Publié le 17 Jun 2015 - 23:26
DÉMINAGE HUMANITAIRE EN CASAMANCE

Les négociations et les opérations toujours au point mort

 

Entamé en 20O8, le déminage humanitaire en Casamance s’est arrêté net, depuis l’enlèvement des démineurs de l’opérateur Sud Africain Méchem. Les négociations très avancées qui ont suivi pour une poursuite des opérations de dépollution de la Casamance n’ont rien donné.

 

Depuis le vendredi 03 mai 2013, date à laquelle 12 démineurs de la société Méchem, qui opéraient sur le site de Kaïlou à une vingtaine de kilomètres de Ziguinchor dans l’arrondissement de Nyassia, ont été enlevés par des hommes de César Atoute Badiate au motif que ces derniers ont, dans cette zone, franchi  la « ligne rouge », les opérations de déminage en Casamance ont été suspendues. Seule une zone située le long de la Route Nationale 06 (RN6) en cours de réhabilitation a fait l’objet d’un agrément entre le Front Sud et l’Etat. Cet agrément a ainsi permis à l’opérateur de déminage MECHEM de procéder à des enquêtes techniques - étape du déminage humanitaire qui consiste à  détecter, à l’aide d’outils techniques,  la présence ou non de mines pour ensuite procéder à leur enlèvement/destruction - afin de sécuriser des carrières et des dalots de ce projet.

 Au début de l’année 2015, le Front Sud a montré des signes de détente par rapport à son opposition au déminage dans certaines zones qui accueillent le retour de réfugiés. En effet, suite à un mouvement massif ou à une volonté exprimée de retour de populations dans des villages abandonnés, depuis plusieurs années, des négociations ont été entamées entre le MFDC et les représentants des communautés pour que les opérations dans ces zones  fortement impactées par la présence de mines se poursuivent. Etaient concernés au moins 7 villages et une piste dans la zone comprise entre le sud de Nyassia et la frontière bissau guinéenne. « Les acteurs concernés par le déminage (opérateurs et sociétés civiles) ont suivi  avec beaucoup d’intérêt ces négociations entre les deux parties. « Les avancées positives de ces pourparlers avaient même conduit à des propositions d’élaboration de stratégies de relance des opérations de déminage dans la zone concernée, en concertation avec le Front Sud. Cette stratégie s’insérait dans le sens de la reprise de  l’Assistance humanitaire de l’Etat aux populations réinstallées dans leurs villages », informe une  source  proche du dossier.

César Atoute était ouvert aux négociations

Selon une  source proche du « Front Sud », le MFDC ne s’opposait pas à cette dynamique de reprise de ces activités humanitaires et considérait même cette initiative comme bénéfique pour les populations. « César Atoute Badiate était ouvert à  la reprise d’un déminage, mais de façon concertée et planifiée. Cependant, tout accord en faveur de cette dépollution ne pouvait se faire que si ses combattants présents dans la zone en question n’y trouvaient pas d’inconvénients. Un village dont la situation se présentait comme favorable à la reprise d’activités de déminage dans le secteur avait même été pressenti. Cette localité devait être une sorte de zone test, préalable à un retour à la normale de la poursuite du  déminage et ce, à la demande des communautés de l’arrondissement de Nyassia dont des représentants se sont constitués en groupe de négociation »,  précise notre source.

A la lumière des signes de très  bonne volonté exprimés  par le « Front Sud », au cours des négociations avec ces communautés, tous les observateurs attendaient la conclusion imminente d’un accord  pour la reprise du déminage. Malheureusement, cette dynamique positive a brusquement été interrompue par  les événements survenus le 12 avril dernier  à Emaï (Oussouye) entre l’armée et les combattants du Front Sud. Depuis lors, ces négociations ont connu un coup d’arrêt, en attendant que la situation, devenue subitement tendue, se décante. « Les négociations sont au point mort. Il faut observer un temps d’arrêt pour apaiser les esprits et revenir à une situation favorable à la reprise du processus qui était bien engagé », souligne notre interlocuteur.

