Publié le 28 Aug 2019 - 01:07
EXPLOITATION DU SABLE

Les populations de Ndeser et de Ndam Sérère menacées

 

La forte demande de sable conduit à la multiplication des carrières d’extraction. Les zones rurales proches de Diourbel sont des plus sollicitées. Si rien n’est fait, des terres cultivables ne vont plus exister sous peu dans ces espaces vendus à des exploitants terriens. Aucune mesure de restauration n’est envisagée, après l’épuisement de la ressource minérale.

 

L’urbanisation et l’étalement des infrastructures empiètent et détruisent les meilleures terres agricoles autour des villes, écrivait, en 2009, le chercheur Bernard Jouve. A Ndeser et à Ndam Sérère, le couvert végétal disparaît et la superficie des terres arables diminue. Sur le plan de l’aménagement du territoire et de la protection du foncier agricole, l’exploitation du sable et l’ouverture des carrières mettent en péril l'équilibre de l'écosystème. Les productions agricoles sont abandonnées et la pauvreté s’installe. Une situation de grave dégradation de l'environnement compromet les capacités des populations de ces zones à se prendre en charge. Les fossés de plusieurs mètres de profondeur s’étendent à perte de vue. Aucune mesure de restauration n’est envisagée après l’épuisement de la ressource minérale.  

Cette réalité confère aux collectivités lignagères une marge de manœuvre très grande, en matière de gestion des terres. Ces dernières lotissent et revendent leur patrimoine foncier aux acquéreurs et autres spéculateurs sans aucun contrôle étatique. Les promoteurs des carrières de sable profitent bien de cette situation. Ils négocient et achètent de vastes superficies pour y ériger leurs carrières de sable. L’Etat et les municipalités, n’ayant aucune maîtrise sur ces terres, sont incapables de canaliser et de gérer les transactions foncières.

Interpellé sur la situation, le maire de la commune de Ngohé, François Fall, confirme : ‘’Nous ne pouvons rien faire, parce que ce sont les propriétaires qui donnent leurs terrains.’’  Ce constat fait à Ngohé, précisément dans sa partie située sur la route de contournement qui le sépare de Diourbel et qui est à quelques encablures de Ndam Sérère, est le même dans toute cette zone. La végétation recule, les surfaces agricoles se muent en de grands fossés.

Ainsi, Diourbel n’échappe pas au phénomène de l’exploitation anarchique du sable, parce que sa qualité est meilleure ici qu’ailleurs, confient des spécialistes.

 L’autre partie qui n’échappe pas à la péjoration environnementale, c’est Ndesser. Ici, ce n’est pas moins de 40 camions de sable de diamètres variant entre 16 et 20 m3 qui sont chargés quotidiennement. Provenant de divers secteurs d’activité, les promoteurs privés, exploitants de sable, constituent des acteurs majeurs dans l’ouverture des carrières.

Cheikh Gaye, trouvé sur les lieux, explique le procédé : ‘’Je travaille dans ce domaine depuis 1981. L’exploitation se fait avec des machines. Pour acquérir ces espaces, on discute avec le propriétaire terrien. Souvent, il ne demande pas une somme précise. Il exige seulement qu’à la fin des travaux, que le lieu soit remblayé.  Il faut discuter avec le propriétaire et lui verser tous les jours une somme. Après, on va chercher une autorisation d’exploiter à la direction des mines, après avoir adressé une demande au niveau du service régional’’. En fait, il y a une alternative. Soit on acquiert une parcelle gracieusement auprès du propriétaire, soit on achète. Les prix varient, dans ce cas, et vont de 100 000 F Cfa à plus.

Cheikh Gaye ajoute que ‘’les contraintes que nous avons identifiées sont multiples et variées. Le camion de sable coûte au bas mot 30 000 F Cfa. Chaque territoire municipal traversé reçoit 1 000 F Cfa par jour. Chaque camion verse 4 800 F au service des mines’’. Après l’ouverture d’une carrière, elle est refermée après exploitation et remblayée, renseigne Cheikh Gaye. ‘’Faux !’’, rétorque Ibrahima Ndiaye, exploitant agricole. ‘’Ils ne remblaient rien. Après exploitation, les terres deviennent inutilisables. Elles ne peuvent servir qu’à la culture maraichère. On note aussi une destruction massive du couvert végétal’’, indique-t-il.

A en croire Ibrahima Ndiaye, ‘’c’est un véritable marchandage. L’exploitant verse une somme qui est calculée au prorata de la surface qui sera creusée. Le propriétaire peut se retrouver avec 100 000, 200 000, voire 500 000 F Cfa et même plus. Mais ce qu’on lui remet vaut-il ce qu’il perd dans cette transaction ? Je ne le pense pas très sincèrement, parce que, souvent, cette partie du terrain est difficilement exploitable. C’est même impossible d’y récolter de grosses quantités’’.

Appauvrissement des producteurs

La couche arable recouvrant le sable est décapée sur plusieurs mètres de profondeur par des engins acquis pour cela. L’activité étend la superficie des espaces dégradées. Les crevasses et les monticules créent un paysage de sinistre. Ce qui fait sortir Ibrahima Faye de ses gonds.

