Publié le 10 May 2023 - 05:36
DICK MAWUTO, PROMOTEUR TOGOVILLE JAZZ

“Quand on fait certains sacrifices… ”

 

Depuis neuf ans, le producteur et propriétaire de l’espace Level à Lomé, Dick Mawuto, organise un festival de jazz. Cette année, il s’est tenu sur 12 jours et Togoville jazz a reçu des artistes d’univers musicaux divers. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’ en marge du festival, il est revenu sur comment a vu le jour cette initiative qui arrive à maturation, mais a également partagé les perspectives de ce rendez-vous annuel.

 

Comment est né le festival Togoville jazz qui est à sa 9e édition ?

Ce festival est parti de plusieurs idées, de plusieurs envies, parce qu’en réalité, avant d’aller sur le festival de jazz, on fêtait déjà la Journée internationale du jazz avec d’autres collaborateurs, d’autres amis. Au-delà de cela, je suis ingénieur de son à la base. J’ai pris part à plusieurs festivals à travers le monde avec divers collègues. Mais après chaque rencontre, on me demandait quand j’allais les inviter chez moi au Togo. Mes collègues me disaient : chaque année, on se rencontre à des évènements, mais vous ne nous invitez pas à Lomé. 

Donc, cette problématique, en plus de la journée du jazz qui se tient sur un jour, a suscité pas mal d’interrogations et voilà, ça nous a finalement conduit à nous dire qu’il y a la nécessité de monter un festival. La journée du jazz célébrée au mois d’avril est fêtée sur une seule journée, mais dans la programmation est intéressante pour le public parce qu’on a commencé à une époque où il n’y avait presque plus de concerts live. C’était les concerts playback qui étaient en vue. Donc, le fait que nous programmions généralement des concerts live  avait donné de l’ampleur à l'évènement. Et on s’est alors dit pourquoi ne pas monter un festival et surtout que dans nos envies, il y avait l’idée d’initier des ateliers de formation.

Moi, je m’estime  chanceux, parce que j’ai travaillé pendant quelques années à l’Institut français du Togo. A l’époque, on l’appelait Centre culturel français du Togo et j’ai eu la chance d’être envoyé en France pour une formation en technique de sonorisation. Malheureusement, mes frères au Togo  apprennent sur le tard et donc pour moi, il était  essentiel d’essayer, d’amener les métiers de la scène pour qu’à côté d’un festival, on puisse  se former également. Tout cela réuni  a finalement donné Togoville jazz.

Pourquoi un festival de jazz spécifiquement ?

J’ai choisi le jazz, parce qu'on avait l’habitude de célébrer le Jazzday le 30 avril. Je voulais offrir aux jeunes la chance de pouvoir se faire former. En outre, étant un vrai amoureux de la musique live, il est sans dire que le jazz est une école en lui-même. Si on veut former des jeunes dans la musique, il n’y a pas mieux que cette musique.  Ne fait pas le jazz qui veut. Celui qui pratique ce genre est quelqu’un qui connaît plus ou moins les rudiments de la musique.

Pourquoi le nom Togoville, sachant que c’est le nom d’une bourgade du pays, mais le festival ne s’y passe pas ?

On a choisi Togoville parce que suivant le parcours de festival qu’on a fait, généralement, les noms des festivals de jazz, il porte le nom d’une ville. La ville dans laquelle ça se tient essentiellement. Nous avons du jazz à Ouaga qui se tient à Ouagadougou, Jazz à Vienne qui se tient à Vienne, Jazz à Paris qui se tient à Paris, Marseille jazz festival qui se tient à Marseille, etc. On s’est demandé s’il y a une règle qui régit cette manière de faire. On s’est rendu compte que non. Il n’y a  aucune règle dans ce sens. Cela se fait juste comme ça. On a pensé au début l’appeler Lomé jazz festival, mais ça ne sonne pas très bien. Après, on s’est dit que le Togo est un petit pays avec plusieurs villes et l’idée est de parcourir tout le pays. Par conséquent, si on choisissait l’un des noms de ville, cela ne représenterait pas tout le pays. Soudain, l’on s’est rappelé  que le nom même du pays Togo vient d’une cité, Togoville. Ce nom Togoville n’est pas le nom originel. Quand les Allemands sont arrivés, il y avait Togo State (la ville du Togo) et quand les Allemands ont cédé la place aux Français, ils l’ont appelée Togoville. On a voulu replacer l’histoire. C’est la cité Togoua qui a donné le nom au pays, aujourd'hui Togo. Il y a un monument qui symbolise l’amitié germano-togolaise. Ce monument a été érigé il y a 100 ans. Le traité de protectorat du Togo a été signé par le roi de Togoville.

Voilà autant de concours de circonstances historiques qui font qu'on s’est dit que Togoville est chargée d’histoire et c’est une cité qui, aujourd’hui, garde encore quelques traces de notre passé. Il y a beaucoup de vestiges et c’est la seule ville où nous avons encore un marché au troc.

Pour toutes ces raisons,  on s’est dit qu’en choisissant de donner le nom de notre festival à Togoville, c’est tout le Togo qu’on met en avant.

Le festival est tournant et accueilli dans divers espaces. Pourquoi ce choix ?

