Publié le 15 Mar 2019 - 23:31
GUERRE DE L’EAU

Le casse-tête de l’eau

 

Les lenteurs dans la procédure d’attribution du marché de la distribution de l’eau au Sénégal risquent de porter un sérieux coup d’arrêt à certains programmes du ministère de l’Hydraulique, tout en différant d’importantes réalisations dont le Programme spécial d’alimentation en eau de Dakar. Lancé en mai 2017, le marché de l’eau n’a toujours pas de preneur.

 

Une décision bizarre. Des conséquences ‘’drastiques’’, si l’on se fie à certains spécialistes bien au fait des réalités du secteur de l’hydraulique et des affaires. Malgré le semblant de normalité, des risques pèsent sur les objectifs du Sénégal dans ce domaine vital pour les populations. C’est du moins la conviction de nos interlocuteurs. ‘’Actuellement, informe l’un d’eux, beaucoup de programmes marchent au ralenti. Certes, les investissements sont du ressort de l’Etat, par le biais de la Sones.

Mais souvent, c’est la Sénégalaise des eaux (Sde) qui préfinançait pour pallier l’absence ou l’insuffisance des ressources du maitre d’ouvrage’’. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation actuelle ne facilite guère cette tâche au fermier : la Sde, tout comme sa mère Eranove plongées dans une nuit sans fin, peinant à voir le bout du tunnel dans le dossier de l’eau au Sénégal. Ce, malgré la tentative de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) de les repêcher d’un naufrage jusque-là quasi certain.

Il faut souligner que, malgré les difficultés, la volonté de la Sde est toujours restée intacte, si l’on se fie à des cadres de l’entreprise. Mais là où le bât blesse, selon certains, c’est au niveau de la confiance des partenaires. A en croire ce haut cadre dans le milieu des finances, il est évident que, dans cette situation incertaine où personne ne sait de quoi demain sera fait, aucune banque ne prendrait certains risques. La seule solution possible, dit-il, ce sont les prêts spots qui se caractérisent par leur courte durée et des intérêts exorbitants qui ne seraient bénéfiques ni pour l’Etat ni pour l’entreprise. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité du service. Pour nos interlocuteurs, l’Etat a intérêt à régler cette situation au plus vite, pour reprendre la dynamique d’investissement dans le secteur.

En effet, ils estiment que, dans cette situation floue où plein de nuages pèsent sur le ciel déjà gris de la Sde, ce sont les grands chantiers du gouvernement qui risquent d’en pâtir. Nos sources en veulent pour preuve le Programme spécial en eau de Dakar (Psdak) qui connaitrait des retards dans la mise en œuvre.

En effet, pour faire face aux pointes de la demande en liquide précieux dans la capitale, le gouvernement avait initié un important programme dont une partie est confiée à la Sde. Ce programme consiste, dans une première phase, à mobiliser 40 000 m3/jour, dès juin 2018. Dans une deuxième phase, de mobiliser 19 140 m3/jour, à partir de septembre 2018. Nos sources soutiennent que les délais n’ont pas été respectés, aussi bien pour la partie gérée par la Sone que pour la partie assurée par la Sde. Comme quoi, les lenteurs dans le processus d’attribution du marché de la distribution de l’eau n’épargnent aucun segment. Pourtant, renseignent toujours certains spécialistes, la Sde avait l’habitude de respecter les délais qui lui sont fixés, parfois même, elle était en avance sur les délais qui lui étaient impartis. Ce qui lui a toujours valu la satisfaction de l’Etat dans les programmes d’urgence précédents d’alimentation en eau…

Joint par téléphone, le chargé de communication de l’entreprise, Ndiaya Diop, dédramatise. Il rétorque, laconique : ‘’Par rapport à la partie gérée par la Sde dans le Psdak, il n’y a pas de soucis à se faire.’’ Alors que certaines sources informent que le délai de livraison était initialement prévu le 30 septembre 2018, M. Diop, lui, préfère ne pas s’aventurer dans les détails. ‘’Sur la partie qui nous incombe, il n’y a aucun souci. Tout sera respecté’’, se borne-t-il à répéter. En effet, si l’on en croit d’autres sources proches du ministère, les choses seraient en bonne voie, malgré le retard enregistré. La Sde, souligne-t-on, a finalement pu mobiliser les ressources, nonobstant les difficultés. ‘’Presque tous les travaux ont été lancés, avec comme objectif de les boucler avant l’expiration de l’avenant prévue le 30 juin prochain’’, a-t-il ajouté.

Il faut rappeler que cette deuxième phase du Psdak a été initialement confiée à la Sde pour un montant de 5 milliards 988 millions de francs Cfa à préfinancer par l’entreprise. Le programme s’articule notamment autour des axes suivants : l’équipement de forages réalisés et à réaliser par la Sones, la réalisation et l’équipement d’un nouveau forage à Kéniabour par la Sde, la déconnexion de clients maraichers… L’objectif est de mobiliser 19 140 m3/j pour l’Aep Dakar. Des projets ambitieux dont le but était d’étancher définitivement la soif des populations dans certains coins de la capitale et ses environs. Un espoir en berne.

