Publié le 25 Mar 2020 - 22:57
FORCE-COVID-19, SOUTIEN AUX ENTREPRISES

Les acteurs économiques approuvent, mais…

 

Les acteurs du secteur privé ont tous salué les mesures complémentaires prises, avant-hier, par le chef de l’Etat Macky Sall, pour soutenir l’économie nationale, en particulier les entreprises les plus touchées par l’expansion de la Covid-19 au Sénégal. Cependant, évoluant dans des secteurs différents, ils ont tous des suggestions diverses pour une meilleure prise en charge des difficultés auxquelles ils font face.

 

Doté de 1 000 milliards de F CFA, le Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force-Covid-19) faire une remise partielle de la dette fiscale constatée au 31 décembre 2019 due par les entreprises et les particuliers, pour un montant global de 200 milliards. Ce sont, entre autres, les décisions phares prises par le chef de l’Etat Macky Sall, lundi soir, pour atténuer les effets négatifs de la Covid-19 sur l’économie nationale et les entreprises privées.

‘’Ce sont les mesures qui étaient attendues. Car l’heure est grave. On anticipe vraiment sur les conséquences catastrophiques que la propagation de ce virus risque d’avoir, notamment sur le tissu économique. On risque d’avoir un système bloqué’’, soutient le secrétaire exécutif de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes) joint au téléphone d’’’EnQuête’’. Pour l’heure, Mor Talla Kane estime que le chef de l’Etat a pris un certain nombre de mesures qui vont dans ‘’le bon chemin’’. ‘’Il a pris des mesures de cadrage et d’anticipation avec la cellule qui a été créée pour recevoir toutes les réflexions et d’anticiper sur les conséquences. Pour les entreprises, il y a un point sur lequel il faudra qu’on fasse très attention. Il y a certes des secteurs qui sont très affectés ; là, tout le monde est d’accord. Mais il ne faut pas oublier de citer l’enseignement supérieur’’, dit-il.

Le SG de la Cnes souligne que dans l’enseignement, il y a une partie privée. D’après lui, ces gens ont ‘’beaucoup de difficultés’’. ‘’Avec la fermeture, les parents ne paient pas, mais il y a des charges qui sont sur la tête de ces écoles. Je voudrais attirer l’attention sur ce secteur qui est aussi stratégique que d’autres. Parce que c’est la formation de nos enfants. Il ne faudrait pas qu’il s’effondre en même temps que le virus. Il y a des aspects économiques et, au-delà, c’est l’avenir même de notre pays en termes de formation qui est en jeu’’, insiste-t-il.

Par rapport au couvre-feu qui commence à 20 h et s’achève à 6 h, M. Kane relève qu’il y a des entreprises qui travaillent la nuit. Mais il admet qu’en général, la loi prévoit des exceptions. ‘’On aurait dû avoir en accompagnement des textes administratifs. C’est une situation qui est plus ou moins délicate pour certaines entreprises. Mais nous sommes derrière, car nous savons que ce sont les besoins du moment qui imposent toute cette gymnastique à laquelle nous devons nous soumettre pour l’intérêt général. C’est l’avenir économique de ce pays qui est en jeu et les chefs d’entreprise ont bien compris’’, dit-il.

Toutefois, M. Kane avoue que la remise fiscale partielle est une ‘’très bonne mesure’’ pour les entreprises du privé. ‘’On l’avait déjà soumise à l’Etat. Nous savons ce que l’Etat peut supporter, de même que les entreprises. Sauver l’entreprise, c’est sauver l’économie du pays’’, témoigne-t-il. A ce propos, le secrétaire général de l’Unacois-Jappo, Mamadou Dieng, pense qu’il faut ‘’faire très attention’’.

‘’On peut identifier les acteurs du secteur formel et on sait ce que chacun doit à l’Etat. On peut faire leurs états financiers, car tenant des informations financières fiables de ces entreprises. Par contre, pour celles du secteur informel, je demande à l’Etat, dans le cadre de la cellule de crise, de créer un sous-comité pour gérer exclusivement l’informel’’, plaide-t-il. En fait, M. Dieng note que ces acteurs ont des ‘’problèmes spécifiques’’ qui nécessitent qu’ils en discutent, afin que l’Etat puisse comprendre comment leur venir en aide. D’une manière générale, le SG de l’Unacois-Jappo pense c’est le secteur qui risque ‘’d’être le plus lésé’’ par rapport aux mesures que l’Etat prend.