En sa qualité de président de l’organisation communautaire de base (Ocb) Baol Environnement, Faye soutient qu’il ‘’faut se remettre en cause. Avec l’extraction du sable, si un paysan n’a plus de terres, comment il va trouver de l’argent pour faire vivre sa famille ? Le péril écologique est là. La biodiversité souffre. C’est l’effet de l’homme qui cède ses terres. On ne sait pas pourquoi l’autorité laisse faire sans rien dire. Il faut penser aux générations futures. Il urge de délocaliser ces carrières et cela pour le bien de tous’’. 

Conséquences : Disparition de surfaces cultivables

En effet, il est constaté que, de plus en plus, les productions agricoles sont abandonnées et la pauvreté s’installe. Une situation de grave dégradation de l'environnement compromet les capacités des populations de ces zones à se prendre en charge. Les propriétaires des terres n’hésitent pas à abandonner leurs champs de mil, d’arachide et leurs plantations de melon, de niébé aux exploitants du sable. Les terres fertiles sur lesquelles prospèrent des cultures vivrières sont inexistantes. L’exploitation du sable génère des désagréments importants aux voisinages. Les dégâts occasionnés par les carrières sauvages sur l’environnement dépassent de loin le bénéfice tiré de cette activité. La dégradation et le ravinement des voies de desserte perturbent la circulation et créent un paysage chaotique. ‘’Il n’y a pas d’études d’impact environnemental. Les arbres meurent, l’écosystème est inexistant. Nous vivons avec un fléau, une bombe écologique avec cette histoire de carrières. La loi est violée en ce sens. Ce sont des cratères entre Ngohé et Diourbel. C’est un péril écologique en vue. Des arbres comme le kadd ont été abattues sans une autorisation préalable du service des eaux et forêts. Ils parlent de cession en lieu et place de vente. L’état doit sévir à travers ses services déconcentrés’’, réclame M. Faye.

Son cri du cœur est partagé par une habitante de Ndam Sérère, Khadidiatou Diop. ‘’Nous avons l’obligation de préserver la nature, de l’épouser. La terre est notre première maman, c’est elle qui nous a tout donné. On doit la protéger. C’est une question de survie de l’humain’’, rappelle-t-elle. Dans la même veine, elle ajoute : ‘’Si rien n’est fait, il n’y aura plus d’exploitation agricole, car les producteurs, constatant que les surfaces cultivables se rétrécissent et les exploitations agricoles ne donnant plus assez de ressources, bradent leurs terres et sont obligés, en retour, de demander qu’on leur prête des terres pour cultiver. Les carrières ont remplacés les champs.’’

L’on se demande alors pourquoi l’Etat, qui donne les autorisations, ne fait rien pour arrêter cette dégradation. L’on a voulu poser la question au directeur du Service des mines et de la géologie de la région de Diourbel, mais ici c’est motus et bouche cousue. Le maître des lieux exige une autorisation venant de la Direction des mines et de la géologie, condition préalable pour qu’il puisse s’exprimer.

Un spécialiste des questions environnementales a bien voulu expliquer à ‘’EnQuête’’ que ‘’toutes les carrières ouvertes ont eu des autorisations pour cela. Mais il faut comprendre que les procédures d’ouverture des carrières sont assujetties à des études d’impact environnemental. Ce qui n’est pas respecté. Il y a ici deux types de carrière sur le même site. La première carrière est très ancienne et inutilisable et la seconde vient de démarrer ; elle est privée et temporaire. Sur toute l’étendue du territoire national, il n’y a pas de carrière publique ouverte suivant les règles de l’art. Les taxes sont perçues parce qu’il y a extraction. La moyenne est au-delà de 500 000 F par mois. C’est dire qu’il y a un véritable impact sur l’économie régionale avec les taxes perçues’’, a-t-il fait savoir. 

Qualité du sable très prisée

 Au-delà, elles représentent une véritable entreprise pour certains. C’est tout une chaine qui est mise en place. Les vendeurs de sable  sont aidés, dans cette activité, par des transporteurs, bras séculiers de cette activité. Le promoteur de vente de sable tisse un réseau relationnel très actif lui permettant de recruter des ouvriers, d’entrer en contact avec les propriétaires des camions de transport et des clients. Avec les chauffeurs, il organise le circuit  et  la commercialisation de la marchandise. Ainsi, l’exploitation du sable est une véritable entreprise que les promoteurs s’évertuent à faire fructifier. Elle est très lucrative et génère beaucoup d’argent.

Dans cette partie de la commune de Ngohé, la situation est inquiétante. Pas moins de 40 camions de diamètres compris entre 16 et 32 m3 quittent tous les jours ces carrières à destination de plusieurs villes du Sénégal. C’est parce que le sable y est prisé, sa qualité est meilleure, renseigne un ingénieur en génie civil. Des propos corroborés par des chauffeurs. L’un d’eux, Mohamed Diallo, explique que  ‘’la charge de camion de sable peut coûter jusqu’à 500 000 F, si la destination est la ville de Tambacounda, par exemple. Il nous arrive de partir dans plusieurs villes du pays. Si c’est à Dakar, la charge de 20 m3 coûte 300 000 F. Si, c’est Touba, c’est 75 000 F.  

Cette ruée vers ce sable s’explique par le fait qu’il est beaucoup prisé pour la construction. Les Chinois, par exemple, même s’ils ont des chantiers à Tambacounda ils préfèrent acquérir des camions de sable de Diourbel car, disent-ils, avec ce sable, les constructions sont plus résistantes, du fait qu’il n’est pas salé’’.

Boucar Aliou Diallo

 

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