Publié le 10 Feb 2025 - 11:37
EXPLOSION DES FRAIS D'HOSPITALISATION

La Fonction publique sénégalaise sous la loupe

 

Coup de tonnerre dans le ciel des finances publiques sénégalaises : les dépenses de santé des fonctionnaires explosent, laissant planer l'ombre d'une gestion opaque et suscitant l'indignation. Un parfum de scandale de plus.

 

Les chiffres sont alarmants et ils ne passent pas inaperçus. En 2024, les frais d’hospitalisation des agents de l’Administration publique sénégalaise ont atteint un niveau record, frôlant les 30 milliards de francs CFA. Une somme colossale qui dépasse largement les précédents records, y compris ceux enregistrés pendant la crise sanitaire de la Covid-19.

Cette hausse spectaculaire, révélée par les données de la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE), suscite des interrogations et des critiques, notamment de la part d’analystes comme Arona Oumar Kane et des responsables politiques comme Abdoul Mbaye.

D’après les rapports de la DPEE, les frais d’hospitalisation des fonctionnaires et de leurs familles ont atteint 29,9 milliards F CFA en 2024, pulvérisant le précédent record de 15,3 milliards établi en 2020, année marquée par la pandémie de Covid-19. Cette augmentation de près de 150 % par rapport à 2023 et de 95 % par rapport à 2020 interpelle, d’autant plus que ces dépenses avaient connu une tendance baissière depuis la fin de la crise sanitaire, descendant même sous la barre des 12 milliards en 2023.

Pour Arona Oumar Kane, ingénieur logiciel et analyste économique, cette hausse est ‘’tout à fait exceptionnelle’’. Dans sa contribution intitulée ‘’Hausse record des frais d’hospitalisation de la Fonction publique, il souligne que cette envolée des dépenses pose question, surtout dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires du Sénégal sont extrêmement réduites. ‘’Comment expliquer une telle explosion des frais d’hospitalisation pour 1 % de la population, sans aucun lien avec une crise sanitaire majeure ?’’, interroge-t-il.

Un système de prise en charge généreux… mais coûteux

Selon toujours les mêmes sources, le système de couverture médicale des fonctionnaires sénégalais, actifs et retraités, est pourtant bien connu. Les agents bénéficient, ainsi que leurs familles, d’une prise en charge partielle de leurs frais médicaux. Pour les hospitalisations, l’État règle l’intégralité de la facture, puis effectue une retenue de 20 % sur le salaire de l’agent concerné. Une générosité qui, bien que saluée par les bénéficiaires, pèse lourd sur les finances publiques.

Cependant, cette année, les chiffres ont littéralement explosé. ‘’En janvier 2024, un montant de 4,5 milliards F CFA a été enregistré, probablement pour régulariser les mois de novembre et décembre 2023 où aucuns frais n’avaient été imputés. Mais cette explication ne suffit pas à justifier l’augmentation continue des dépenses mensuelles observée depuis avril 2024. Alors que les frais tournaient autour d’un milliard F CFA par mois ces dernières années, ils ont grimpé en flèche pour atteindre 2,5 milliards en novembre, avant de culminer à 9,5 milliards en décembre 2024’’, souligne Arona Oumar Kane.

Une gestion opaque qui suscite des interrogations

Dans un contexte économique difficile, marqué par un déficit budgétaire abyssal de plus de 2 200 milliards F CFA en 2024, cette hausse des dépenses de santé publique soulève de sérieuses questions.

Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre, n’a pas manqué de réagir. ‘’Après avoir lu la publication d’Arona O. Kane sur la progression des dépenses d’hospitalisation de la Fonction publique, il est indispensable que le Premier ministre explique une telle évolution’’, a-t-il déclaré.

Pour M. Mbaye, cette situation exige un audit rigoureux et une lutte contre le gaspillage des ressources publiques. ‘’Dès le 21 avril 2024, j’attirais l’attention sur l’indispensable nécessité de réduire le train de vie de l’État. Dans ce cas, il s’agit de refuser au moins l’excès et le gaspillage dans l’attente des résultats d’un audit approfondi’’, a-t-il ajouté.