Il convient de noter qu’à ce propos, le secrétaire exécutif de la Cnes a reconnu que la réalité la plus tangible du secteur privé, c’est l’informel. ‘’C’est un secteur qui crée de la richesse, des emplois. Donc, il est important qu’on puisse l’intégrer dans la donne. C’est la règle de notre économie et l’exception étant le secteur formel. Ce n’est pas négligeable. C’est le cœur même de notre système économique et des emplois. Il y a des modes d’appui et de soutien qu’il faudra faire pour lui permettre de porter sa part des charges et sortir des difficultés’’, lance Mor Talla Kane.

Mettre en place un crédit import

Tout en félicitant le chef de l’Etat d’avoir pensé au secteur privé, qu’il juge ‘’un peu fragile’’, Mamadou Dieng préconise, concernant les 50 milliards prévus par l’Etat pour l’approvisionnement du pays en denrées alimentaires, la mise en place d’un crédit import. ‘’Ce crédit peut être sous forme de fonds de garantie logé dans une banque, qui permettra aux entreprises qui sont dans l’import, notamment des denrées, d’avoir accès plus facilement au crédit pour faire leurs commandes. Mais je souhaiterais d’abord que l’Etat fasse une évaluation du stock de denrées de première nécessité’’, recommande-t-il.

La ministre du Commerce, Assome Aminata Diatta, a certes tenu une réunion, la semaine dernière, lors de laquelle, elle a assuré que le Sénégal a un stock qui peut tenir ‘’sur 4 mois’’. Mais M. Dieng soutient qu’au-delà des 4 mois, il faut que l’Etat puisse aider les entreprises, à travers des crédits imports pour permettre au secteur privé de faire ses commandes correctement pour assurer l’approvisionnement du marché en denrées de première nécessité, y compris en carburant.

Pour les entreprises du secteur formel, le SG de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal demande à l’Etat de ‘’suspendre’’ leur TVA pour les mois de mars, avril et mai, de même que les cotisations sociales. ‘’C’est extrêmement important. En cette période, les entreprises traversent des situations difficiles. Et si l’Etat compte sur la TVA des entreprises, cela va impacter négativement le revenu des entreprises. Après ceci, il y a une organisation à faire au niveau national. L’Etat doit tout faire pour que, si le confinement continue, chaque famille puisse disposer du minimum’’, dit-il. M. Dieng regrette également le fait que le Sénégal ne dispose pas d’instituts ou structures spécifiques qui vont se charger de mesurer les impacts concrets que cette crise va avoir sur les secteurs clés de l’économie comme le commerce.

Donc, il trouve que c’est à l’Etat, de concert avec les acteurs, de les évaluer à travers des comités de crise. Ceci afin de soutenir les Sénégalais qui s’activent dans le petit commerce au sein des marchés.

Les inquiétudes des travailleurs de l’hôtellerie

Si les initiatives prises par Macky Sall vont dans le sens d’appuyer le secteur privé pour qu’il puisse ‘’regagner’’ sa place dans l’économie sénégalaise, le président des travailleurs de l’hôtellerie, Pape Bérenger Ngom, indique, par contre, que ce qu’il n’a pas entendu, ‘’c’est le comment est-ce qu’il va le faire et quelle sera la répartition’’. ‘’Le patronat doit jouer un rôle prépondérant auprès des acteurs du secteur du tourisme. Aujourd’hui, même les emplois sont menacés. Certains patrons disent qu’ils vont payer 100 %, les mois de mars et avril ; le mois de mai 50 % et d’autres même disent qu’ils ne vont même pas payer. Avec ce fonds, il les appuie eux, mais nous qui travaillons, qui sommes les créateurs de richesses, qu’est-ce qu’on a dans ça ? C’est là où la communication du chef de l’Etat n’a pas été accessible chez les acteurs du secteur du tourisme. Nous sommes les fils du pays. Or, pour l’hôtellerie, 80 % des réceptifs hôteliers appartiennent aux étrangers. Or, un patron n’est pas un enfant de chœur, c’est un capitaliste. Rien ne l’intéresse à part son argent’’, regrette notre interlocuteur.

De ce point de vue, le syndicaliste interpelle l’inspection du travail. Car il fait savoir que ces entreprises peuvent même ‘’aller jusqu’à faire un dépôt de bilan’’. ‘’Et nous n’allons pas accepter cela. On ne peut pas accepter de travailler pendant 20 ans pour quelqu’un qui va profiter de la situation pour déposer un bilan ou régler des comptes avec ses employés. Si l’Etat doit les aider, c’est pour qu’en retour ces employeurs-là puissent aider, à leur tour, les employés qui travaillent dans le secteur du tourisme et qui ont travaillé toute leur vie dans ces établissements’’, confie-t-il.