DECISION DE L’ARMP

Les incongruités du Gendarme des marchés

La décision de l’Autorité de régulation des marchés publics, dans cette affaire SDE, est pour le moins ‘’très surprenant’’ et ‘’incompréhensible’’ pour certains spécialistes joints par EnQuête. Pour eux, il faut d’abord savoir que le dossier de la SDE n’a pas été retenu pour ‘’non-conformité substantielle’’. Ce que contestait l’entreprise devant l’ARMP. Estimant que : ‘’L’autorité contractante (le Ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement (MHA) s’est fondée sur des réponses à des demandes d’éclaircissements pour juger de la conformité d’une offre financière et identifier de ‘’prétendues non-conformités substantielles’’. La requérante déclare que les demandes d’éclaircissements ne peuvent pas être invoquées à cette étape d’évaluation financière où les offres sont déjà déclarées conformes’’, lit-on dans la décision de l’ARMP.

Après avoir battu en brèche ces allégations et donné raison au MHA sur bien des points essentiels du recours, le gendarme des marchés a tout de même jugé utile de ramener la SDE dans la course, au seul motif que le mode de calcul qui a été effectué n’est pas prévu dans le Dossier d’appel d’offres. Ce qui pousse nos interlocuteurs à se demander : ‘’Comment l’ARMP a pu constater une ‘’non-conformité substantielle’’ dans le dossier de la SDE et prendre une telle conclusion ?’’. Ce, d’autant plus, estiment-ils, que les critères qui ont été tenus en compte dans l’évaluation financière ont été portés à la connaissance de tous les candidats qui l’avaient accepté.

‘’Seule l’évaluation financière va être refaite’’

Par ailleurs, la SDE, pour sa défense devant l’Autorité de régulation, invoquait, entre autres moyens : une violation du Code des marchés publics en ses articles 70, 84, 141 ainsi que de la charte de transparence et d’éthique en matière de marchés publics. Elle arguait également que le critère sur lequel s’était basé le ministère de l’Hydraulique pour l’écarter de la course n’était pas avéré. Autant d’allégations qui ont été rejetés par l’ARMP, malgré sa décision. Avec ce retour inattendu, certains ont vite pensé que le vent est défensivement réorienté en faveur de la SDE. Mais que non !, si l’on en croit ce spécialiste des marchés publics.  Il souligne que cette décision de l’ARMP n’anéantit pas toute la décision. ‘’Seule l’évaluation financière va être refaite. Le marché continue sous réserve des correctifs qui seront opérés. Le reste est maintenu’’, renchérit-il.

La question qui se pose est alors de savoir si on refait l’évaluation sur la base uniquement du Dossier d’appel d’offres y aurait-il ou non chamboulement au bénéfice de la SDE ? Deuxièmement, il se pose également la question de savoir si la SDE, au cas où elle arriverait en tête dans la réévaluation, ne serait pas rattrapée par cette non-conformité substantielle confirmée par l’ARMP ? Là également, les experts, ne disposant pas d’éléments d’appréciation suffisants, renvoient la balle au Ministère de l’Hydraulique. Dans cette situation confuse, des sources soutiennent qu’en fait, l’ARMP serait entre le marteau de la Présidence et l’enclume du dossier béton du ministère de l’Hydraulique. Notre source revient sur le professionnalisme et les compétences de la Commission technique à la base de cette évaluation.

Il faut rappeler que, pour départager les candidats, la Commission des marchés du MHA s’était adjoint les services d’une commission technique dont les compétences ne peuvent souffrir d’aucune contestation. Dans cette commission, il y avait toutes les spécialités requises pour accomplir convenablement la mission. En effet, font savoir nos sources, il y avait outre les hydrauliciens, des financiers, des fiscalistes, en plus de représentants du Premier ministre et du ministère de l’Hydraulique. Ce qui est sûr, si l’on se réfère aux témoignages et à la lecture de la décision, le travail a été fait de façon tout à fait sérieuse. A ceux qui seraient tentés de croire que les dés sont désormais jetés au profit de la SDE, un expert rectifie : ‘’La reprise ne garantit pas un succès, sauf en cas de manquements criants dans l'évaluation. Dans ce cas, la SDE pourrait avoir gain de cause. Il faut qu'il n'y ait d'incidence remarquable sur le prix, en tenant compte du compte d'exploitation prévisionnel. Le résultat peut bien être confirmé’’. Comme quoi, rien n’est encore joué dans ce dossier qui est loin de révéler tous ses secrets.

MOR AMAR

 

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