Je considère que plus on est nombreux, plus on est fort. Togoville jazz n’a pas été imaginé pour ma personne. Je veux que tout le monde puisse s’approprier ce festival et qu’on puisse le célébrer ensemble. Et pour donner goût aux gens, il faut donner l’exemple. Oui, c’est vrai que j’ai un espace qui peut accueillir les spectacles, mais sur les 12 jours de spectacle, on a accueilli un seul concert. L’idée, c’est vraiment de partager ce festival avec tout le public, avec tous les opérateurs culturels de la place. On va même au-delà du Togo et on a un partenaire béninois qui accueille un jour de spectacle à Cotonou. Il s'agit d’Africa Sound City dont le propriétaire est aussi musicien et  va jouer le même jour à Lomé. C’est pour montrer qu’en fait, on est capable d’être ensemble si on le veut et de porter ensemble un projet.

Pour cette 9e édition, la programmation est faite suivant des thématiques. Pourquoi ce choix de faire jouer le même soir les artistes qui évoluent dans le même univers musical ?

Nous avons essayé de croiser les artistes parce qu'en réalité, les artistes viennent certes de pays différents, d’horizons divers, mais portent les mêmes valeurs, font la même musique. Voilà le message qu’on tenait à faire passer à travers leurs prestations. Yao qui fait du slam sur fond de rock et r’n’b et qui vient du Canada, a partagé la scène avec Arkane qui fait du rock. Vaudou Game a joué après Hortense Nayo est dans le même registre que cette dernière.  Ils font une musique identitaire. Quand on prend Vincent Peirani et Émile Parisien qui font partie de la crème du jazz à Paris et on les fait jouer le même soir que Foly Nédy qui représente une partie de ce qui se fait de mieux de la musique classique et lyrique au Togo, c’est pour montrer que de part et d’autre des continents, nous avons quand même les mêmes affinités et les mêmes valeurs à partager, surtout la même musique. 

Dix ans ! C'est particulier dans la vie d’un festival. Comment sera la prochaine édition ?

Je ne me repose pas. On me le reproche souvent. Je suis déjà en train de travailler sur la prochaine édition. J’ai plusieurs obligations. Donc, je me concentre sur l’essentiel. En suivant cette 9e édition, mon équipe et moi sommes en train de tracer déjà les grandes lignes pour qu'on puisse rebondir rapidement et ne pas avoir hésité après.

Ainsi, il est prévu de tenir la prochaine édition du 10 au 14 avril 2024. Contrairement à cette 9e édition qui a duré  12 jours, la prochaine édition se tiendra sur cinq jours. Heureusement où malheureusement, c’est peut-être symbolique oui, c’est la 10e et c’est cinq jours. Ça n’a pas été calculé, mais Dieu a fait que cela se fera ainsi et cinq  est un dividende du chiffre 10.

On peut savoir sur qui repose Togoville jazz ?

Togoville jazz repose essentiellement sur l’entreprise Level Production. C’est une entreprise unipersonnelle, pour le simple fait que nous avons essayé dès le départ d’être en association. Les deux premières éditions, ça n’a pas marché et la troisième édition, je me suis dit c’est peut-être égoïste, mais j’y vais en entreprise individuelle et je porte le projet tout seul. Je me disais que si quelqu’un comprend le projet, il me rejoindrait et on va marcher ensemble, parce que les débuts étaient difficiles et il fallait beaucoup de sacrifices et tout le monde n’était pas prêt à ça. Il nous a fallu brader nos biens, des voitures pour payer des dettes au début de ce festival. Et quand on fait ce genre de sacrifice, à un moment donné, on se sent suffisamment responsable et proche de notre projet à tel point que c’est comme un bébé.

De la même manière que j’ai la facilité de partager ça avec les gens, de la manière que j’arrive à le protéger pour que ce bébé grandisse et que à l’image de Saint-Louis jazz festival, Jazz à Ouaga, Jazz à Vienne, Jazz à Ouaga qui ont traversé le temps, faire durer Togoville jazz. C’est peut-être curieux, mais les festivals qui ont traversé le temps sont des festivals de jazz. Et pour nous, il est essentiel que le Togo puisse s’illustrer dans ce sens-là et porter un festival qui devienne un rendez-vous international, sinon continental pour tous les ans, Lomé ou le Togo devienne une destination.

Il y a eu un débat sur le mécanisme des financements des industries culturelles et créatives.  Beaucoup pensent qu’il est nécessaire, pour les acteurs, de se regrouper pour capter des fonds. Pensez-vous que cela s’impose ?

Oui, carrément !  En fait, c’est ce qui fait qu’on organise ce genre de rencontre. Je suis chanceux de côtoyer des personnalités qui me permettent de savoir ce qui se passe. On sait aujourd’hui qu’il est plus que nécessaire de travailler en synergie que de rester dans son coin. Aujourd’hui, les financements qui sont disponibles appellent à ce qu'il y ait plusieurs collaborations entre plusieurs structures pour porter un projet, être financé. Aujourd’hui, l’idée n’est plus de financer un projet ou un acteur culturel travaillant seul ou qui fait des évènements qui n’ont aucun impact. Les financements qui sont disponibles aujourd’hui sont pour ceux qui sont arrivés à se mettre en groupe pour porter un gros projet. Ainsi, on peut véritablement voir l’impact de ce projet.

Propos recueillis par B. BOB, transcris par Diana DIA (STAGIAIRE)

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