d'entraver les investigations diligentées par le parquet.

Pendant ce temps, l’opposition accuse le président de la République de saisir cette occasion pour se débarrasser d’un Parlement qu’il ne contrôle pas. D’ailleurs, le président de l’Assemblée nationale, Domingos Simoes Pereira, a déclaré que la décision prise par le président Embaló n’avait aucune légitimité, puisque la Constitution interdit la dissolution du Parlement avant six mois d’exercice.

Alors que cette nouvelle crise institutionnelle se précise, le président a annoncé qu’une ‘’date des prochaines élections législatives sera fixée le moment opportun, conformément aux dispositions (...) de la Constitution".

Lamine Diouf (Avec AFP)

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