Pour M. Ngom, le président Sall aurait dû dire, dans sa communication, qu’il appuie le privé pour qu’il y ait une préservation des emplois et que les employés puissent gagner à 100 % leurs salaires. ‘’Parce que dans tous les salaires, il y a des retenus bancaires, des prêts, etc. Il faut qu’il pense aux salariés. La dette fiscale ne nous appartient pas. C’est pour le patronat. Je suis certes en phase avec le chef de l’Etat dans son optique d’aider les entreprises à survivre. Il y va même de la crédibilité du gouvernement de préserver ces emplois. Mais il faut qu’il communique avec le patronat pour lui préciser que quand il l’assiste, c’est pour qu’il aide les employés’’, renchérit-il.

L’Ascosen plaide pour la prise en charge des factures d’eau, d’électricité et le loyer

Fidèle à sa mission de défense des consommateurs, l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) fait une proposition ‘’complémentaire’’. L’organisation consumériste demande au chef de l’Etat de prendre en charge deux mois de loyer pour tous les locataires du Sénégal, que ce soit les entreprises ou les particuliers. Ensuite, deux mois de consommation d’électricité, soit un bimestre, une facture et deux mois de consommation d’eau. ‘’Ceci pour permettre aux populations, PME et PMI de pouvoir se stabiliser. Cet effort ne sera pas grand-chose. Cela va représenter environ 10 % du montant des 1 000 milliards de francs CFA destinés à la lutte contre le coronavirus. Pour l’électricité, si personne ne paie sa facture, cela va représenter environ 64 milliards de francs CFA pour la Senelec le bimestre. Si on y ajoute tout ce qui est électrification rurale, on tournera autour de 70 milliards de francs CFA. Si personne ne paie l’eau, on se retrouvera vers 18 milliards. Si on les ajoute aux 70 milliards, cela fera 88 milliards de francs CFA’’, évalue son président Momar Ndao.

Concernant le loyer, le consumériste informe que sur l’étendue du territoire, pendant un an, c’est ‘’inférieur à 120 milliards de francs CFA’’. Ce qui veut dire 10 milliards par mois. ‘’Donc, si personne ne paie le loyer pendant 2 mois, ce sera 20 milliards. Ce montant, additionné aux 88 milliards, fera 108 milliards de francs CFA, soit environ 10 % de la somme globale du Force-Covid-19. Nous pensons qu’il faut des mesures comme celles-ci. Parce que, quand on prend certaines dispositions comme la fermeture des écoles, des marchés à certaines heures, beaucoup de personnes qui fonctionnent autour de ces structures publiques, par exemple les femmes qui vendaient à manger pour les écoles, vont se retrouver sans rentrée d’argent’’, justifie M. Ndao. Donc, il estime que le fait de prendre en charge ces différentes dépenses par l’Etat permet ‘’d’éviter que le pays ne sombre dans une situation extrêmement grave’’.

Pour une prise en charge efficace et efficiente du loyer, le défenseur des consommateurs rappelle qu’une enquête avait été faite par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) pour compter le nombre de logements en location estimé à 193 400. ‘’Aujourd’hui, il faudra que les bailleurs se fassent identifier pour bénéficier du remboursement des montants qui ne seront pas payés par les locataires. Il est aussi possible qu’on puisse donner au locataire un document qu’il va remettre au bailleur, afin que ce dernier puisse le présenter pour se faire régulariser’’, suggère-t-il. L’Ascosen compte ainsi veiller à ce que les prix soient maîtrisés, qu’il n’y ait pas d’augmentation, de même qu’au niveau des transports. Mais aussi participer à la sensibilisation pour éviter les comportements à risque.

3 QUESTIONS A NGOUDA FALL KANE (EXPERT FINANCIER)

‘’Quand on réduit la dette fiscale, cela augmente les capacités d’épargne, d’investissement des entreprises’’

 

Quelle lecture faites-vous des 1 000 milliards de F CFA annoncés par le chef de l’Etat pour soutenir l’économie nationale, notamment le secteur privé face aux effets de la Covid-19 ?

Je voudrais tout d’abord féliciter le président de la République pour cet acte historique qu’il a posé, s’agissant de l’état d’urgence qu’il vient d’instaurer dans le pays, dans la lutte contre l’expansion de la Covid-19. Il est également important de constater la mise en place d’une cellule nationale de crise couplée à un fonds d’appui et de solidarité. Ceci pour aider d’abord le secteur privé, mais également pour faire face aux difficultés économiques qui vont surgir avec cette pandémie.

