Publié le 18 Feb 2013 - 08:00
EL HADJI ALIOUNE CAMARA, ENSEIGNANT-CHERCHEUR (UNIVERSITÉ DE THIÈS ET CRES)

''Le cours mondial du blé va continuer sa progression haussière''

Selon El Hadj Alioune Camara, chercheur au Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres), si la tendance haussière du blé continue, les meuneries seront obligées de réduire leur main-d’œuvre ou disparaître du marché.

 

Quelle analyse faites-vous du problème entre boulangers et meuniers, suite à la hausse du cours mondial du blé ?

 

Que chacun cherche son intérêt ceci est normal, cela correspond au libre jeu du marché. Il n'y a aucune contradiction dans cette démarche, chaque entrepreneur se lance librement dans les échanges dans le but d’améliorer sa propre situation économique, leurs différentes actions étant coordonnées de manière invisible par le système des prix et les marchés. Quand les économistes parlent du marché, ils utilisent souvent l'expression ''Non pas le chaos, mais un ordre économique'' ; c’est un système doté de sa propre logique interne, et il fonctionne. Cependant, bien que les mécanismes du marché soient un moyen admirable pour produire et allouer des biens, il arrive que des carences du marché entraînent des déficiences dans les résultats économiques (l’inflation). L’État peut intervenir afin de remédier à ces carences.

 

Sur la base de la structure des prix, l’État a décidé de maintenir le prix du sac de farine à 20 000 F Cfa. Quelles peuvent être les conséquences pour les meuniers, eu égard à la flambée des prix du blé ?

 

Bien que l’État du Sénégal ait pour objectif de satisfaire la demande sociale qui est une forte promesse de campagne du président, je ne crois pas que la solution soit de préfixer le prix du sac de farine. La raison est toute simple, le Sénégal ne maîtrise pas le cours mondial du blé et donc ne peut en aucune manière influer sur celui-ci. Ainsi la question est comment faire lorsque le cours mondial du blé atteint un pic, à savoir un niveau insoutenable (ou l’inverse) ? Selon les prévisions du ministère de l’agriculture australien, au regard des dégâts de la sécheresse, leur prévision de production de blé 2012-2013 devrait connaître une baisse de 26% par rapport à 2011-2012. Durant ces quarante dernières années, l’Australie, qui est le deuxième pays exportateur de blé au monde, a connu une série de sécheresses et cherche des substituts comme le blé génétiquement modifié. A cela il faut ajouter le fait que la Russie, qui représente 6% de la production mondiale et cinquième producteur mondial, veut limiter au maximum ses exportations dans le but de reconstituer ses stocks. Pour cela, il a instauré une taxe de 40% sur les exportations. Tout ceci nous permet de penser que le cours mondial du blé ne va pas connaître de baisse dans un avenir proche. La conséquence pour les meuniers, si cette tendance haussière du cours mondial du blé se précise, est qu’ils seront obligés de jouer sur les autres coûts (réduction main-d’œuvre) ou disparaître du marché.

 

Combien de temps faudrait-t-il pour qu’un produit secondaire soit affecté par une hausse du cours mondial ? Par exemple le rapport du blé et la farine...

 

Le marché du blé est un marché à terme, donc tout dépend du stock de précaution. Par conséquent, si les stocks sont faibles alors l’impact est instantané, s’ils sont par contre importants, il ne devrait pas y avoir de choc.

 

Quel peut-être le ratio entre la hausse de la tonne de blé et celle du sac de farine ?

 

Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte tous les coûts du meunier, à savoir le prix à l’import du blé, les coûts de transport, les taxes à l’importation, l’électricité et l’amortissement des machines. Par conséquent, ce ratio dépend de la taille de l’entreprise, ce qui veut dire qu’il n’est pas uniforme pour nos meuniers, ce serait donc une erreur que de raisonner sur cette base.

 

Le marché des céréales restent nerveux en raison des mauvaises conditions climatiques dans les pays producteurs comme les États-Unis et la Russie. Est-ce ce qui a suscité l’inquiétude des meuniers au Sénégal ?

 

Je ne crois pas à cette thèse pour deux raisons : la première est que la demande de blé est inélastique aux prix et le prix du blé est très corrélé aux prix des autres céréales ; la deuxième raison est que les meuniers suivent l’historique du cours du blé sur le marché mondial qui est un marché à terme. Par conséquent si, sur la base des informations qu’ils ont (politique économique, inondation ou sécheresse), ils anticipent pour 2013 une hausse du cours de celui-ci, je suppose qu’ils vont constituer des stocks en 2012 pour se prémunir contre ces chocs.

 

Les meuniers demandent des mesures d’accompagnement pour soutenir la hausse des prix du blé, sur quel levier l’État peut-il s’appuyer pour soutenir les boulanger ?

 

Je pense que sur cela l’État a un éventail de leviers sur lesquels il peut jouer : subventionner le prix du blé ou agir sur les autres coûts, à savoir le prix de l’électricité, de l’eau, sachant qu’on peut avoir un effet de contamination. En effet, les autres secteurs risquent de demander les mêmes avantages. Cependant, je pense qu’il faut mettre en place une politique nationale de stock, si nous avons l’ambition de continuer à importer du blé du fait des tensions sur le marché. Pour cela, l’État, sur la base de partenariat avec des pays producteurs de blé comme le Maroc ou le Brésil, doit essayer de bénéficier de leurs expériences pour produire, au Sénégal, du blé pour pouvoir être en mesure de constituer des stocks. L’autre solution, c’est la création d’une caisse de stabilisation du blé. Il s’agira pour l’État d’acheter du blé sur le marché, quand le prix est favorable et qu’il va ensuite stocker.

 

Quelle alternative pour éviter cette dépendance au cours mondial du blé ?

 

Pour plusieurs raisons évoquées plus haut, le cours mondial du blé va continuer sa progression haussière. Ainsi, on ne peut pas continuer à manger du pain à base de blé car cela n’est pas soutenable dans le long terme. Par conséquent, la seule alternative reste un substitut du blé, à savoir le mil ou le maïs. Nous avons la chance d’être un grand producteur de mil, je pense que les autorités devraient mener une politique allant dans ce sens, en incitant les Sénégalais à changer leurs comportements alimentaires. Dans cette quête, je pense que l’ITA peut être un atout en informant le public sur les avantages comparatifs du mil par exemple par rapport au blé.

 

Pierre Birahim DIOH

 

 

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