Publié le 31 Jan 2014 - 18:23
GESTION ET MANAGEMENT

La Bnde à l'épreuve des faillites bancaires du passé

 

Censée être ‘’une institution de financement du développement social’’, la Banque nationale de développement économique (Bnde) a ouvert ses portes lundi dernier à la cité Keur Gorgui. Cristallisant beaucoup d’espoir surtout du côté des autorités étatiques, cette nouvelle banque devra apprendre très vite à éviter les écueils qui ont coulé ses prédécesseurs. Ils ont pour nom générique, interventions politiques. Enquête vous replonge dans le passé des institutions ayant eu la même mission qu’elle ou presque.

 

Après un long processus ayant démarré en 2008, la Banque nationale de développement économique (Bnde) a enfin démarré ses activités avant-hier.  Issue d’une transformation organisationnelle du Fonds de promotion économique (Fpe), la banque a pour mission d’appuyer les acteurs des différents secteurs économiques du pays, notamment les Pme qui font face à des faiblesses de fonds propres et à des difficultés d’accès au crédit.

Selon le directeur de cette institution, la priorité sera accordée à l’agriculture, l’énergie, l’artisanat et la pêche entre autres secteurs. Elle est donc une alternative au système bancaire actuel axé presque exclusivement au financement du court terme, c’est-à-dire des opérations immédiatement rentables.

Cependant, au-delà de la déclaration de bonnes intentions, force est de reconnaître que la guerre est loin d’être gagnée. Si Saidou Nourou Sy, Dg de la Bnde, parle de rupture et de nouvelle démarche dans son discours, c’est que de précédentes expériences ont lieu. Elles ont certes eu quelques effets positifs, mais ont toutes fini au mouroir. La nouvelle banque a donc plein de pièges à éviter

La précédente banque à avoir la même mission que la Bnde porte presque le même nom que celle-ci, à une lettre près. Il s’agit de la Banque nationale de développement du Sénégal (Bnds). Elle sera liquidée en 1990. De sa naissance à la veille de sa mort, la banque  a accompli pas mal d’actions.

Etat interventionniste

Elle a été une institution de financement du développement social, selon le Professeur en économie Moustapha Kassé. Elle s’est occupée du financement des acteurs du secteur public, mais aussi de certains acteurs du secteur privé.

Les programmes de l’époque qui portaient sur un secteur public extrêmement important avaient donc pour support financier la Bnds. Toutefois, cette institution a vécu à une période où l’Etat était extrêmement interventionniste dans l’activité économique. A l’absence d’un secteur privé fort, «l’Etat était le principal architecte de la promotion de l’économie de manière générale», rappelle-t-il.

De ce fait, deux phénomènes ont contribué à la perte de la banque. D’abord Les politiques d’ajustement structurel qui «avaient complètement coupé les bras de l’Etat en démantelant son secteur public». Ensuite la Bnds qui avait facilité sa liquidation par des problèmes de gestion ‘’inexplicables’’. Ce problème de gestion auquel le professeur fait référence est relatif à des projets d’hyper consommation improductive des élites.

On pense notamment à l’ouverture de compte dit K2 lorsque la banque s’est retrouvée avec des ressources complémentaires provenant de la hausse des prix des matières premières pendant les années 70/80. Il y a aussi des prêts accordés à des paysans par le biais de l’Oncad.

Des sommes jamais recouvrées parce que considérées à l'époque par les partisans du pouvoir, notamment paysans et marabouts, comme des «dons» de l’Etat. A cela s’ajoute le financement de secteurs dans lesquels la banque n’avait pas d'expérience et d'expertise avérées. Elle s’était donc condamnée à la mort.

Le problème est donc lié, selon le Professeur en économie Abdoulaye Seck, à la fois au personnel de la banque qui ne connaissait pas les règles de gestion d’une telle institution, mais aussi à la nature du prêt lui-même, puisque fait pour un secteur rentable. Tout cela parce que l’Etat avait ses secteurs prioritaires qu’il comptait appuyer.

Contexte sous-régional

Cependant, les raisons de la faillite ne sont pas que nationales. Le contexte de la sous-région y était pour beaucoup. Dans un document intitulé ‘’les déterminants des faillites bancaires dans les pays en développement : le cas des pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)’’ et publié en janvier 2000[1], Bruno POWO FOSSO du Centre de recherche et développement en économique (Crde) et du Département de sciences économiques, Université de Montréals note :

«Durant les années 80, on observe dans tous les États membres un déclin de la production, une détérioration des termes de l’échange, une baisse des recettes publiques et la surévaluation du Franc Cfa qui (…) auront des répercussions négatives sur le système bancaire».

Il s’y ajoute que plus de vingt-cinq pour cent des crédits bancaires alloués durant la période 1980-1989 ont été non productifs et représentaient près de six fois la somme des capitaux, des réserves et des provisions des banques, souligne la Banque Mondiale (1989), citée dans ce document.

Ceci a pour conséquence la liquidation ou engagement dans des programmes d'assainissement d’une trentaine de banques entre 1980 et 1995. Le Sénégal se singularise de façon négative. «La situation du Sénégal était assez grave puisque la quasi-totalité des banques du secteur public s'était effondrée.

Ceci est illustré par la liquidation de la Banque Nationale de Développement du Sénégal  (Bnds) en 1990 (Etat 72,9%), la faillite de la Société Financière pour le Développement de l'Industrie (Sofisedit) en 1989 (actionnaire Etat 18,5% et les autres banques de la place) et la fermeture de la Société Nationale de Banque (Sonabank) en 1989.

Elle a un capital de 300 millions de F Cfa détenu à hauteur de 88% par la SONAGA, elle-même appartenant presque exclusivement à l’Etat avec 90,7% des actions.

On note aussi la cessation d'activité de plusieurs banques commerciales telles que l'Union Sénégalaise de Banque (Usb) en 1989 (Etat 62,2% Crédit Lyonnais 18,7% et autres) Assurbank en 1990, la Banque Sénégalo-Kowétienne (Bsk) en 1990 (le Koweït Foreign Trading Contracting and Investing 50%, l'Etat Sénégalais 25% et un privé Sénégalais 25%), et Bank of Credit and commerce International (Bcci) en 1991 (capital entièrement étranger)». Elles seront sept au total.

Le Burkina et la Mali, modèles de gestion

L’explication, au-delà de la sécheresse et de la détérioration des termes de l’échange, est facilement trouvée dans une série d’actions et de comportements qui ne laissent aucune chance aux banques. «Le pays a (…) adopté des politiques inappropriées pour le secteur financier (maintien artificiel de bas taux d’intérêt, taux d’intérêt préférentiel pour certains secteurs)».

A cela s’ajoute «le manque de discipline fiscale, une absence virtuelle de supervision des banques, une mauvaise gestion et l'interférence du gouvernement dans les banques du secteur public et le manque de contrôles internes sur les décisions de prêts».

La preuve de la gestion peu orthodoxe des institutions est que, à la même période, le Burkina Faso n’a connu qu’une seule banque qui a fait faillite, alors qu’au Mali voisin, toutes les banques sont saines.

Rien donc de surprenant si le document fait une conclusion du genre : « Pour ce qui est de la contribution de chaque pays sur la probabilité de faire faillite dans l’Union, nos résultats indiquent que seul le Sénégal affecte positivement et de manière significative cette probabilité.»

Il a fallu malheureusement cette énorme crise bancaire pour que la Bceao pense à mettre sur place des organes de contrôle et une législation beaucoup plus contraignante. Aujourd’hui, les banques sont encadrées par un dispositif très serré. Il s’agit entre autres de la loi bancaire et de la Commission bancaire, des règles prudentielles, des dispositifs prudentiels, qui sont autant de contrôle sur l’activité de la banque.

Une institution financière ne s’accommode pas de la politique

Quant au Fonds de promotion économique (Fpe), son architecture était différente, selon le Pr Kassé. Il s’agit de sommes mises à la disposition du Sénégal par la Banque africaine de développement (Bad) pour promouvoir les activités économiques.

Plus précisément, «Il devait refinancer des banques qui acceptent de financer les Pme-Pmi, garantir les prêts accordés et renforcer les fonds propres des Pme-Pmi par des frais participatifs», renseigne le directeur de la Bnde dans un entretien accordé au journal Le Soleil.

«N’étant pas spécialisée dans des filières précises de financement, elle a outrepassé ses règles pour financer des activités qui n’ont pas de rentabilité immédiate», relève le Pr Kassé. Là aussi, il s’agit d’un problème de qualité de gestion des institutions publiques.


Ndèye Khady Guèye

La gestion de Ndèye Khady Guèye, l’ancienne directrice, en est l’illustration parfaite. Sous mandat de dépôt depuis le 4 février 2013, elle est accusée de détournement de deniers publics d’un montant de 2,5 milliards dans sa gestion du Fpe.

En fait, elle a effectué un montage financier pour l’acquisition du dernier siège du Fpe et de son équipement pour une valeur de un milliard. Or, l’inspection générale d’Etat (Ige) estime que le prix total de tout cela n’excède pas 500 millions.

En plus, les enquêtes révèlent que lors de la transformation organisationnelle du Fpe, la dame a créé une société dénommée Sap (Société africaine de participation) avec l’aide d’un certain Gabriel Lopez qualifié de prête-nom. Sa société devait alors participer à hauteur de 1 milliard.

N’ayant pas les fonds, elle décide de contracter un prêt de 1,5 milliard à la Banque Sahélo-Saharienne pour l'investissement et le commerce (Bsic) dans laquelle banque le Fpe qu’elle dirige a un dépôt à terme de 1,500 milliard en guise de nantissement. Ce qui a fait dire à des observateurs qu’elle a versé l’argent du Fpe dans les comptes de sa propre société.

Par ailleurs, un audit interne fait en 2008 l’accuse d’être impliquée dans un projet de financement de 56 taxis Skoda au profit d’un protégé d’un haut responsable de la Présidence sous Abdoulaye Wade. Afin de bénéficier d’une liberté provisoire, elle a dû renoncer à ses actions d’une valeur de 1,5 milliard à la Bnde. Elle a également cautionné deux immeubles estimés à 02 milliards. Ce qui n’a pas empêché le parquet de refuser sa libération après un avis favorable de la chambre d’accusation.

En somme, nous explique un expert du milieu financier, la Bnde devra nécessairement éviter la main politique ou politicienne qui est au début et à la fin de toutes les précédentes faillites bancaires. «En réalité, une institution financière ne s’accommode pas de la politique... Si les banques  ne s’écroulent pas, c’est parce qu’en réalité il y a des spécialistes des finances. Dans le domaine financier, nous avons les ressources humaines, presque tout notre système de formation met l’accent sur la banque/finance».

BNDE : la géographie du capital

La structure du capital de la Bnde incite à l'optimisme. L’Etat n’a que les 25% du capital et ne se trouve pas à la tête du conseil d’administration. La nouvelle composition du capital s’établit comme suit. Il y a d’abord le groupe Teylium de Yérim Sow.  Il est suivi par d’autres acteurs économiques tels que Ameth Amar du groupe Nma et Babacar Ngom de Sedima. Pour ces trois, les autorités n’ont pas donné le pourcentage de leurs actions.

S’agissant des institutions, Ipres et la Caisse de sécurité sociale, elles avaient 10% chacune à la première configuration, mais on ne sait pas si cela a été maintenu. Viennent respectivement, pour les chiffres communiqués, Boad (9 %), Axa/Sénégal (5,4 %), Sedap (distribution d’engrais, 2 %). Il y a enfin des particuliers. Mamadou Racine Sy est le seul à avoir été cité.

Le fameux "compte K2"

Le compte K2 qui a été créé au temps du président Léopold Sedar Senghor avait pour objectif de favoriser la naissance d'un secteur privé national. Plusieurs milliards de francs Cfa avaient été alors «prêtés» à de hauts responsables socialistes sans jamais être remboursés.

Abdoulaye Wade et son parti affirment que l’argent a été détourné par les barons du Ps et utilisé parfois pour déstabiliser le Parti démocratique sénégalais (PDS). Et selon Me Wade, le compte K2 est parti de Kaolack, la ville d’origine de Jean Colin, l’ancien «homme fort» du régime socialiste, mais aussi de Moustapha Niasse.

Babacar WILLANE

 

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