Aujourd’hui, l’économie européenne est en train de sombrer. Celle américaine connaît des difficultés. Il est clair qu’avec cette pandémie, l’économie africaine, en particulier sénégalaise, sera en difficulté. Il a mis en place ce fonds d’anticipation rationnel pour faire face aux difficultés qui seront issues de la dynamique économique interne. Il y a des secteurs tels que le tourisme qui seront affectés, et même l’Administration sénégalaise le sera. Et, de manière générale, le secteur privé aussi. C’est un confinement qui ne dit pas son nom. Donc, mettre en place ces fonds est extrêmement important.

Il est certes bon de mettre ce fonds, mais il est également bon d’assurer sa gestion transparente et rigoureuse. Et également permettre le contrôle citoyen de l’utilisation de ce fonds. Qu’on puisse nous rendre compte régulièrement et que les gens puissent savoir ce qui a été encaissé en termes de contribution solidaire. Mais aussi qu’on puisse optimiser l’utilisation de ces fonds et qu’on évite la politisation de ces actions. Nous avons dépassé ce cadre-là. Ce n’est pas une mobilisation politique ; elle est citoyenne, globale. De même, le fonds pour le soutien en vivre doit éviter toute coloration politique. Ces vivres doivent parvenir aux gens qui en ont besoin, aux familles et personnes affectées. Il faudrait que le ministre de l’Économie et celui des Finances puissent faire une analyse pertinente, très fine de l’impact économico-financier de la pandémie sur l’économie nationale. Il faut être rationnel. Dire qu’on a à mettre 1 000 milliards de francs CFA ne suffit pas.

Est-ce que la remise partielle de la dette fiscale des entreprises équivaut à l’annulation de cette dette d’une manière générale ?

Qu’on le veuille ou pas, l’impôt est un instrument de politique économique. Il ne faudrait pas que les gens l’oublient. Si on peut aujourd’hui alléger les sociétés, c’est parce qu’elles ne travaillent pas. Quels sont, aujourd’hui, les fondamentaux d’une société ? Moi, j’ai une société que je gère, et le problème fondamental que nous avons, c’est l’impôt. La fiscalité est assez lourde. Si le président de la République pense qu’il peut alléger la fiscalité pour soutenir les entreprises nationales, il faut le saluer. Il n’y a pas de problème. Quand on réduit la dette fiscale, cela augmente les capacités d’épargne, d’investissement des entreprises. C’est cela l’économie. Il faut avoir une vision économique de la fiscalité.

On ne peut pas se mettre là à dire qu’il faut faire la différence entre les entreprises qui ont fait de la fraude fiscale et celles qui n’en ont pas fait. Nous n’en sommes pas là aujourd’hui. Et une remise partielle de la dette fiscale, c’est l’effacement d’une partie de la dette fiscale. Et le président de la République n’a pas parlé d’annulation de la dette fiscale des entreprises. C’est une annulation partielle et ce n’est pas une très mauvaise chose. C’est une mesure de politique budgétaire. Quand les entreprises nationales se trouvent devant des difficultés, l’Etat peut être en mesure de procéder, à travers l’instrument fiscal, à une telle mesure, de réduire de moitié ou d’un tiers la dette fiscale des entreprises. Quand on efface une partie du passif d’une entreprise, on augmente son actif. On lui permet d’investir. Il n’y a pas lieu d’inviter toute la théorie fiscale pour cela.

Certains acteurs du privé prônent la suppression de la TVA pour ce mois et les autres à venir…

Quand le président parle d’une remise partielle de la dette fiscale, il faut comprendre que cette dette est globale. Elle inclut la TVA, l’impôt sur les sociétés, etc. Il y a des entreprises qui recouvrent la TVA, mais qui ne la versent pas. Ainsi, elles s’endettent vis-à-vis de l’Etat. Mais il ne faudrait pas également que les entreprises puissent sauter sur cette situation pour demander l’impossible. Parce que l’Etat a des charges qui sont incompressibles, qu’il faut financer. Et le financement est d’abord endogène. Les charges publiques ne sont pas financées par l’endettement extérieur. Le fonctionnement est financé par des ressources internes. On peut faire une remise partielle de la dette fiscale, mais soyons quand même assez souples du point de vue de notre demande à l’Etat. Il promet de faire une remise de dette partielle de dette fiscale, de mettre un fonds de 1 000 milliards de francs CFA pour appuyer l’économie nationale afin qu’elle puisse retrouver sa dynamique positive. C’est quelque chose de très important.

MARIAMA DIEME

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