Du côté des bénéficiaires, la perplexité est également de mise. Khadim Ndiaye, enseignant et fonctionnaire, avoue méconnaître les raisons de cette hausse. ‘’Cette augmentation est injustifiée. Nous ne comprenons pas pourquoi les frais ont autant augmenté, alors que la situation sanitaire est stable’’, confie-t-il.

Face à ces interrogations, Arona Oumar Kane et Abdoul Mbaye plaident pour une plus grande transparence dans la gestion des finances publiques. Kane rend hommage au travail de la DPEE et de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) pour la qualité des données publiées, tout en appelant à un accès élargi aux informations financières de l’État. ‘’Ce travail s’inscrit dans une action de veille citoyenne et d’alerte à l’endroit des autorités. Il est essentiel que les Sénégalais aient foi dans la manière dont leur argent est dépensé’’, insiste-t-il.

Le regard critique d'Arona Oumar Kane sur le nouveau gouvernement

Arona Oumar Kane, ingénieur logiciel et intellectuel engagé, est connu pour ses prises de position tranchées contre le nouveau régime sénégalais. Depuis plusieurs années, il alerte sur les dérives économiques et budgétaires du pays, n'hésitant pas à dénoncer ce qu'il considère comme un laxisme financier au sommet de l'État.

En mai 2024, il publiait une contribution remarquée dans laquelle il mettait en garde contre l’augmentation de la masse salariale de l’Administration publique. Son argumentation repose sur l’idée que cette inflation budgétaire constitue une bombe à retardement pour le gouvernement de Bassirou Diomaye Faye.

Arona Kane s’appuie sur des données chiffrées pour illustrer l’ampleur du phénomène. Selon la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE), la masse salariale mensuelle de l’Administration publique sénégalaise est passée de 77,6 milliards en avril 2022 à 106,2 milliards F CFA en mai 2022. Cette augmentation brutale de 38,6 % en un seul mois, alors que l’effectif des fonctionnaires n’a crû que de 2 %, interroge. Comment expliquer une telle explosion des charges salariales sans une hausse proportionnelle des effectifs ?

Si Arona Kane tire la sonnette d’alarme, d’autres économistes, comme le professeur Abou Kane, nuancent ses propos. Pour ce dernier, la masse salariale n’est pas nécessairement une bombe à retardement. Il rappelle que les augmentations de salaire doivent être mises en perspective avec l’évolution des recettes de l’État et la structure des dépenses publiques.

En effet, entre 2022 et 2023, les dépenses de personnel ont augmenté de 23 %, tandis que les recettes internes ont progressé de 13 %. Cette dynamique montre que l’État a accru ses charges salariales plus rapidement que ses rentrées fiscales, mais sans pour autant atteindre un seuil critique.

Il faut également prendre en compte la faible rémunération moyenne des fonctionnaires sénégalais. Selon plusieurs études, le salaire moyen se situe entre 100 000 et 150 000 F CFA par mois, un niveau bas pour un pays où le coût de la vie est l’un des plus élevés de la sous-région. Pour Abou Kane, le problème ne réside pas tant dans la masse salariale que dans la gestion globale des finances publiques.

Toujours est-il que la hausse record des frais d’hospitalisation de la Fonction publique sénégalaise en 2024 est un sujet qui ne peut être ignoré. Dans un pays où les défis économiques et sociaux sont nombreux, une telle augmentation des dépenses, sans justification claire, risque de saper la confiance des citoyens envers leurs institutions.

Le gouvernement se doit d’apporter des réponses précises et transparentes. Comme le souligne Abdoul Mbaye, un audit approfondi est indispensable pour identifier les éventuels abus et gaspillages. La crédibilité du Projet Sénégal 2050, souvent mis en avant par les autorités, en dépend. Car, comme le rappelle Arona Oumar Kane, ‘’une gestion rigoureuse et transparente des deniers publics est la clé de la réussite de tout projet national’’.

Amadou Camara Gueye

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