Le déminage est au ralenti, selon le CNAMS

Selon le directeur du Centre National d’Action Anti-mines du Sénégal (CNAMS), les opérations de déminage en Casamance ne sont pas au point mort. « Le déminage est un message fort de l’Etat qui signifie qu’il faut tourner la page de la violence et se retourner vers le bien-être des populations. Pour cela, il faut éviter de heurter les consciences et œuvrer dans le sens de la consolidation de  la paix. On n’a jamais été aussi proche de la paix. Un déminage humanitaire requiert l’accord de toutes les parties, mais également, il faut que la sécurité des démineurs soit assurée. Le déminage n’est pas au point mort. Il est au ralenti, parce que l’action anti-mines se poursuit sur le terrain. Méchem était sur le long de la RN6 et dans les villages adossés à la route », explique Barham Thiam.

Cet avis du directeur du CNAMS n’est pas partagé par l’Association Sénégalaise des Victimes de Mines. Selon Mamady Gassama, en charge de l’administration et des finances de la structure, aucun opérateur de déminage n’est sur le terrain. « Il n’y a plus d’enquêtes techniques ou non techniques, ni d’activités concrètes de déminage sur le terrain », dit-il, non sans déplorer la situation actuelle du déminage en Casamance. Ce constat est confirmé par Méchem dont les opérations, pour rappel, ont cessé depuis le 22 novembre 2014. « Nous voulons une Casamance sans mines. Le gouvernement doit faire de la problématique du déminage une priorité pour que les populations retournent au bercail et mènent des activités génératrices de revenus. Le Casamançais ne savait pas tendre la main. Mais aujourd’hui, partout, au niveau des stations, dans les rues, tout comme dans les marchés, on le voit quémander », regrette Emile Sambou, le porte-parole des démineurs enlevés le 03 mai 2013 à Kaïlou, en chômage depuis, comme la plupart des démineurs.

Plus de 70 villages disparus de la carte nationale

 Selon Demba Keita de l’Ong APRAN, ce sont plus de 70 villages qui ont disparu de la carte nationale. « Tant qu’on laisse en rade une bonne partie des populations, exclues de fait du Projet Pôle de Développement de la Casamance (PPDC) et du Plan Sénégal Emergent (PSE), parce que simplement leurs villages sont suspects de la présence des mines, on ne peut pas s’attendre à ce que les ambitions de l’Etat en matière de sécurité alimentaire et de développement soient atteints ». A l’en croire, son Ong, suite à  une demande forte des populations, compte dérouler, sur 3000 hectares, dans les départements de Ziguinchor, Sédhiou et Bignona, un projet agricole dans les filières de l’agro-industrie (papaye) et dans la production de biocarburants et de produits pharmaceutiques (ricin).

« Nous avons saisi le CNAMS, car certaines zones (dans le Sindian et le balantacounda) concernées notamment par le projet n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes techniques ou non techniques ou sont suspectes. Mais le centre ne dispose pas de ressources pour financer ses activités », souligne M. Keita. Il est d’avis que le MFDC et l’Etat doivent faire des efforts pour que ces populations, à l’image de tous les Sénégalais, se mettent au travail et profitent des opportunités qu’offrent le PPDC et le PSE. Pour Mamady Gassama de l’ASVM, il faut « dissocier la recherche de la paix, du déminage et s’inscrire dans une logique de convaincre les bailleurs à soutenir le processus de dépollution des mines en Casamance. Mieux, l’ASVM estime que la problématique de déminage doit figurer en bonne place au menu de la rencontre des Bailleurs de Fonds prévue pour la Casamance.

En attendant que le processus du déminage reprenne son cours normal, une grande frange de la population du sud du pays, privée de l’accès à leurs terres, se précarise davantage, se sent oubliée et exclue de la contribution nationale pour un Sénégal émergent. Quant au danger et au risque des mines, il demeure omniprésent et hypothèque, jour après jour, toute perspective de relance économique et sociale en Casamance.

HUBERT SAGNA (CORRESPONDANT)

Section: