Publié le 9 Jan 2018 - 23:09
EN PRIVE AVEC FAADA FREDDY (ARTISTE COMPOSITEUR)

‘’Gospel Journey’’ est ma contribution au dialogue islamo-chrétien’’

 

Faada Freddy est tout excité. Il semble souffrir de la fièvre des débutants. Il a le sourire aux lèvres et paraît impatient d’être aux concerts des 12 et 13 de ce mois au Pullman et au Grand Théâtre. Deux manifestations qui vont clôturer la tournée internationale de cet artiste. Dans cet entretien accordé hier à ‘’EnQuête’’, le porte-étendard du groupe Daradji parle de sa carrière solo, mais surtout du gospel, un genre musical qu’il a fini d’adopter.

 

‘’Gospel Journey’’ est sorti en 2015. Pourquoi avoir attendu trois ans avant de venir le présenter aux Sénégalais ?

Pour deux raisons, notamment. La première est que j’avais beaucoup de dates sur l’international. La deuxième raison, qui est d’ordre stratégique, est que je voulais d’abord laisser mon pays comprendre ce que je fais. Il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de wolof dans l’album. Par souci d’être compris, j’ai commencé ma tournée avec le public qui a été le premier à adopter ce type de musique. J’ai pu savoir c’était qui et qui, grâce aux ventes. J’ai sorti l’album en France et au Sénégal. Ici, peu de gens étaient au courant de sa disponibilité. Et certains de ceux qui le savaient disaient que je suis sorti de Daara J. D’autres, autre chose. En fait, il n’y avait pas mal de choses dites et qui pouvaient très vite virer aux polémiques. Du coup, je me suis dit qu’il était mieux que je continue à faire la promotion de cet album à l’étranger jusqu’à ce que je sois compris. Après cela, je pourrais appeler tout le monde et faire des dates au Sénégal. J’avais également envie de boucler ma tournée au Sénégal. J’avais envie de parcourir le monde, de faire cet album-là, de le donner aux autres pays et de leur dire : ‘’Vous l’avez découvert, maintenant je retourne chez moi.’’

Ainsi, je reviens d’où je viens pour y faire mon concert de clôture. J’avais cette idée en tête et soutenu en cela par Ndongo et mes amis. C’est pour cela qu’aujourd’hui, au lieu d’arrêter définitivement la tournée, je fais une dernière date au Sénégal, et continuer après de temps en temps à faire des concerts privés.

N’est-ce pas un risque, après un franc succès partout, de voir le public ne pas répondre comme ce fut le cas ailleurs, alors que ce doit être un boom à Dakar ?

Cela ne me fait absolument pas peur. Du tout même, parce que je suis tellement excité à l’idée de voir mes musiciens venir ici. Me dire que je le fais pour le Sénégal fait que je n’ai pas du tout peur. L’amour est plus fort que la peur. Et puis je n’ai absolument rien à perdre à organiser quelque chose dans mon pays. Ce n’est pas une question d’argent. J’y ai moi-même mis mes propres finances pour que ça avance. La cause pour laquelle je tiens à faire ces concerts me tient vraiment à cœur. Je veux donner une partie des recettes aux enfants sans abri du Village pilote. Je sais pourquoi je suis là, pourquoi je me bats parce qu’il n’y a rien de négatif dans ce projet. Il n’y a que du positif, du bon. Pour moi, on ne reçoit que ce qu’on donne. Tout ce que je donne au Sénégal, c’est de l’amour et je n’espère pas autre chose que cela en retour. J’aime mon pays, j’aime les Sénégalais et je sais que les Sénégalais m’aiment. Je n’ai aucun doute là-dessus et cela quel que soit ce qui va arriver vendredi et samedi. Cela ne va changer en rien ma vision amoureuse de mon pays.

Pourquoi du gospel, quand on sait que c’est une musique à connotation religieuse et que vous, vous êtes musulman et disciple de Baye Niass ?

Ce n’est pas un choix ordinaire, effectivement. Ce n’est pas anodin. La première des raisons est que j’ai voulu faire une sorte de clin d’œil au dialogue islamo-chrétien. La deuxième explication est typiquement technique avec une dose de nostalgie. Quand j’étais en France, je me tapais sur la poitrine et les joues ainsi que dans les mains, parce que je ne savais jouer aucun instrument, si ce n’est faire des sons avec mon corps.

Le gospel est une musique qui met en symbiose l’utilisation de la voix et quand on est en transe, dans le gospel, on tape des pieds et des mains. Pour moi, c’est quelque chose dont j’avais besoin de faire sortir dans ma musique. Le défi était de faire de la musique organique, de la ‘’musique bio’’ entre guillemets. C’était d’ailleurs cela le troisième challenge. Je me suis dit que j’allais le faire et depuis c’est sans regret. Le plus dur, c’était de pouvoir faire de la musique qui ressemblait à du ‘’Power’’ (Ndlr : power pop, genre musical inspiré du pop et du rock) avec juste des claquements de doigts et arriver à la mettre sur des scènes de 70, voire 80 mille personnes. C’était l’un des défis également. Mon ingénieur du son, Antoine, a trouvé l’astuce pour amplifier les percussions corporelles. Depuis, je ne me suis pas arrêté. Ça va du Zenith à des scènes de 80 mille personnes.

N’y a-t-il pas de références hip-hop dans ce choix artistique, parce que, par moments, vous semblez faire du steppin ?

Effectivement, il y a le steppin dont je suis adepte. Il y a aussi le beatbox dont je suis adepte. C’est Ndongo qui m’a appris à faire du beatbox. Après, j’ai continué à travailler cela, notamment les bruits de sons électroniques à travers la projection de la voix. Aujourd’hui, ça m’amène à continuer à faire de la musique, de la percussion corporelle et du beatbox, et aussi à l’enseigner dans des écoles de musique françaises ou dans des programmes d’atelier musical.

Le gospel était une révolte musicale contre une Amérique raciste. Est-ce pour revendiquer ce legs que vous vous habillez tel un dandy ?

Oui, effectivement, vous avez vu juste. C’est aussi une révolution. C’est celle des opprimés noirs. Quand, à un moment donné, ils savaient qu’ils avaient le droit de s’habiller comme ils voulaient et de s’habiller comme ceux qui se prenaient pour leurs ‘’maîtres’’, qu’ils pouvaient être plus chics, plus dandy, porter des chapeaux melons, ils l’ont fait. Je suis marqué par cette ère là. Je m’habille ainsi parce que j’aime bien rappeler l’histoire dans un monde où nous sommes acculés dans tous les sens par un lavage de cerveau médiatique. A travers Internet, on reçoit des influences de partout, positives et négatives, qui nous font des fois oublier les racines et qui nous font même oublier l’histoire. Pour moi, il est important de revenir aux sources. La musique que je fais, comme le style musical adopté dans cet album, est un rappel contre l’oubli de l’histoire. Pour moi, c’est comme fermer les portes de Gorée. C’est quelque chose que l’on ne doit pas faire. Gorée doit être là. Nous devons la visiter, nous rappeler de ce qui s’est passé, non pas pour juger, mais pour savoir d’où nous venons afin de mieux appréhender notre futur.

Dans ‘’Gospel Journey’’, il y a des reprises comme ‘’Truth’’ d’Alexander Eber. Comment ont été faits les choix des tubes à reprendre ?

Les choix se sont faits suivant des feelings. Il y a des artistes que j’aime et dont j’avais envie de chanter sur leur musique, sauf que pour certains c’était des musiques très metal (Ndlr : heavy metal, un genre musical se caractérisant par la dominance de la guitare et de la batterie, ainsi que par une rythmique puissante) ou rock. Ce sont des musiques avec une connotation très électrique, très agressive. Ce que je fais, quand je veux reprendre des musiques comme ça, c’est y mettre un rythme plus lent et de l’harmonie. Cela me permet de montrer que toutes les musiques se valent et qu’il faut écouter tous les types de musique, parce qu’il y a toujours quelque chose à apprendre.

Même quand on croit qu’un artiste chante faux, il y a quelque chose à apprendre de lui. Je suis un passionné de la voix. Je suis un passionné des musiques, même de celles qui semblent les plus anodines ou les plus polyphoniques. Cela m’interpelle. Ce qui m’intéresse dans la musique est la dimension spirituelle. Le rôle des notes qui sont des ondes dans la résonnance en l’être humain. Que ce soit chez les chamans avec leurs voix ou les pygmées, pour être en contact avec la nature. Que ce soit chez Yandé Codou Sène ou à travers même le ‘’ndeup’’ (Ndlr : séance d’exorcisme) ou encore chez le soufi, dans le zikr. Tout cela m’intéresse et m’interpelle. Je crois que le chant, la musique est un moyen d’entrer en contact avec l’univers.

‘’Il faut qu’on bosse. Je ne parle pas de produire une musique mondiale, mais de nous ouvrir davantage, de rendre notre univers compréhensible’’, confiez-vous à ‘’Jeune Afrique’’ en donnant votre avis sur la musique sénégalaise. Que voulez-vous dire par là ?

Nous avons une musique qui est à base de 6-8. Ce qui est important est de faire comprendre aux autres où se trouve le 1. Parce qu’en fait, dans notre musique, nous avons des saccades. C’est ce qu’on appelle ici ‘’ndaatsaay’’. Il faut être initié pour comprendre cela. Quand on déploie notre musique, les autres qui sont avec nous ne savent pas où se trouvent le 1. Ils ont envie de danser avec nous parce qu’ils sont passionnés par nos pas de danse, mais ils ne se retrouvent pas. Ils ont donc envie d’intégrer notre musique, mais ils sont bloqués parce qu’ils ne la comprennent pas. Pour moi, l’astuce serait de garder l’authenticité de notre musique, parce que quand j’écoute Médina Sabax, je comprends la racine de la musique sénégalaise qui est une musique que je comprends très, très bien. Pour moi, tout le monde peut l’écouter. Ce sur quoi on devrait peut-être réfléchir aujourd’hui, c’est comment simplifier la base musicale et créer après nos saccades dessus.

Je vois que Youssou Ndour et d’autres artistes sont en train de faire des efforts dans ce sens. Ils sont même en train de créer une vibe qu’on appelle ‘’afro-mbalax’’. Et ça passe. Maintenant, le risque, avec l’afro-mbalax, serait de s’éloigner un peu plus de ce que l’on fait. Mais il y a un juste milieu à gérer pour que la musique sénégalaise soit mieux adoptée et que nous puissions aussi mieux représenter notre musique. Tout en sachant que, de notre côté, nous pouvons garder le ‘’ngoyaan’’ qui est pour moi la musique la plus compréhensible du Sénégal ou de tout ce qui est wolof. Nous avons des richesses musicales non encore exploitées. Il y a la musique sérère, celle des Balantes. Il y a de la simplicité dans ces musiques-là qu’il faut aller chercher. Je pense qu’une recherche à travers notre propre culture nous aidera à comprendre qui nous sommes et comment faire le mélange pour avoir une musique qui nous reflète le mieux. Il y a des influences sérères comme les ‘’dioum dioum’’ du Sine dans le ‘’mbalax’’.

Cependant, c’est l’impression que j’ai, tout ce qui est musique du sud du Sénégal, notamment le ‘’bugarabu’’, est un peu délaissé, alors que c’est une musique à deux temps qui est très condensée (Ndlr : il imite le son avec sa bouche et en tapant un peu des mains). Elle est tellement simple et peut nous amener à être mieux compris par l’international.

Un mot pour les 30 ans du hip-hop…

Oui (crie-t-il sur un ton joyeux) ! Tout le monde sait que le hip-hop a été d’abord une musique à message, de la conscience, de l’élévation. C’est la musique de Cheikh Anta Diop, de Boucounta. Parce que quand on écoute Boucounta chanter, l’on se rend compte qu’il fait des punchs line. Il faut juste écouter ‘’Ndaga’’ pour le comprendre. Le hip-hop est la musique de la subtilité. Et nous sommes la génération qui a hérité de tout cela. Aujourd’hui, je dis qu’il faut en faire bon usage. Parce que l’egotrip est en train de tuer le message. C’est bien de faire des vidéos avec des cameras Hd dans tous les sens et c’est bien d’avoir de belles images. Mais ce serait encore mieux, aujourd’hui, de l’accompagner avec des paroles positives et constructives.

BIGUE BOB et HABIBATOU WAGNE

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